Au Cameroun, Franck Biya joue la carte de la discrétion
Alors que son père, Paul Biya, vient de fêter ses 91 ans, Franck Biya semble vouloir se faire discret et calmer les débats autour de ses éventuelles ambitions. Mais pour combien de temps ?
Il ne laisse rien transparaître et apparaît lorsqu’on l’attend le moins. Et pourtant, ses faits et gestes font l’objet de toutes les interprétations. Au Cameroun, lorsque l’on aborde la question de la succession de Paul Biya, le nom de son fils aîné, Franck Emmanuel, n’est jamais bien loin. Et il ne manque pas d’enflammer les conversations.
Une image irréprochable
Tout au long de 2023, des groupes de jeunes se réclamant de ses soutiens et opportunément baptisés « les franckistes » n’ont cessé de claironner que Franck Biya ferait le candidat idéal à la succession de Paul Biya.
Pour l’opposition, la seule évocation de cette hypothèse témoigne d’une volonté de transmission dynastique du pouvoir qu’elle a promis combattre avec la dernière énergie. L’idée d’un remplacement du père par le fils divise jusqu’au sein du parti au pouvoir, où aucun officiel n’a endossé ni rejeté publiquement l’éventualité d’une candidature de Franck Biya, rapporte Jeune Afrique dans son rapport.
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Lui-même se veut disruptif. Dans la capitale camerounaise, où les personnalités publiques ont fait du costume cravate la tenue officielle, il préfère être en bras de chemise. Que ce soit aux côtés de la star de football Kylian Mbappé – qu’il a reçu à son domicile en juillet 2023 –, avec le champion de MMA Francis Ngannou ou auprès des victimes d’un éboulement de terrain à Yaoundé, en octobre, Franck Biya s’attèle à polir une image qu’il veut irréprochable.
L’homme d’affaires ne s’est-il pas toujours tenu à l’écart des marchés publics, qui sont très souvent des niches à scandales ? Il ne lui a sûrement pas échappé que, pour évoluer dans le marigot politique camerounais, il faut impérativement retrousser ses bas de pantalon, de peur de les voir couverts de boue.
Diabolisation après l’affaire Savannah Energy
Franck Biya a ainsi peu goûté que son nom soit mêlé, en avril, à l’affaire Savannah Energy, laquelle a déclenché une brouille entre le Cameroun et le Tchad. Alors qu’il était cité comme l’un des actionnaires de cette entreprise controversée, son entourage s’est immédiatement livré à une campagne de communication pour l’en dédouaner, à travers l’une de ces « opérations Kilav », bien connues à Yaoundé. A-t-on voulu sacrifier Franck Biya, comme l’ont laissé entendre les médias commis à cette tâche ?
Il va sans dire qu’au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), où les ambitions politiques des caciques ont été mises en berne pendant trop longtemps, la montée en puissance de ce « jeunot » de 52 ans, au visage sans âge, n’a pas les faveurs du plus grand nombre. Ce, d’autant plus que par le passé Franck Biya n’avait pas semblé s’intéresser à la chose politique, se contentant d’évoluer dans les milieux d’affaires.
En juillet, un texte dithyrambique dénonçant la « diabolisation » de Franck Biya est devenu viral sur la Toile et a déclenché un vif débat dans les arcanes du parti. L’auteur y présentait le fils du président comme un « homme brillant et pondéré […] qui a refusé de pantoufler dans une niche à sous », avant de conclure que « seul le peuple camerounais souverain choisira librement le successeur du président Biya quand l’histoire décidera de sortir de son profond silence ». Ce plaidoyer a été attribué au patron de la communication du RDPC, Jacques Fame Ndongo, qui a rapidement démenti en être l’auteur – ce dernier restant anonyme, signe que personne ne veut officiellement se prononcer sur le sujet.
Très stratégique septentrion
Cet épisode a-t-il été interprété par Franck Biya comme un nouveau désaveu ? Quelques mois plus tôt, à la mi-mai, le ministre de la Santé, Manaouda Malachie, tenait un important meeting dans la ville de Mokolo (Extrême-Nord), au cours duquel des jeunes originaires du très stratégique septentrion camerounais ont exprimé leur soutien au président Paul Biya et ont appelé à sa candidature en 2025. « La jeunesse du Nord est avec Paul Biya », a alors scandé le « jeune » ministre (51 ans), proche du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh.
Tout un symbole pour nombre d’observateurs, qui ont vu en ce rassemblement, dont l’écho a retenti à travers le pays, une réponse déguisée à la tournée effectuée par Franck Biya dans le Nord en novembre 2022. Cette sortie qui l’avait amené à rencontrer les influents lamibé de Rey-Bouba et de Garoua présentait en effet tous les signes de la quête d’un adoubement politique. Un parcours surtout similaire à celui effectué par son père après sa prise de pouvoir en 1982, alors qu’il recherchait justement le soutien de ces élites traditionnelles.
« Franck Biya jouit d’une sorte d’immunité dans le sérail, croit savoir un habitué des hautes sphères politiques. Personne n’ose lui dire que faire ou l’en empêcher. Mais les tenants du système s’arrangent à recadrer ses actions si jamais elles prennent une proportion peu souhaitée. On l’a observé lors de la visite d’Emmanuel Macron [en juillet 2022], durant laquelle ses bruyants sympathisants avaient été réduits au silence pour ne pas faire de l’ombre au président. » Le meeting de Manaouda Malachie à Mokolo était-il de cet ordre ?
La carte de l’unité derrière le président
Face à ces contingences, Franck Biya semble en tout cas avoir choisi de rester fidèle à la ligne de conduite qu’il s’est lui-même donnée, celle d’avancer méticuleusement ses pions, les uns après les autres, le tout dans le secret le plus total et selon un timing qu’il est le seul à maîtriser. En novembre 2023, il a ainsi pris l’opinion de court en prenant part à un meeting du RDPC organisé dans la ville de Nice, à l’occasion des commémorations du 41e anniversaire de l’accession de Paul Biya au pouvoir.
Au cours de cette apparition visiblement préparée, Franck Biya, qui réside pourtant depuis plusieurs décennies dans le sud de la France, s’est pour la première fois enregistré comme militant de cette unité du RDPC, devenant dès lors un acteur politique légitime.
Il a également exprimé son soutien à celui qu’il considère comme le « leader naturel du parti », mettant en veille le débat autour de ses supposées ambitions par la même occasion. « Il est important que l’on ne brouille pas son message. Il nous faut pouvoir rester dans son sillage et l’accompagner du mieux que l’on peut, et c’est ce que nous essayons de faire », a-t-il notamment déclaré. Pas d’esclandre avec sa famille politique en vue, donc. Pour l’heure, Franck Biya joue la carte de l’unité derrière le président. À Yaoundé, il est de toutes les fêtes de famille organisées par sa belle-mère, Chantal Biya, auprès de laquelle il pose tout sourire.
Le temps de l’unité, certes, mais pas celui de la trêve pour les soutiens du fils aîné du chef de l’État. « Nous continuons de soutenir les institutions et ceux qui les incarnent, principalement le président de la république Paul Biya, tout en nous préparant pour une transition politique qui se fera assurément », promet Rahim Noumeu, fondateur du principal mouvement de soutien à Franck Biya. Et de certifier : « Que ce soit aujourd’hui ou demain, nous avons porté notre choix sur Franck Emmanuel Biya et sommes prêts à nous engager pour lui. »