Climat : même les entreprises les plus ambitieuses sont encore loin de l'objectif 1,5°C
Plus de 2500 entreprises au niveau mondial ont pris des engagements climatiques alignés sur la trajectoire de réchauffement 1,5°C et validés par l'initiative phare Science Based Targets, reconnue comme le cadre mondial en la matière.
Mais, selon une étude publiée fin avril par le cabinet de conseils Axylia, ces engagements ne permettraient qu'une réduction très limitée des émissions.
C’est un véritable Graal pour les entreprises, le fait d'être validé par l’initiative Science Based Targets (SBTi), cadre de référence en matière climatique au niveau mondial. L’organisme passe au crible "scientifiquement" les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) adoptés par les entreprises pour voir si elles sont alignées sur la trajectoire 1,5°C. À ce jour, plus de 5000 au total ont pris des engagements climatiques, soit un tiers de l’économie mondiale, et près de 2700 d’entre elles ont fait valider leurs objectifs, à différents niveaux (court terme, long terme, neutralité carbone).
Mais quelle est réellement la qualité des engagements pris par les entreprises validées par SBTi ? C’est ce qu’a cherché à savoir le cabinet de conseil en investissement responsable Axylia, dans une étude inédite publiée fin avril. Il a pour cela retenu 800 des 1000 entreprises cotées en Bourse validées SBTi, en laissant de côté celles pour lesquelles les analystes ne disposaient pas de suffisamment de données ou celles qui ne publient pas leur Scope 3 (émissions indirectes), sur-représentées notamment dans le secteur bancaire. Résultat : selon Axylia, leurs engagements, parmi donc les plus ambitieux au monde, ne permettent de réduire leurs émissions que de 2% entre 2020 et 2030. Selon le Giec, c’est ce qu’il faudrait faire chaque année…
Des réductions en intensité "illusoires"
"La méthode SBTi présente des limites. Selon nous, le principal problème porte sur les objectifs qui sont exprimés en intensité énergétique. Si peu d’entreprises sont concernées (11% du panel sur les scopes 1 et 2), elles représentent en revanche la majorité des émissions (53%)", explique Ferdinand Raffy, analyste ISR chez Axylia. "Des réductions en intensité peuvent être illusoires si elles n'entraînent pas de réduction en volume des émissions de gaz à effet de serre. Seuls les objectifs en absolu permettent de réduire à coup sûr les émissions, et avoir un impact positif sur le réchauffement du climat", rappelle le cabinet.
Sans surprise, ce sont les secteurs de l’acier, du ciment et de l’aérien, particulièrement carbo-intensifs, qui sont les premiers concernés. "Il n’y a pas de solution miracle. Être alignées avec l’Accord de Paris signifie pour ces entreprises un changement total de business model", poursuit Ferdinand Raffy. Air France KLM, American Airlines, Lufthansa ou encore Easyjet ont ainsi vu leurs objectifs de court-terme validés par la SBTi. Pourtant, selon les calculs d’Axylia, "les compagnies aériennes voient leurs émissions doubler en 2030. Les engagements en intensité (-30% par passager, en moyenne) sont annihilés par la hausse du trafic (+240% en moyenne par rapport à 2020, année Covid)".
Autre limite de l’initiative SBT pointée par l'étude, la prise en compte du Scope 3 qui n’est exigé que quand ce dernier représente au moins 40% des émissions totales. Selon Axylia, une entreprise sur cinq n’a pas d’objectifs scope 3 et 36% des émissions totales ne sont pas couvertes par des objectifs en absolu pour le scope 3. "Cela concerne principalement le secteur bancaire pour qui le scope 3 est celui qui pèse le plus lourd en termes d’émissions de gaz à effet de serre", note le spécialiste, selon novethic.
Chantiers à venir
Au sein du SBTi, on reconnaît la complexité de l’exercice. "Nous sommes à la pointe de ce qui se fait de mieux mais ce n’est jamais parfait", explique à Novethic Lila Karbassi, présidente de l’initiative. "Nous atteignons des limites face au challenge du siècle qu’est l’urgence climatique. Il n’y a pas de solution toute faite et certains secteurs sont très compliqués à décarboner. Concernant le secteur aérien, 11 compagnies aériennes ont déjà des objectifs à court terme validés ; cependant aucune compagnie aérienne n'a encore des objectifs Net Zero validés. Pour d'autres secteurs à fortes émissions, comme le ciment et l'acier, nous constatons un grand intérêt de la part d'entreprises qui souhaitent fixer des objectifs décarbonation. L’idée est aussi de montrer ce qui fonctionne et reconnaître les progrès", précise-t-elle.
La coalition a de nombreux chantiers en cours, notamment en vue de la COP28 sur le climat, qui se tiendra en novembre. Pour faire avancer le secteur financier - actuellement 61 institutions financières ont des cibles validées - le SBTi est en train d'élaborer une norme Net Zero pour les institutions financières, sur le modèle de la norme Net Zero des entreprises, afin de faire progresser l'action climatique dans ce domaine. Elle intégrera la question du financement des entreprises pétrolières et gazières, qui ne peuvent pas être validées actuellement par le SBTi. Un conseil technique très haut placé regroupant des scientifiques et des chercheurs va également commencer ses travaux en juillet pour mettre à jour les standards. Par ailleurs, un protocole de vérification des engagements pour analyser les réductions d'émissions réalisées par les entreprises doit aussi voir le jour d’ici la fin de l’année.
"Il y a beaucoup de patrons d’entreprises qui s’engagent, beaucoup de bonne volonté. Le bilan depuis la création de SBTi en 2015 dépasse nos attentes. Mais par rapport à l’urgence climatique, on est loin du compte parce qu’on a des années de retard. L’idée n’est pas non plus de mettre la barre trop haut et que personne ne nous suive. Notre ambition s’inscrit dans une démarche de progression afin de tirer les entreprises vers le haut", conclut Lila Karbassi.