Comprendre la longue agonie solitaire des Arméniens
L’attaque de l’Azerbaïdjan sur le Nagorny-Karabakh est, au-delà d’une terrible tragédie pour le peuple arménien, une nouvelle preuve de l’émotion très sélective des démocraties occidentales.
Le silence et surtout l’absence d’actions concrètes pour stopper ce drame, en disent long sur l’inconséquence et le manque de courage de la caste dirigeante occidentale actuelle…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacteur en chef du Dialogue. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
Où sont nos belles âmes et nos « élites » occidentales pour s’émouvoir des massacres d’Arméniens en cours dans le Nagorny-Karabakh, elles qui sont pourtant si promptes à s’apitoyer sur le sort des migrants en Méditerranée ou des Ukrainiens ?
Même le pape François, lors de sa visite à Marseille, il y a quelques jours, n’a pas eu un seul mot sur cette tragédie qui touche pourtant un peuple de la première nation chrétienne. Pire, il a préféré sommer les peuples et les États européens à accueillir à bras ouverts les clandestins et la misère africaine qui arrivent sur nos côtes et accélérer ainsi le propre suicide civilisationnel du Vieux continent !
En France et en Europe, la diaspora arménienne et quelques élus, comme entre autres, Valérie Boyer, François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau (et même la maire de Paris, Anne Hidalgo !), des journalistes, tels Frédéric Pons, Jean-Christophe Buisson, ou des intellectuels et chercheurs, à l’instar de Tigrane Yégavian, Annick Asso ou Élise Boghossian, sauvent l’honneur de l’Occident et essaient courageusement depuis des années d’alerter et réveiller les consciences de nos dirigeants sur ce qui est en jeu dans le Haut-Karabakh et surtout, les exactions, les crimes de guerre (des vidéos horribles circulent sur le net !) et la véritable épuration ethnique en cours dans cette région. En vain !
L’Arménie, dépourvue d’hydrocarbures ou de riches ressources minières à monnayer, et les populations de l’Artsakh qui vivent dans cette contrée depuis deux mille ans, sont seuls et bel et bien abandonnées !
Seuls les mollahs de Téhéran, pour contrer les velléités ancestrales turciques dans le Caucase, apportent un timide soutien à Erevan. Un comble !
On peut comprendre, sans pour autant le cautionner ou l’excuser, le cynisme criminel géostratégique d’Israël ou celui, géopolitique, de la Russie.
En effet, alors que l’opinion publique israélienne est majoritairement, de par son propre tragique passé, sensible et révoltée par ce nouveau génocide, les dirigeants de l’État hébreu ont, eux, opté pour la froide raison d’État et préfèrent donc vendre des armes à l’Azerbaïdjan afin de consolider son partenariat stratégique avec Bakou et s’assurer ainsi du maintien de ses bases secrètes d’écoute et de renseignement dans l’est du pays pour surveiller le grand ennemi d’Israël, l’Iran.
Quant à la Russie, qui pourtant, comme le rappelait il y a peu l’expert Tigrane Yégavian, était jusqu’à présent la seule garante de la protection et de la survie même de l’Arménie (en dépit des nombreux accords conclus avec la Turquie et l’Azerbaïdjan), a choisi de ne pas intervenir pour l’instant.
D’abord Moscou a d’autres chats à fouetter en Ukraine où, de son point de vue (mais c’est en grande partie vrai), l’OTAN lui livre, avec le sang des Ukrainiens, une guerre existentielle qui menace l’avenir de son empire ; de même, pour les Russes, c’est également, de manière encore plus cynique et brutale, de donner une leçon au pouvoir arménien, qui malgré les propositions répétées du Kremlin de revenir dans le giron russe, s’entête à courir après un illusoire protectorat des Occidentaux et surtout des Etats-Unis qui, on le voit chaque jour qui passe, ne lèveront jamais le petit doigt pour les Arméniens.
Au passage, rappelons d’ailleurs que Washington ne fera jamais rien pour contrarier la Turquie d’Erdogan, membre de l’OTAN et principale allié de l’Azerbaïdjan, et qui est justement un pion essentiel dans sa stratégie absurde et antirusse à l’œuvre aujourd’hui en Europe.
L’administration Biden a trop besoin du maître d’Ankara, qui est resté fort habilement un des derniers interlocuteurs de Poutine et peut ainsi, comme il l’a déjà fait, négocier les embargos russes sur le blé ou faire libérer des mercenaires occidentaux prisonniers des Russes dans le conflit ukrainien.
Et surtout, pour les Américains, il faut absolument éviter les vétos turcs pour l’entrée dans l’OTAN de la Finlande et de la Suède !
Et l’Union européenne ?
Son inaction et sa paralysie parlent d’eux-mêmes !
Mise à part les sempiternelles mièvreries et les mots creux comme le fameux « nous appelons chaque partie à cesser les combats » (il fallait oser !), pas le moindre début de sanction n’a été appliqué après des mois de massacres ! Rien !
Aucune réaction, même après le fait que la première mesure des vainqueurs azéris ait été de renommer la rue principale de Stepanakert avec le nom d’Enver Pacha, l’organisateur du génocide des arméniens en 1915 !
Il est vrai que nous sommes habitués à cette pitoyable géométrie variable de l’émotionnel de la Commission, du Conseil, des chefs d’État et de gouvernement européens.
Madame Van der Leyen et ses laquais français et autres, soumis plus que jamais à Washington, préfèrent poursuivre le suicide géopolitique et économique de l’Europe en suivant aveuglément la stratégie américaine contre le « méchant dictateur » Poutine et son « opération spéciale » en Ukraine, au lieu de simplement condamner l’« opération antiterroriste » (!) du « gentil dictateur » azéri, Aliyev, qui pourtant lui aussi renverse le droit international et impose un fait accompli !
L’Union européenne d’aujourd’hui oublie qu’elle est née précisément pour que plus jamais ne se répète un génocide, rappelle à juste titre le député européen, Xavier Bellamy.
Comme pour la Russie ou Israël évoqués plus haut, on pourrait naïvement croire à une sorte de raison d’État de la part l’UE qui préserverait ainsi ses propres intérêts.
Il n’en est rien. L’Azerbaïdjan est devenu pour les représentants européens un « partenaire fiable » (!) car le gaz russe, si important pour les Européens et faisant à présent défaut du fait de leur politique inconséquente contre Moscou, nous sommes aujourd’hui dépendant du gaz plus cher (!) et acheté à Bakou et qui est souvent… du gaz russe ! A ce niveau-là, cela ne relève plus de la raison d’État mais bel et bien de la plus vile incompétence voire de la psychiatrie !
Or, qu’attendre de ces petits politiciens européens adeptes depuis des années à un misérable aplaventrisme devant l’autre « gentil dictateur » et parrain d’Aliyev, le néo-sultan Erdogan et ses chantages communautaires et migratoires ?
En attendant, cet abjecte et hypocrite « deux poids, deux mesures » dans les condamnations morales occidentales nous discrédite encore un peu plus, après une longue liste de précédents abandons comme ceux des chrétiens du Liban, de Syrie et d’Irak…
Dans la vie quotidienne comme dans les relations internationales, lorsqu’un individu ou des nations ne défendent pas les leurs (et l’Arménie, on l’a dit, est pour l’Occident l’un des berceaux de la civilisation judéo-chrétienne), ils perdent leur honneur, s’humilient et perdent tout respect chez ceux qui les observent.
Et dans le contexte international actuel, il n’est pas étonnant que l’Afrique, le monde arabo-musulman et de fait, le reste de la planète, qui scrutent les faits et gestes de cet Occident en déclin, commencent à se détourner finalement mais sûrement de celui-ci…