Corse : Une étude met en évidence le lien entre l'événement météorologique extrême et le réchauffement climatique
Les prévisionnistes ne l'avaient pas vu venir.
Des rafales jusqu'à 225 km/h et des orages d'une violence inouïe qui auront causé la mort de 12 personnes, dont 5 en Corse, et pas moins de 116 blessés sur son sinistre parcours entre les Baléares et l'Autriche.
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Comment un phénomène d'une telle intensité a-t-il pu si soudainement se former ?
Dans une récente étude, que Le Point a pu consulter, des scientifiques apportent une première réponse sur le mécanisme atmosphérique ayant conduit à la formation de ce super-orage de type « derecho ».
Son auteur, Davide Faranda, chercheur du CNRS au sein du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, explique que le changement climatique a grandement intensifié ce phénomène météo extrême.
Davide Faranda : Notre étude consiste à évaluer comment le changement climatique affecte les événements météorologiques extrêmes.
L'analyse des données depuis 1950 permet d'affirmer que le réchauffement a intensifié cet orage.
Nous avons recensé toutes les gouttes froides, c'est-à-dire les zones de basse pression, qui se sont produites entre 1950 et 1979, et nous avons comparé avec la période récente, de 1992 à 2022, plus affectée par les gaz à effet de serre.
S'il n'y a pas de différence significative dans les caractéristiques des gouttes froides elles-mêmes, on s'aperçoit toutefois qu'elles arrivent dans des zones, en l'occurrence la Méditerranée, où la température est supérieure de 2 à 5 degrés entre les deux périodes, ce qui donne une convection bien plus forte.
Comment cet orage s'est-il formé ?
Le contact soudain de cette goutte froide avec une masse d'air chaud à la surface de la mer a déclenché l'orage via un phénomène de convection atmosphérique.
Ce 18 août, la Méditerranée était anormalement chaude, jusqu'à six degrés au-dessus des normales.
Ce fort différentiel entre cette température élevée et la fraîcheur de la haute troposphère a accentué ce mécanisme en générant de fortes précipitations.
Nos études montrent qu'il y a aussi une tendance à l'augmentation de la fréquence des zones de basse pression pouvant déclencher ces phénomènes intenses.
Nous estimons que la fréquence de ce type d'événement augmente de 10 % par décennie. Depuis le début des mesures satellites, en 1979, nous avons répertorié en France dix orages de type derecho des orages capables de parcourir au moins 300 km et de produire des rafales à plus de 120 km/h comme celui qui s'est produit en Corse.
Hormis celui du 26 juillet 1983, tous ont eu lieu au cours des deux dernières décennies, mais aucun ne s'est révélé aussi intense que celui du 18 août.
Les prévisionnistes avaient déclenché l'alerte tardivement, au moment même de la tempête. Pourquoi ce phénomène était-il difficile à anticiper ?
Les prévisions météorologiques s'appuient en général sur les observations passées. Les phénomènes extrêmes comme celui-ci sortent du modèle habituel d'application.
C'est un peu comme une voiture : elle fonctionne bien sur la route, mais en dehors elle n'avance plus très bien.
Nous ne connaissons pas non plus les détails géographiques permettant de localiser exactement les zones de basse pression et les masses de chaleur les plus importantes, où l'orage est susceptible de se déclencher.
Sur une trajectoire d'un millier de kilomètres, comme celle qu'a parcourue cet orage, poussé par le mouvement de la goutte froide, il est extrêmement difficile de le prévoir de façon très localisée.
Mais des marges d'amélioration existent, d'autant qu'avant cet événement nous accordions assez peu d'attention aux derechos en France.
Nous savons maintenant qu'ils peuvent se produire en Méditerranée avec une très forte intensité.
Peut-on parler de signes annonciateurs des phénomènes extrêmes d'un climat futur ?
Ce type d'événement envoie un signal climatique important, et je crains que cela nous donne, en effet, un avant-goût du futur.
La mer Méditerranée à six degrés au-dessus des normales récentes, c'est du jamais-vu, tout comme les rafales enregistrées à près de 230 km/h.
Il faut être conscient que cela ne va pas se reproduire chaque année à cause de la variabilité climatique.
Mais, si c'est ce qui nous attend de façon quasi systématique à l'horizon 2050, c'est effrayant. Car il sera presque impossible de s'adapter à des orages aussi puissants.
Nous rapporte le point.