Crise RDC-Rwanda : Le Président Tshisekedi en France pour solliciter le soutien de Paris
Le Président de la République démocratique du Congo (RDC) sera reçu à l'Élysée par Emmanuel Macron ce mardi 30 avril, afin d'aborder la détérioration de la situation sécuritaire dans l'Est du pays.
L'hymne national de la RDC résonnait le lundi 29 avril dans la cour ensoleillée des Invalides. "Nous bâtirons un pays plus beau qu'avant, dans la paix", disent ses paroles écrites en 1960. Cette paix, qui a fui désespérément le pays depuis trois décennies, sera au cœur des discussions entre Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi le mardi 30 avril. Le Président congolais, réélu en décembre pour un second mandat, effectue une visite officielle en France de quarante-huit heures. La principale priorité à l'agenda est la question de la sécurité dans l'Est de la RDC, une région déchirée par les groupes armés et où le territoire est grignoté par le M23, un mouvement rebelle soutenu par le Rwanda voisin.
L'année dernière, le budget de la défense de la RDC a doublé, selon le rapport annuel de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Alors que l'armée congolaise - et les milices qui la soutiennent - continue de perdre du terrain face au M23, Félix Tshisekedi demande le soutien de l'Occident sur la scène internationale. Il a déjà obtenu de Washington et de Paris une dénonciation publique de l'ingérence rwandaise. "Les atteintes à l'intégrité territoriale de la RDC et la situation des populations civiles sont inadmissibles", a affirmé le Quai d'Orsay en février, alors que les rebelles progressaient en direction de Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu. "La France condamne la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda, ainsi que la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais." Le président congolais demande désormais des sanctions à l'encontre de Kigali, comparant régulièrement l'"agression" du Congo par le Rwanda à l'invasion russe en Ukraine, afin de dénoncer le "deux poids, deux mesures" des chancelleries occidentales.
Échange vif
Trois jours avant la tournée européenne de Tshisekedi (il était dimanche en Allemagne), Kinshasa a ouvert un nouveau front médiatique et judiciaire en accusant le groupe Apple de fabriquer ses appareils à partir de minerais "exploités illégalement" provenant "de mines congolaises" où "de nombreux droits humains sont violés". Les avocats français William Bourdon et Vincent Brengarth ont été mandatés par la République démocratique du Congo pour adresser une mise en demeure aux filiales françaises d'Apple, sommation avant le déclenchement d'une procédure judiciaire. "Le Rwanda est un acteur central de l'exploitation illégale de minerais et notamment de l'exploitation de l'étain et du tantale en RDC", affirment-ils. "Après leur extraction illégale, ces minerais sont importés par contrebande au Rwanda, où ils sont intégrés dans les chaînes d'approvisionnement mondiales." Kigali a rejeté ces accusations : "Ce n'est que le dernier coup en date du gouvernement de la RDC qui cherche constamment à détourner l'attention vers le Rwanda avec de fausses accusations", a commenté la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo.
Les termes utilisés par Emmanuel Macron à l'issue de la rencontre avec son homologue congolais à l'Élysée seront scrutés de près. Lors de sa visite à Kinshasa en mars 2023, le président français avait haussé le ton contre le Rwanda sans toutefois le nommer - "La République démocratique du Congo ne doit pas être un butin de guerre, le pillage à ciel ouvert [du pays] doit cesser. [...] Ceux qui feront obstacle au plan de paix savent à quoi ils s'exposent, y compris à des sanctions" - sans ménager pour autant les autorités congolaises. "Depuis 1994, vous n'avez pas été capables de restaurer la souveraineté. Il ne faut pas chercher des responsabilités à l'extérieur", avait déclaré Emmanuel Macron. "Regardez-nous autrement, en nous considérant comme des partenaires et non avec un regard paternaliste", avait alors rétorqué Félix Tshisekedi lors de la conférence de presse conjointe. Des deux côtés, on affirme que cet échange vif, bien que notoire, serait aujourd'hui dépassé.
Équilibre diplomatique
Dans cette crise, le chef de l'État français marche sur un fil. Sous son double mandat, Paris a opéré un rapprochement historique avec Kigali, en reconnaissant les "responsabilités lourdes et accablantes" de la France au Rwanda pendant le génocide des Tutsis de 1994, endossant les conclusions du rapport commandé à une commission d'historiens présidée par Vincent Duclert. Emmanuel Macron s'est lui-même rendu au Rwanda en 2021. "En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître nos responsabilités", avait-il alors déclaré. Dans la foulée, un ambassadeur français a été nommé à Kigali, alors que le poste était inoccupé depuis six ans.
Emmanuel Macron peut-il mettre à profit cette figure d'équilibrisme diplomatique entre le Rwanda et la RDC pour débloquer les négociations de paix, conduites par l'Angola et qui semblent aujourd'hui au point mort ? Le 23 avril, lors d'une conversation téléphonique, le chef de l'État français a invité le président Paul Kagame à renouer le dialogue avec Félix Tshisekedi en appelant au "respect de l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo". Il plaidera également auprès de son homologue congolais pour une reprise des discussions. Kagame et Tshisekedi se sont rencontrés pour la dernière fois le 16 février à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, en marge du sommet annuel de l'Union africaine. D'après l'Agence France Presse, citant deux sources diplomatiques, l'entrevue, très tendue, s'était terminée par un "échange d'insultes".
La visite du président Tshisekedi en France comprendra également un volet économique. La vaste RDC, première économie d'Afrique centrale, riche en ressources naturelles, recherche des investisseurs pour financer son développement - malgré l'instabilité et la corruption qui gangrènent le pays. Le chef de l'État congolais est attendu à une table ronde organisée par le Medef mardi après-midi. Ses ministres des Finances, Nicolas Kazadi, et du Développement rural, François Rubota, ne seront pas présents. Mis en cause par la justice congolaise dans une affaire de détournement d'argent public, ils n'ont pas été autorisés à quitter le territoire congolais.