Espace AES : Un visa communautaire viable face aux défis sécuritaires ?
L’idée d’un visa unique pour les pays du Sahel – le « visa Liptako » – prend forme au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Lors d’une réunion les 1er et 2 février 2025 à Bamako, des experts ont avancé sur le projet en harmonisant les systèmes nationaux et en validant des dispositifs sécurisés.
Cependant, l’instabilité sécuritaire persistante dans ces trois pays soulève des questions sur la faisabilité de cette initiative. Si la libre circulation peut dynamiser les échanges économiques et renforcer la coopération régionale, elle pourrait aussi être exploitée par des groupes armés opérant dans la zone.
La mise en place d’un système robuste de contrôle aux frontières et de suivi des entrées est essentielle pour garantir que ce visa favorise l’intégration sans compromettre la sécurité. Les discussions en cours détermineront si ce projet peut réellement être un levier de développement ou s’il risque d’aggraver les défis sécuritaires de la région.
Un projet pour renforcer l’intégration régionale
Le projet de visa communautaire s’inscrit dans une dynamique d’intégration entre les États de l’AES. L’objectif est de simplifier les déplacements des citoyens, de favoriser les échanges commerciaux et de renforcer la coopération économique et sociale.
Lors de la réunion de Bamako, les experts ont procédé à un état des lieux des systèmes nationaux de visa, validé des directives communes et proposé un modèle de sticker sécurisé pour ce nouveau visa. L’un des principaux arguments en faveur de cette initiative est la réduction des contraintes administratives et des coûts pour les voyageurs, ce qui pourrait stimuler les investissements et le commerce interrégional.
Les défis sécuritaires : une entrave à la libre circulation ?
Si l’idée d’un visa unique semble porteuse de nombreux avantages économiques, elle se heurte à un défi majeur : l’instabilité sécuritaire qui frappe la région. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger font face à une insécurité croissante due aux activités de groupes armés et de réseaux criminels transnationaux. Dans ces conditions, la suppression des barrières aux déplacements pourrait involontairement faciliter les mouvements des acteurs menaçant la stabilité de ces États.
Les autorités des trois pays doivent ainsi concilier l’ouverture des frontières avec le renforcement des contrôles. Une solution pourrait résider dans la mise en place d’un système de suivi numérique des entrées et sorties, couplé à un échange d’informations en temps réel entre les services de sécurité des trois États. L’enjeu est de garantir que le visa Liptako ne devienne pas une faille exploitée par des éléments hostiles.
Un modèle inspiré de l’espace Schengen, mais adapté au contexte sahélien
Certains observateurs comparent ce projet au visa Schengen qui permet une libre circulation au sein de plusieurs pays européens. Toutefois, la situation au Sahel est bien différente : alors que l’espace Schengen repose sur des institutions fortes et des dispositifs de surveillance sophistiqués, les États de l’AES doivent encore renforcer leurs infrastructures de contrôle et de coopération. En l’absence de ces mécanismes, la mise en œuvre du visa Liptako pourrait s’avérer complexe et risquée.
Une double nécessité : mobilité et sécurité
Les discussions autour du visa communautaire mettent en lumière un dilemme central : comment concilier l’ambition d’une intégration régionale avec l’impératif sécuritaire ? Une des pistes envisagées est l’application d’un visa à entrées multiples sous conditions, permettant aux autorités de mieux encadrer les flux migratoires tout en maintenant une certaine flexibilité pour les citoyens et les entrepreneurs.
Par ailleurs, le succès de cette initiative dépendra de la capacité des États membres à mutualiser leurs efforts en matière de renseignement et de lutte contre la criminalité transnationale. La coopération avec d’autres acteurs internationaux, notamment l’Union africaine et les Nations unies, pourrait également jouer un rôle clé dans le renforcement des dispositifs de surveillance.
Le visa Liptako représente une avancée majeure dans l’intégration régionale des États du Sahel, offrant de nouvelles opportunités économiques et sociales.
Cependant, son efficacité dépendra largement des mesures mises en place pour en garantir la sécurité. Un équilibre entre ouverture et contrôle doit être trouvé afin que ce projet ne se transforme pas en un facteur aggravant des défis sécuritaires auxquels font face le Burkina Faso, le Mali et le Niger. La réussite de cette initiative reposera donc sur la capacité des gouvernements à adapter leurs stratégies aux réalités de terrain, en alliant innovation technologique et coopération régionale renforcée.