Gladiator II : Une Rome trop contemporaine ? Entre idéalisation moderne et imprécisions historique
Tous les drames historiques sont situés non pas dans une époque unique, mais dans deux : celle qu’ils prétendent dépeindre et celle où ils sont tournés.
« Bridgerton », avec ses dialogues façon « Downton Abbey » et son casting inclusif, reflétait davantage l’année 2020 que 1813. Les épopées romaines, elles aussi, sont datées, car, selon Dame Mary, « nous utilisons les Romains en partie comme un reflet de nous-mêmes ». Par exemple, « Quo Vadis » (1951) célébrait le christianisme ; la série télévisée « Moi, Claude » offrait des débordements sulfureux typiques des années 1970. Le film original « Gladiator » exprimait un idéalisme sur la démocratie, en phase avec l’optimisme du tournant du millénaire (Marc Aurèle voulait que Maximus restitue le pouvoir au peuple). C’était l’Histoire, utilisée pour illustrer « La fin de l’Histoire » de Francis Fukuyama.
Ce nouveau film, cependant, semble plus confus. Bien que la démocratie soit mentionnée, la foi en celle-ci paraît bien plus faible, à l’écran comme en dehors. Les véritables méchants ici sont, comme souvent dans le cinéma actuel, les riches oisifs. Les héros sont les travailleurs immigrés de Rome.
Ainsi, Lucius, un esclave, travaille avec une force surhumaine. Ses camarades gladiateurs sont eux aussi bien vus, tout comme leur médecin indien. Même Macrinus, le maître des gladiateurs, incarné par Denzel Washington, semble plus séduisant que les aristocrates stupides qu’il sert. Quel est donc le rêve de Rome ? Si l’on en croit cette suite, il s’agit de l’emploi pour tous, de surpasser les riches et de relations raciales harmonieuses (le casting est extrêmement diversifié). Les femmes, ici, sont étonnamment émancipées : elles combattent aux côtés des hommes et crient dans le Colisée. C’est très « 2024 » — et très moralisateur. Ce qui manque, cependant, c’est une véritable excitation.
Cela ne signifie pas que le film est une mauvaise représentation historique. L’ancienne Rome était, en effet, remarquablement diversifiée. L’Empire romain s’étendait de l’Espagne à la Syrie, comptant environ 60 millions d’habitants, avec des mouvements de population constants. Des poteries d’Afrique du Nord ont été retrouvées à Iona, en Écosse ; des rhétoriciens de Gaule sont apparus en Islande. Tout le monde se retrouvait au Colisée à Rome lors de son ouverture. Arabes, Égyptiens, Yéménites, Éthiopiens et Germains étaient présents, comme l’a écrit Martial, un poète.
Les Romains eux-mêmes s’intéressaient peu à la couleur de peau. Un Africain du Nord pouvait devenir empereur (comme Macrinus en 217 après J.-C.) sans que sa couleur de peau ne suscite de commentaire. Rome n’était pas un paradis racial, loin de là. Mais leurs préjugés différaient de ceux d’aujourd’hui. Les peuples vraiment méprisés par les Romains étaient les peuples du nord, qualifiés de « poilus ». L’Allemagne était menaçante ; la Grande-Bretagne était lugubre. Selon Strabon, un géographe, les Irlandais étaient « des cannibales ainsi que de gros mangeurs » qui « avaient des relations sexuelles… avec leurs mères ».
Un message confus et une esthétique hésitante
Si le message de ce film semble confus, son esthétique l’est tout autant. Le premier « Gladiator » avait deux héros : Maximus et Rome elle-même. Il débutait par une bataille dans une Germanie austère et métallique avant de passer à une Rome encore plus solennelle. Le résultat était un chic fasciste sinistre, avec des scènes rappelant « Le Triomphe de la Volonté » (1935), le film de propagande nazi de Leni Riefenstahl.
Si le premier « Gladiator » évoquait le camp militaire, cette suite s’approche du camp kitsch. Elle débute par une bataille navale ridicule en Afrique du Nord-Ouest avant de passer à une Rome différente, où les aristocrates oisifs s’adonnent à la nudité, aux parures et aux plaisirs. Cela se veut provocant, mais selon les standards romains, c’est plutôt sage. L’empereur fou Élagabal faisait tirer son char par quatre femmes nues et aurait étouffé ses invités sous des fleurs. Dans « Gladiator II », les excès impériaux se limitent à une bouteille de gel capillaire. Quand les gens pensent à Rome plusieurs fois par jour, comme le prétend la culture en ligne, ce n’est certainement pas cette Rome-là qu’ils imaginent.
Le film introduit aussi des fictions historiques improbables. Il inonde le Colisée pour des batailles navales fictives (ce qui aurait pu arriver en détournant un aqueduc), mais y ajoute des îles désertes, des palmiers et des requins (ce qui n’est jamais arrivé). Et que dire du singe généré par ordinateur ? Ce film ne saute pas seulement par-dessus le requin, il le place dans le Colisée avec des palmiers à côté.
L’exactitude historique : une attente mal placée ?
Pour Dame Mary, si l’on cherche de la précision historique, « pourquoi regarde-t-on un film ? ». Le premier « Gladiator » prenait déjà de nombreuses libertés. Tous les films simplifient. John le Carré comparait l’adaptation d’un livre à un film à transformer une vache en un cube de bouillon. Résumer un empire millénaire en deux heures et demie est encore plus ardu. Des nuances sont inévitablement perdues. Par exemple, bien que les Romains soient souvent dépeints comme assoiffés de sang, beaucoup méprisaient l’arène. Sénèque, un écrivain romain, pensait que simplement y assister rendait un homme « cruel et inhumain ».
Cependant, les problèmes de ce film vont au-delà de l’inexactitude. Les grands dirigeants romains remodelaient Rome pour qu’elle leur ressemble : Hadrien a reconstruit le Panthéon ; Titus a achevé le Colisée ; Auguste a transformé la brique en marbre. Les grands films font de même, façonnant Rome dans l’imaginaire collectif. Il y a plus de vingt ans, Ridley Scott a changé notre vision de Rome. Ce film ne le fera pas.