Guerre en Ukraine : bras de fer entre les États-Unis et la Russie sur le nucléaire ukrainien
Après huit long mois de combats intenses en Ukraine ayant vu les Ukrainiens commencer à regagner du terrain face aux forces russes, les États-Unis tentent de faire pression sur deux parties pour lancer des négociations.
"En début de semaine, plusieurs « fuites » dans la presse américaine sont allées dans ce sens.
Lundi, on apprenait ainsi dans le Wall Street Journal que Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, s'était récemment entretenu, et à plusieurs reprises, avec deux hauts responsables russes qui ont « l'oreille du président » Poutine.
Au sujet de ces discussions : la volonté américaine que la crise ukrainienne ne se transforme pas en conflit nucléaire généralisé". Indique LaTribune.
Canal secret entre Washington et Moscou
"De fait, derrière les postures de communication des uns et des autres, les discussions entre les deux superpuissances nucléaires que sont les États-Unis et la Russie n'ont jamais été rompues depuis le début de la guerre en février dernier.
Ainsi, a été mis en place ces derniers mois un canal secret entre les deux pays, contournant à Washington le chef de la diplomatie Antony Blinken, patron du Département d'État (le ministère des affaires étrangères).
Le lendemain de la publication de l'article du Wall Street Journal, c'était au tour du Washington Post d'expliquer que le même Jake Sullivan s'était rendu à Kiev ces derniers jours pour convaincre Volodymyr Zelensky de ne pas fermer la porte à d'éventuelles négociations.
Les Américains tenaient à faire comprendre aux Ukrainiens qu'ils ne pouvaient plus exiger le départ de Vladimir Poutine du pouvoir comme préalable à tout début de discussions.
Clairement, Joe Biden pousse le président Zelensky à déclarer que l'Ukraine est ouverte à la négociation avec la Russie pour ne pas apparaître comme un facteur de blocage : « La fatigue de certains alliés envers l'Ukraine est une réalité », a ainsi déclaré anonymement un responsable américain au Washington Post.
Si ces paroles se veulent bienveillantes, on assiste bien à un gros coup de pression de Washington sur Kiev". Ajoute LaTribune.
« Une fenêtre d'opportunité pour la négociation » entre Moscou et Kiev
"Quelques jours après la publication de ces articles, c'est Joe Biden lui-même qui a déclaré : « Il faut voir si l'Ukraine est prête à un compromis ».
Cette déclaration intervient juste après les élections des midterms, qui a vu les Démocrates résister bien mieux que prévu face aux Républicains emmenés par Donald Trump.
Au même moment, le chef d'état-major des armées américaines, le général Mark Milley, annonçait qu'il existait « une fenêtre d'opportunité pour la négociation » entre Moscou et Kiev.
On est bien loin des déclarations guerrières du printemps dernier contre Vladimir Poutine. C'est qu'on est à quelques jours du sommet du G20 qui doit se réunir à Bali.
Le pays organisateur, l'Indonésie, a d'ailleurs appelé à « régler nos différends à la table de négociations, pas sur le champ de bataille ».
Selon une source off, les Américains seraient aujourd'hui soucieux de contenir le vent d'anti américanisme qui souffle en dehors de l'Occident au sujet de la guerre en Ukraine.
Au point que l'idée d'une rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine à l'occasion du G20 a été évoquée ces derniers jours.
Un projet avorté, car le maître du Kremlin a préféré renoncer à se déplacer à Bali, envoyant à la place son chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, pour le représenter.
Et alors que les troupes russes se replient dans la région de Kherson, Poutine continue de bander les muscles dans ses discours en expliquant récemment que la Russie n'avait « pas encore commencé les choses sérieuses ».
Lundi prochain, est néanmoins annoncée à Bali une rencontre déterminante entre les deux plus grands leaders mondiaux, Xi Jinping et Joe Biden.
De leur côté, les Ukrainiens voient d'un mauvais œil ces agitations soudaines et ne cachent pas leur inquiétude.
L'un des conseillers de Zelensky, Mikhaïlo Podolyak, a ainsi révélé récemment que lui et Zelensky avaient peur des négociations du G20 à Bali, et de ce qui pourrait s'y passer, en pointant clairement le président américain « flirtant avec l'agresseur". Selon LaTribune.
Tensions entre Washington et Kiev
"Dans les coulisses, ce n'est pas la première fois que des tensions s'expriment entre Kiev et Washington.
Si une partie de l'appareil sécuritaire américain, notamment la CIA, a toujours soutenu Zelensky, la Maison-Blanche a toujours veillé à maintenir la guerre en Ukraine dans un certain cadre.
Depuis leurs élections respectives, les relations entre Zelensky et Biden sont d'ailleurs bien plus complexes que ne le laissent entrevoir les déclarations officielles.
En juin 2021, les deux hommes s'étaient notamment confronté sur le dossier du gaz, lorsque les Américains avaient alors trouvé un compromis avec l'Allemagne et la Russie sur l'ouverture du gazoduc Nord Stream 2 en mer Baltique, ce qui avait provoqué l'ire des Ukrainiens.
Mais c'est aussi sur le dossier du nucléaire que Kiev et Washington ont des vues opposées.
Alors que les Ukrainiens, avant l'invasion russe, n'ont cessé de réclamer leur intégration effective à l'OTAN pour pouvoir bénéficier du parapluie nucléaire américain, la Maison Blanche a préféré ignorer ces demandes.
Car pour appréhender la guerre en Ukraine, il ne faut pas se limiter à la question du Donbass, comme je l'ai expliqué dans mon dernier livre Guerres cachées.
Il convient en fait de revenir au mémorandum de Budapest de 1994, signé par l'Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni (ainsi, plus tard, que par le reste des puissances nucléaires déclarées, soit la France et la Chine).
Ce document avait amené les Ukrainiens à accepter le renvoi à Moscou de l'arsenal nucléaire présent sur leur sol, et hérité de l'URSS, contre des garanties strictes d'intégrité territoriale et de sécurité.
Salué à l'époque comme un modèle de désarmement nucléaire (l'Ukraine signant en parallèle le traité de non-prolifération [TNP]), le mémorandum comporte pourtant une faille de taille : les garanties de sécurité ne sont accompagnées d'aucune obligation réelle de défendre l'Ukraine, et aucune sanction ou mesure contraignante n'est prévue en cas de violation du texte par l'un des pays.
Or, depuis l'annexion de la Crimée en 2014, une partie des élites ukrainiennes ne cesse de regretter publiquement le désarmement intervenu une dizaine d'années plus tôt". Rapporte LaTribune.
Memorandum de Budapest
"Ce débat dépasse les frontières de l'Ukraine. En juin dernier, Radosław Sikorski, l'ancien ministre de la défense et des affaires étrangères polonais, a déclaré que la Russie avait violé le memorandum de Budapest et que, par conséquent, l'Occident pouvait « offrir » des ogives nucléaires à l'Ukraine afin « qu'elle puisse défendre son indépendance ».
Cinq jours avant l'invasion russe, le 19 février 2022, à la conférence de sécurité de Munich, Volodymyr Zelensky faisait lui aussi référence au mémorandum de Budapest de 1994 en expliquant que, si une renégociation ne s'enclenchait pas rapidement entre les parties signataires, son pays considèrerait qu'il n'était plus tenu de respecter ses engagements historiques : « L'Ukraine a reçu des garanties de sécurité pour avoir abandonné la troisième capacité nucléaire du monde. Nous n'avons pas cette arme. Nous n'avons pas non plus cette sécurité. »
Résultat, fin mars, les premières négociations de paix entre Russes et Ukrainiens, sous l'égide du président turc Recep Tayyip Erdoğan, concernaient uniquement cette question stratégique.
Les dossiers du Donbass ou de la Crimée étaient alors renvoyés à plus tard. Lors de ces jours cruciaux, le président Zelensky se déclarait prêt à la neutralité de son pays et promettait de ne pas développer d'armes atomiques, comme l'écrivait à l'époque le Financial Times, si la Russie repliait ses troupes et si Kiev recevait des garanties de sécurité sérieuses tant de la Russie que de ses alliés : «Le statut non nucléaire de notre État, nous sommes prêts à y aller... Si je me souviens bien, c'est pour ça que la Russie a commencé la guerre [NDLR : la Russie refusant que l'Ukraine se nucléarise à terme militairement] », expliquait alors le président ukrainien".
Négociations secrètes sur le partage du nucléaire civil ukrainien
"Tout en aidant les Ukrainiens dans le nucléaire civil (le groupe américain Westinghouse a décroché de nombreux contrats en Ukraine tant pour la fourniture de combustibles que pour la construction de futures centrales AP1000), les Américains ont, de fait, tenu à préserver le contact avec les Russes sur ce dossier.
Tant sur le nucléaire militaire que sur la partie civile. Ainsi, selon nos informations, malgré la guerre, des négociations secrètes entre États-Unis et Russie sont en cours au sujet du futur partage du nucléaire civil ukrainien : «Ils savent qu'avant que les centrales AP1000 ne soient construites en Ukraine, pas plus qu'eux que les Ukrainiens ne pourront faire sans les Russes », commente en off un acteur de l'industrie nucléaire mondiale.
Parmi les dossiers sur la table de négociateurs : l'avenir de la centrale de Zaporijjia, la plus grande d'Europe, qui fournissait avant la guerre près de 20 % de l'électricité ukrainienne.
Alors que Russes et Ukrainiens se disputent la connexion de cette centrale à leurs réseaux d'électricité respectifs, l'idée serait que la centrale fournisse à terme autant l'Ukraine que les territoires occupés et la Russie, ce qui était le cas avant l'invasion du 24 février.
C'est pour avoir oublié que la question nucléaire est également au coeur du conflit entre la Russie et l'Ukraine que les Européens, et la France en particulier (pourtant puissance nucléaire), sont condamnés dans les prochains jours à jouer le rôle de figurants, laissant les États-Unis, la Turquie, et même Israël, négocier aux premières loges face à Moscou". Selon LaTribune.