Guerre à Gaza : des responsables catholiques français demandent un cessez-le-feu
Anastasis est un collectif de jeunes catholiques qui a beaucoup écrit sur la situation actuelle en Israël et en Palestine.
Une prise de position de prêtres, diacres, personnes consacrées, religieuses et religieux catholiques français lui semblait importante sur cette question. Rédigé par le collectif, ce texte a été signé par plus de 150 responsables de l’Église catholique (1).
En tant que ministres ordonnés, religieuses, religieux et personnes ayant des responsabilités dans l’Église catholique de France, nous appelons au cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza et à l’établissement des conditions politiques de la paix en Israël et en Palestine. Nous demandons au gouvernement français d’exercer une pression diplomatique sérieuse sur le gouvernement israélien en vue de mettre un terme aux opérations offensives en cours et de lancer la décolonisation des territoires occupés de Cisjordanie.
Comme tous les chrétiens d’Occident, nous sommes souvent embarrassés lorsqu’il s’agit de nous exprimer au sujet du conflit israélo-palestinien. Les conversations s’achèvent généralement par un « c’est compliqué » un peu gêné. L’histoire des relations judéo-chrétiennes n’y est pas pour rien.
L’ombre de l’antijudaïsme chrétien d’antan, qualifiant les juifs de peuple déicide, et n’espérant pour ce dernier que sa disparition dans la conversion au christianisme, pèse à juste titre sur nos consciences. Nous pouvons être tentés de nous délivrer du poids de la culpabilité de cet antijudaïsme chrétien, qui a constitué l’une des sources de l’antisémitisme européen ayant mené au génocide des juifs d’Europe, en nous interdisant tout discours critique vis-à-vis de l’État d’Israël.
L’État d’Israël n’est pas le judaïsme
L’État d’Israël n’est pourtant pas le judaïsme. L’actuel gouvernement de l’État d’Israël, d’extrême droite, est loin d’être parfaitement représentatif du peuple de l’État d’Israël, et le peuple de l’État d’Israël ne correspond certainement pas sans condition au peuple de l’Israël biblique. Critiquer le gouvernement actuel de l’État d’Israël n’est pas critiquer le judaïsme. Le critiquer au nom des valeurs du judaïsme – l’hospitalité envers l’étranger, la préférence pour le pauvre et le faible, la perpétuelle insistance sur la justice sociale – est au contraire un hommage rendu au souffle des prophètes.
Au nom des traditions juives, sources auxquelles les chrétiens s’abreuvent, il est temps d’en appeler à la justice et à la paix par des actions effectives. L’affirmation du Psalmiste selon laquelle « Justice et paix s’embrassent » (84, 11) signifie que nulle paix durable ne peut être construite sur une injustice flagrante. Être « artisan de paix » (Matthieu 5, 9) ne saurait évidemment se réduire à viser le seul maintien de l’ordre, si ce dernier est injuste, mais consiste à mettre en œuvre un ordre juste et à « briser tous les jougs » (Isaïe 58, 6).
Goliath contre David
L’actuel comportement de l’État d’Israël, jouant du droit du plus fort, profitant de l’absence de réactions occidentales et du financement états-unien, compromet l’établissement de la paix à long terme et prépare des violences futures de manière désespérante. Il n’est absolument plus possible de présenter les actuelles attaques conduites à Gaza comme des représailles légitimes à la suite des horribles massacres du 7 octobre et du maintien en captivité des otages, dont la libération reste urgente. Elles sont disproportionnées, démesurées, extrêmement violentes et meurtrières, et en contradiction avec le droit humanitaire le plus élémentaire.
Le questionnement en cours, mené à l’ONU à l’initiative de l’Afrique du Sud, au sujet de la potentielle intention génocidaire de ces attaques, indique à lui seul, et sans qu’il soit besoin d’attendre les suites juridictionnelles, que les bornes de la décence et du droit de la guerre ont depuis longtemps été franchies. Se taire à ce sujet en affirmant que « c’est compliqué » revient à choisir Goliath contre David, les premiers contre les derniers, les riches contre les pauvres, les puissants contre les humbles. Les valeurs juives doivent être brandies contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou.
Qui est mon prochain ?
En mettant un terme à l’accusation de peuple déicide, en s’intéressant à d’autres interprétations de la Bible que les lectures christo-centrées, le concile Vatican II a ouvert de manière heureuse un nouveau chapitre des relations judéo-chrétiennes, nettement plus décent, respectueux et fertile. Chez certains chrétiens à tendance identitaire, ce rapprochement souhaitable se double d’un effet contre-productif de constitution d’un bloc judéo-chrétien opposé à une altérité musulmane. Ils vont jusqu’à voir dans la guerre en cours une sorte de guerre de religion, quand il s’agit dans les faits d’une guerre coloniale et d’une oppression asymétrique.
La question qui se pose à nous dans ce contexte est celle de l’Évangile : qui est mon prochain ? Une réponse superficielle indiquerait que c’est celui qui est proche de moi, qui me ressemble, qui n’est pas mon lointain. Certains intellectuels chrétiens occidentaux, arguant de la proximité forte unissant juifs et chrétiens, Occident et État d’Israël, se sentent un devoir de prendre fait et cause pour ce dernier. L’Évangile indique pourtant une tout autre définition : le prochain est l’étrange ou l’étranger, celui qui ne me ressemble pas, qui s’approche de moi et en appelle à ma responsabilité.
Leur visage nous oblige
Les chrétiens d’Occident s’identifient difficilement aux Arabes palestiniens, que ceux-ci soient musulmans ou même chrétiens. Cela en fait d’autant plus nos prochains. L’injustice qu’ils subissent, que seul le déni peut rendre invisible, nous appelle. Comme le dirait Emmanuel Levinas, leur visage, dans son actuelle vulnérabilité, nous oblige. Ne rien faire revient à dépasser l’homme souffrant que l’on a pourtant vu, au lieu de s’arrêter dans notre marche comme le Bon Samaritain auquel nous affirmons vouloir ressembler (Luc 10, 25-37).
Nous professons être disciples d’un Juif galiléen qui nous invite à prendre fait et cause pour celui qui subit l’oppression. Nous sommes horrifiés par la puissance de destruction actuellement à l’œuvre à Gaza et nous refusons d’en être complices par notre silence gêné. Nous voulons porter la voix de nos frères et sœurs palestiniens devant nos dirigeants et, à la fois comme membres de la société civile de notre pays et au nom de l’Évangile, participer à construire une voie française pour la construction de la justice et la paix, qui ne peuvent aller l’une sans l’autre.