Iran-Israël : l’appel à la désescalade de Joe Biden irrite ses opposants
Ses plus récentes déclarations ont suscité une polémique…
Le président américain Joe Biden plaide depuis lundi pour une désescalade entre Iran et Israël… Une approche qui ne ferait en vérité qu’accroître le risque d’embrasement, selon ses détracteurs.
Israël a pris soin de prévenir jeudi les États-Unis qu’il prendrait des mesures de rétorsion contre l’Iran dans les jours à venir, d’après le récit d’un haut fonctionnaire américain cité par la chaîne de télévision CNN ce vendredi. Lequel a précisé : « Nous n’avons pas approuvé la riposte. »
Des explosions ont été constatées tôt vendredi près d’Ispahan, dans le centre de l’Iran. Mais l’État israélien n’a pas confirmé qu’il s’agit d’une éventuelle riposte aux tirs de trois cents drones et missiles perpétrés dans la nuit du 13 au 14 avril contre Israël. Ces frappes n’avaient occasionné aucun décès. À peine quelques bâtiments avaient été endommagés, preuve de l’efficacité de la défense israélienne et de ses alliés, rapporte Media part.
Retour en urgence de Biden à la Maison Blanche pour des consultations sur l'escalade au Moyen-Orient
Près d’une semaine après cette offensive inédite, le débat va bon train sur la manière dont les États-Unis doivent se positionner. Joe Biden doit-il se montrer plus ferme avec Téhéran pour prévenir toute escalade dans la région ? Doit-il au contraire forcer Israël à la retenue, quitte à tendre un peu plus ses relations avec Benyamin Netanyahu ?
De toute évidence, le démocrate a fait le choix de la seconde option. Plutôt que de prononcer une allocution télévisée à la suite de l’attaque, comme l’a envisagé son entourage, il a laissé son porte-parole sur les questions de sécurité nationale, John Kirby, assurer la communication. Aux yeux de ses conseillers et conseillères, une intervention solennelle depuis la Maison-Blanche aurait provoqué Téhéran et mis de l’huile sur le feu, d’après le site Politico.
Une riposte militaire israélienne
Dans un appel téléphonique avec Benyamin Netanyahu, Biden a aussi indiqué que les États-Unis ne soutiendront pas une quelconque riposte militaire israélienne afin d’éviter d’être aspirés dans un conflit plus large. Son gouvernement a préféré annoncer, jeudi 18 avril, des sanctions financières contre des individus et entités liés au programme de drones iranien, ainsi que des entreprises qui fournissent des matériaux au secteur de l’acier, une manne financière importante pour le pays. Objectif : « Dégrader et perturber des aspects clés des activités malveillantes de l’Iran », a déclaré la ministre Janet Yellen en dévoilant les mesures.
Cette approche précautionneuse et mesurée est caractéristique du démocrate. Il l’applique dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, où sa décision de freiner l’envoi de certains types d’armes et d’équipements, comme des avions de chasse, pour éviter toute escalade avec Moscou, a provoqué de la frustration à Washington comme à Kyiv.
Sur le plan politique, la situation a au moins un avantage pour Joe Biden. Alors qu’il faisait l’objet de pressions de la part de l’aile gauche de son parti et de plusieurs personnes modérées au Congrès pour restreindre, voire couper l’aide militaire envoyée tous les ans par Washington à Israël, l’offensive iranienne montre que son engagement pour la défense de son allié est justifié.
Il a d’ailleurs réagi sur l’épisode pour mettre la pression sur la Chambre des représentants qui, après plusieurs mois de blocage en raison de l’opposition d’élu•es d’extrême droite, doit se prononcer d’ici à samedi sur une enveloppe d’aides diverses à Israël d’un montant de plus de 26 milliards de dollars. Il a publié mercredi une tribune dans le journal de droite The Wall Street Journal pour exhorter les député•es à être « courageux » dans « ce moment charnière ». Le texte devrait être adopté facilement avec l’appui de parlementaires des deux partis.
La plupart des Américains
N’en déplaise aux électeurs et électrices progressistes qui menacent de ne pas voter pour le président sortant le 5 novembre s’il ne change pas sa politique. « La plupart des Américains ne soutiennent pas les ennemis d’Israël. Si Biden s’oppose trop fermement à l’État hébreu, ses adversaires politiques pourraient le dépeindre comme laxiste envers le terrorisme et les autocrates comme Bachar al-Assad en Syrie », rappelait à Mediapart Jeffrey A. Friedman, auteur d’un ouvrage sur la présidence états-unienne à l’épreuve des affaires internationales, début avril.
La réponse de Biden, « incroyablement faible » ?
Sans surprise, les opposant•es de Joe Biden l’ont quand même critiqué pour son manque de fermeté. Dans une tribune parue jeudi dans The Hill, un média conservateur, l’ancien militaire Jonathan Sweet et le journaliste Mark Toth l’ont accusé d’être « paralysé par la peur de l’escalade » et de se faire balader par la République islamique. En effet, en annonçant qu’il ne souhaitait pas voir un embrasement de la région, l’ancien vice-président aurait signalé à l’Iran que les États-Unis ne riposteraient pas à de futurs actes d’agression, selon les auteurs.
Ils reprochent surtout au « commandant en chef » de n’avoir pas réagi immédiatement aux « 170 attaques contre des bases américaines au Proche-Orient par des groupes affiliés à l’Iran depuis le 17 octobre ». « Il a fallu attendre l’attaque contre Tower 22 [la base en Jordanie où trois militaires états-uniens sont morts en janvier lors d’une attaque de drones commise par une milice soutenue par l’Iran – ndlr] pour qu’on ait une réaction, ont-ils écrit. Le fait que Biden n’ait rien fait pour empêcher l’Iran de franchir la ligne rouge ne fait qu’ouvrir la voie à de nouvelles escalades. Défendre, protéger et contenir n’ont rien dissuadé. La montée des tensions est assurée. »
Gabriel Scheinmann partage cet avis. Directeur de l’Alexander Hamilton Society (AHS), organisation indépendante dédiée aux échanges sur les relations internationales, il juge la réponse de Biden « incroyablement faible ». « Ce qu’il considère comme de la retenue est perçu par Téhéran comme une faiblesse et par Israël comme un apaisement. Cela encouragera probablement de nouvelles attaques iraniennes, contrairement à ce qu’il souhaite. De plus, rien ne prouve que l’Iran souhaite une désescalade, puisqu’il a choisi de son propre chef d’attaquer Israël, de viser des cibles américaines et des navires commerciaux depuis des mois. »
Pour d’autres, cette situation reflète l’absence de stratégie de l’administration Biden envers l’Iran. Alors que Barack Obama avait compté sur l’accord sur le nucléaire de 2015 pour améliorer la relation avec Téhéran et que Donald Trump avait opté pour une posture beaucoup plus hostile, la politique du locataire actuel de la Maison-Blanche est moins claire.
L’accord sur le nucléaire, qu’il avait tenté de relancer à son arrivée au pouvoir, est en lambeaux, et les contacts directs entre les deux capitales sont inexistants. « Malgré l’attaque du Hamas le 7 octobre et tout ce qui s’est passé depuis, la politique de Biden reste de tenter de ressusciter l’accord nucléaire. Et ce, même si l’Iran a maintenant attaqué Israël et fourni les mêmes drones et missiles à la Russie pour qu’elle les utilise en Ukraine », regrette Gabriel Scheinmann.
Dans sa tribune dans le Wall Street Journal, le démocrate a insisté sur le fait que la désescalade était dans l’intérêt des États-Unis. « Si l’Iran réussit à intensifier significativement son assaut contre Israël, nous pourrions être entraînés, affirme-t-il. Israël est notre partenaire le plus puissant au Moyen-Orient ; il est impensable que nous restions les bras croisés si ses défenses étaient affaiblies et si l’Iran était capable de procéder aux destructions qu’elle envisageait avec l’attaque du week-end dernier. »