Retrait français du Niger : Paris «ne pas devrait cesser ses rapports diplomatiques et militaires»
Le président Emmanuel Macron a déclaré que la France retirerait son ambassadeur et mettrait fin à toute coopération militaire avec le Niger à la suite d'un coup d'État.
Une décision qui creuse encore un peu plus le fossé entre la France et ses partenaires traditionnels africains. Regards croisés.
«La France a décidé de retirer son ambassadeur. Dans les prochaines heures, notre ambassadeur et plusieurs diplomates reviendront en France», a déclaré M. Macron à l’occasion d’une interview présidentielle sur France 2. Il a ajouté que la coopération militaire était «terminée» et que les troupes françaises partiraient dans « les semaines et les mois à venir.»
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Le régime militaire nigérien au pouvoir a salué en soirée l’annonce du président français. «Ce dimanche, nous célébrons la nouvelle étape vers la souveraineté du Niger. Les troupes françaises ainsi que l’ambassadeur de France quitteront le sol nigérien d’ici la fin de l’année. C’est un moment historique qui témoigne de la détermination et de la volonté du peuple nigérien», énonce un communiqué des militaires au pouvoir, lu à la télévision nationale.
Environ 1 500 soldats français sont présents dans ce pays enclavé d'Afrique de l'Ouest pour aider à lutter contre les militants islamistes. Les États-Unis ont également plus de 1 000 soldats au Niger, mais il ne leur a pas été demandé de partir.
Les putschistes «ne veulent pas combattre le terrorisme»
La décision de Paris fait suite à des mois d'animosité et de protestations contre la présence française dans son ancienne colonie, avec des manifestations régulières dans la capitale Niamey.
«On ne peut pas parler de divorce, le mot est trop dur», estime Tiambel Guimbayara Directeur de Publication de la Voix du Mali au micro d’Al-Ain News. Le journaliste malien spécialiste de la région tire toutefois la sonnette d’alarme sur les relations entre le Niger et la France. Mais aussi plus largement sur les relations entre la France et les pays d’Afrique de l’Ouest.
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Au niveau de la perception des populations déjà, ce retrait «renforce à travers le continent l’idée d’une victoire panafricaine sur la politique française impérialiste. Cela renforce ce courant de pensée, qui est existant», affirme notre interlocuteur. Une idée qui fait selon Paris l’objet d’une récupération politique de la part des putschistes qui en jouent.
Pourtant, les voix officielles -ou non- françaises n’ont de cesse de le répéter : la Francafrique, concept hérité des rapports de dominations post-coloniaux entre la France et ses anciennes colonies, c’est fini.
«Cet âge de la Françafrique est bien révolu et j'ai parfois le sentiment que les mentalités n'évoluent pas au même rythme que nous quand je lis, j'entends, je vois qu'on prête encore à la France des intentions qu'elle n'a pas, qu'elle n'a plus», expliquait en mars 2023 le Président Macron devant la communauté française au Gabon. « Il n’y a plus de Francafrique », a-t-il rappelé sur le plateau de France 2 ce 24 octobre.
Une réalité observable dans les faits analyse Ken Opalo, Professeur assistant à la School of Foreign Service de l'université de Georgetown, dans un billet d’analyse au Grand Continent. En effet, la part des importations de la France à partir de ses anciennes colonies s’élevait à un maigre 2,52%. Ainsi, «la domination française sur les économies francophones n’est tout simplement plus ce qu’elle était. Si le franc CFA peut encore exister en tant que mécanisme important de transmission de l’influence de Paris, le mécanisme commercial s’est considérablement affaibli au cours des deux dernières décennies», explique le chercheur.
Avec ce retrait significatif de soldats français, le pays et la région entière se fragilise. Or, il est probable qu’une multiplication des violences djihadistes soient perçues -à tort ou à raison- par les populations locales comme la résultante du retrait français estime Tiambel Guimbayara.
«Il serait malheureux qu’un pays comme la France, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU soit perçu comme traitant légèrement de la question du terrorisme en se désengageant de ce pays alors qu’Emmanuel Macron avait affirmé sa détermination dans ce combat quelques jours auparavant», prévient Directeur de Publication de la Voix du Mali.
Face à cette situation, «Est-ce que c’est à nous de nous occuper de leur politique intérieure?», interroge au micro de Franceinfo l’ancien ambassadeur Gérard Araud. Pour ce dernier, «Ce sont des pays indépendants, ce sont des pays qui doivent avoir leur propre destin et le définir librement. Ce n’est pas à la France d’être le Zorro des démocraties dans le reste du monde.»
Comme le rappelait Olivier Crone, ancien conseiller politique de l’Union européenne, au micro de Al-Ain, «au Sahel les intérêts sont principalement sécuritaires.»
Et sur ces questions, il y a désormais un fossé entre Paris et Niawey. Le Président français estime pour sa part qu’il n’y a pas réelle volonté politique et militaire de vaincre le djihadisme à Niamey aujourd’hui. Les putschistes «ne veulent pas combattre le terrorisme», a indiqué le président français.
«Les principes ne suffisent plus»
«C’est facile de le dire», rétorque Tiambel Guimbayara. «Jusqu’à preuve du contraire, ces pays luttes, leurs soldats meurs, ils ont aussi d’autres partenaires dans cette lutte.» Les attaques djihadistes n’ont pas perdu en intensité ces derniers mois. En août, un détachement des forces spéciales nigériennes est tombé dans une embuscade sur la route nationale reliant les localités de Boni et de Torodi, à l’ouest de Niamey, en direction de la frontière avec le Burkina Faso. Selon un bilan provisoire du ministère de la défense nigérien, au moins dix-sept soldats ont été tués et vingt autres blessés. L’une des attaques les plu meurtrières de l’été.
Ainsi, afin de retrouver stabilité et sécurité, notre interlocuteur invite à «s’interroger sur l’avenir de ces relations.»
«Les principes ne suffisent plus», selon lui. Et d’ajouter, «lier la reprise de la coopération à la tenue d’élections et de principes démocratiques ne suffisent plus.»
«Il ne faut pas le nier, les putsch ont une assise populaire. La France et la communauté internationale doivent prendre en compte cette dimension», ajoute le journaliste malien.
Aujourd’hui la France est dans un principe de non-collaboration et de non-reconnaissance de gouvernements qui ne sont pas démocratiquement élus. Or, «dans les pays ou des changements non constitutionnels interviennent dans des conditions particulières, la France ne devrait pas cesser ses rapports diplomatiques et militaires», insiste Tiambel Guimbayara, car selon lui «quoiqu’on dise, la France reste un partenaire privilégié du Niger et de ces pays sahéliens.»