Le Sahel, nouvelle régence d’un narcoterrorisme sophistiqué et coopératif (1)
Le Sahel sera, selon le conseil des agences de renseignements américain NIC (National Intelligence Council), la région du monde la plus exposée aux activités terroristes d’ici 2025.
Attentats, massacres, déplacements de populations, assassinats ciblés… les activités et les méthodes se multiplient en défiant toutes les forces et politiques de pacification. Quels sont ces réseaux terroristes que rien ne semble pouvoir arrêter ?Quelle est leur composante ? Quelles sont leurs méthodes et leurs sources de financement ? Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire et études de défense, chercheur associé au Centre National des Arts et Métiers CNAM, nous livre son analyse.
En dépit de nombreux efforts internationaux et régionaux déployés tout au long de la dernière décennie pour venir à bout du terrorisme au Sahel, ce phénomène semble gagner de plus en plus de terrain, se renforcer et se diversifier. Pourriez-vous nous faire un état des lieux des groupes et des activités terroristes dans cette région ?
Permettez-moi tout d’abord de rappeler que le terrorisme (ou les terrorismes) est un phénomène mondial qui touche tous les continents. Il prend différentes formes et peut être classé par portée géographique (régionale, nationale ou internationale) ou par sa cible (ethno-nationaliste, idéologie politique et/ou économique, problématique religieuse ou spécifique). C'est pourquoi chacun a des caractéristiques différentes. Les acteurs étatiques armés jouent un rôle majeur au Sahel, que ce soit en tant qu'instigateurs de conflits violents ou en tant qu'organisations émergentes dans les conflits en cours.
Figurent dans ces entités les gangs urbains, milices, insurgés, bandits, pirates, contrebandiers ou trafiquants de drogue, organisations criminelles organisées et forces paramilitaires de "seigneurs de la guerre". Leurs idéologies, objectifs, stratégies, modes d’organisation, base de soutien, légitimité et degré de reconnaissance nationale et internationale varient considérablement, mais ces groupes armés non étatiques ont cependant en commun de saper l'autorité et la légitimité de l'État et de corrompre le tissu social de la société. Il y a inévitablement des lacunes et des insuffisances dans la capacité des États du Sahel à faire face à un éventail de défis de sécurité non traditionnels.
En Afrique, les groupes armés ont proliféré depuis la décennie 1980 et ont accru leur capacité de nuisance, souvent létale. Ils se sont diversifiés en terroristes, insurgés, criminels et milices, selon des variables comme vision, mission et moyens employés. Malgré leurs objectifs stratégiques divergents, les terroristes, les criminels et les insurgés semblent de plus en plus collaborer. De nombreux observateurs estiment que les groupes terroristes et les réseaux criminels transnationaux partagent plusieurs caractéristiques, méthodes et tactiques. Il existe de nombreux exemples démontrant qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence, mais sont indicatifs d'une tendance traduisant une menace croissante pour les intérêts de sécurité de nombreux pays.
Lors de la dernière décennie, les terroristes ont poursuivi leurs offensives au Burkina Faso et au Mali ; Daech a pris le contrôle de zones en Égypte ; Les attaques d'Al Shabaab (fondé début 2004 et idéologiquement affilié à Al-Qaïda) ont déplacé de nombreuses personnes en Somalie, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) a multiplié les attaques en République démocratique du Congo ; et le désordre politique est resté élevé au Kenya après que William Ruto a été proclamé président.
Au Burkina Faso, la violence est restée élevée dans les régions de l'Est et du Centre-Nord alors que les terroristes se livraient à des affrontements armés avec les forces militaires et les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). La Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affiliée à Al-Qaïda, est restée l'acteur le plus violent.
Au Mali, Daech au grand Sahara (EIGS) a intensifié ses offensives, entraînant les niveaux de violence les plus élevés dans les régions de Gao et Ménaka ( dans l’Est). L’ISGS, un sous-groupe opérationnellement indépendant de Daech en Afrique de l'Ouest (EIAO) ou la Province d'Afrique de l'Ouest de Daech PAOEI), opère dans la région du Liptako-Gourma au Sahel, qui comprend des parties du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
Les militants de l’EIGS se sont affrontés avec les Forces armées maliennes (FAMa), les mercenaires du groupe Wagner et les casques bleus de l'ONU (MINUSMA), tout en menant des attaques meurtrières contre des civils de l'ethnie touareg et dawsahak.
Ces tendances contribuent à une augmentation de 119 % des événements violents hebdomadaires dans la région de Ménaka au cours du mois de juillet 2022 par rapport à la moyenne hebdomadaire de l'année précédente signalée par l’ACLED’s Subnational Threat Tracker. Il y a aussi le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), la branche officielle d’Al-Qaida au Sahel, qui met à mal l'armée malienne.
Une coalition djihadiste regroupant plus de 2000 à 3000 hommes armés (Selon les forces françaises au Sahel), le GSIM regroupe plus de 2000 à 3000 hommes armés, le GSIM est une force supérieure à l'autre grande organisation djihadiste dans la région, l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Le GSIM regroupe depuis 2017 plusieurs groupes qui se sont unis sous la même bannière du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans : Ansar Dine (créé en 2012 par Iyad Ag Ghaly), la katiba Macina (créée par Amadou Koufa en 2015), et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, dirigé par l'Algérien Droukdal jusqu'à sa mort en juin 2020 au Mali et dont l'actuel chef est une figure du terrorisme en Algerie , Abou Oubaïda Youssef al-Annabi).
Au Nigéria, la Province d'Afrique de l'Ouest de Daech (PAOEI) a concentré son offensive dans l'État de Borno (Nord-Est), ce qui a entraîné des niveaux élevés de violence. La PAOEI s'est battu contre Boko Haram dans la zone de gouvernement local (LGA) de Gubio pour la suprématie dans la région. La violence a continué d'augmenter sensiblement selon l’organisation américaine de bases de données sécuritaires ACLED’s Subnational Threat and Surge Tracker.
À suivre