Abéché, carrefour des vents et des drones : la nouvelle donne militaire tchadienne
Le vent chaud et poussiéreux d’Abéché balaie la vaste plaine sahélienne où, jadis, ne régnaient que le silence et l’écho lointain des caravanes nomades.
Désormais, c’est un autre bruit qui s’élève dans le ciel du Tchad : celui des drones turcs qui survolent les confins du désert, porteurs d’une nouvelle ère pour l’armée tchadienne.
Le 16 janvier 2025, un accord a été conclu entre N’Djamena et Ankara, scellant le destin de cette ville stratégique qui deviendra le cœur battant de la coopération militaire entre les deux nations.
Une alliance forgée dans les cieux
L’histoire ne date pas d’hier. Dès février 2023, le Tchad, en quête d’un renouveau technologique, passait commande auprès de la Turquie.
Non pas chez Baykar, le fabricant du célèbre Bayraktar TB2, mais chez Turkish Aerospace Industries (TAI), préférant les ANKA-S, ces sentinelles silencieuses capables de surveiller, traquer et frapper avec une précision chirurgicale.
Juillet 2023 : deux ANKA-S MALE prennent leur envol sous le drapeau tchadien. Un premier pas vers une autonomie stratégique. Mais face aux incursions de Boko Haram, l’exigence monte d’un cran.
Il faut plus grand, plus puissant. C’est ainsi qu’arrive l’AKSUNGUR, un drone de combat plus robuste, livré le 21 avril 2024 et présenté à la nation par le président Mahamat Déby en personne.
Feu et ombres sur le Lac Tchad
Novembre 2024. Le silence du crépuscule est déchiré par le rugissement d’explosions ciblées. L’opération “Haskanite” se déroule dans l’obscurité, guidée par les yeux infaillibles des drones turcs.
Dans les méandres du Lac Tchad, des embarcations suspectes sont anéanties. L’armée tchadienne clame victoire. Mais dans l’ombre, des voix s’élèvent : des pêcheurs auraient péri sous les frappes. Balle perdue ou erreur fatale de ciblage ? La guerre des récits commence.
Abéché, plaque tournante d’un Tchad en mutation
La base aérienne d’Abéché ne sera pas qu’un simple point d’ancrage. Elle sera un pivot stratégique. L’État tchadien, en quête de modernisation, y voit un outil de transformation profonde :
• Un bouclier face aux périls extérieurs : À l’est, le Soudan s’embrase. Au nord, les vents sahariens charrient des menaces insaisissables. Avec des yeux électroniques postés en permanence, le Tchad espère verrouiller ses frontières.
• Une indépendance militaire renforcée : Le départ de la France rebat les cartes. Désormais, le Tchad joue ses propres pions, et Ankara en est un allié clé.
• Un tremplin vers l’influence turque en Afrique : Abéché n’est qu’un maillon. En Somalie, une base similaire émerge, dédiée aux satellites et aux recherches aérospatiales. La Turquie avance ses pièces sur l’échiquier africain, avec une patience stratégique digne des empires anciens.
L’échiquier géopolitique se redessine
L’accord d’Abéché ne se limite pas à un simple échange d’équipements militaires. Il marque un tournant, un signal adressé aux puissances traditionnelles du Sahel.
• Fin de l’ère française ? Le départ de Barkhane a laissé un vide que d’autres s’empressent de combler.
• Nouvelle dynamique africaine : La Turquie, en fin stratège, s’insère dans cette brèche, tissant des liens militaires et économiques là où d’autres reculent.
• Vers une militarisation accrue du Tchad ? Si le ciel d’Abéché s’anime de drones, c’est aussi un pas vers une doctrine de défense plus musclée, qui pourrait remodeler la région.
Entre espoir et incertitudes
Alors que les premiers contingents turcs foulent la piste d’Abéché, une question demeure : cette coopération sera-t-elle le moteur d’une souveraineté retrouvée ou une nouvelle dépendance sous un autre drapeau ? Le vent d’Abéché souffle sa réponse dans le sable, à ceux qui savent écouter.
Par Olivier d’Auzon