Au Burkina Faso, les opposants à Ibrahim Traoré réduits au silence
Les arrestations et « réquisitions » de personnalités critiques contre la junte d’Ibrahim Traoré se multiplient. Dernier épisode en date : la disparition de deux jeunes cadres du Balai citoyen, mouvement phare de la société civile burkinabè.
À chaque fois, le mode opératoire est le même : des hommes encagoulés se présentant comme des « agents de la sûreté de l’État » interpellent une personnalité et l’embarquent vers une destination inconnue. Ablassé Ouédraogo, 70 ans, ancien ministre des Affaires étrangères, Guy-Hervé Kam, avocat et leader du mouvement politique Sens, Daouda Diallo, pharmacien et secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC)… Toutes ces personnalités jugées hostiles par la junte du capitaine Ibrahim Traoré ont été « réquisitionnées » pour participer à la lutte contre les groupes jihadistes, rapporte Jeune Afrique.
En septembre dernier, Traoré avait initié une purge dans les rangs de l’armée après l’annonce d’une tentative de coup d’État. Quatre officiers avaient été mis aux arrêts dans cette affaire – et un autre tué lors de son interpellation quelques jours plus tard. Ces hommes sont toujours en détention. Mi-janvier, c’était au tour du lieutenant-colonel Evrard Somda, ex-chef d’état-major de la gendarmerie nationale et proche de l’ex-président Paul-Henri Sandaogo Damiba, avec lequel il a étudié au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) en 1993, d’être enlevé à son domicile de Ouagadougou par des hommes armés en treillis. D’autres officiers, ainsi que des civils, avaient aussi été arrêtés.
Le Balai citoyen visé
Les 20 et 21 février, deux cadres du Balai citoyen, Rasmane Zinaba et Bassirou Badjo, ont été interpellés dans la capitale burkinabè – le premier chez lui et le second sur son lieu de travail. Leurs proches sont sans nouvelles mais tout laisse à penser qu’ils ont, à leur tour, été envoyés de force dans les rangs des Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), les supplétifs civils de l’armée.
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Piliers du Balai citoyen, mouvement de la société civile à la pointe de l’insurrection populaire contre Blaise Compaoré, en 2014, Bassirou Badjo et Rasmane Zinaba avaient tous deux été réquisitionnés par les autorités de transition, en novembre dernier, pour rejoindre l’armée. Zinaba, comme Me Kam, avait saisi la justice pour faire annuler cette réquisition qu’il jugeait illégale et illégitime.
Une société civile neutralisée
« Nous assistons à la déconstruction, à grands coups d’arrestations et d’enlèvements extrajudiciaires, de la société civile burkinabè qui s’est construite après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en 1998. Ses membres ont joué un rôle moteur dans le départ de Blaise Compaoré, en 2014, avec le Balai citoyen en première ligne. De fait, avec cette société civile active et vibrante, le Burkina Faso était une référence en matière de liberté d’expression en Afrique de l’Ouest », décrypte un analyste politique travaillant dans une ONG active en Afrique de l’Ouest. Pour lui, la mise en cause des libertés publiques est la résultante de la résurgence des mouvements armés ayant sapé la sociale démocratie burkinabè.
Ces enlèvements ont créé une psychose au sein de l’opinion publique burkinabè. « Les gens ont peur d’exprimer leur opinion en public. IB [le surnom donné à Ibrahim Traoré] a réussi à imposer un climat de terreur. Voir Ablassé Ouédraogo humilié de la sorte [dans une vidéo le montrant en tenue militaire, une kalachnikov à la main] est forcément touchant. Quel danger peut-il représenter à son âge pour qu’on l’humilie à ce point ? », juge l’analyste cité plus haut qui déplore le « silence face à un régime de terreur ». « Les partis n’existent plus. Il n’y a plus de débats politiques en dehors de la mouvance du capitaine Traoré. C’est une manière d’asseoir et de confisquer le pouvoir sur le long terme », conclut cette source.