Au Tchad, le président candidat Déby Itno se raconte… Et c’est surprenant !
À un mois de la présidentielle du 6 mai, Mahamat Idriss Déby Itno publie une autobiographie au ton personnel.
De Hinda Deby Itno à Moussa Faki Mahamat en passant par Idriss Youssouf Boy, une brochette de personnalités tchadiennes connues n’en sortent pas indemnes.
L’exercice quasi obligé du livre de campagne électorale est en général bien fastidieux, tant l’autopromotion y est omniprésente. Mais il arrive qu’il ne manque ni d’intérêt, ni de sincérité. Tel est le cas de l’autobiographie de 176 pages signée Mahamat Idriss Déby Itno, parue chez VA Éditions à Paris, dont la sortie officielle a donné lieu à une séance de dédicaces au palais présidentiel le 4 avril, en présence du tout-N’Djamena. Le président de la transition du Tchad et candidat à sa succession le 6 mai prochain y retrace son propre itinéraire, affirmé François Soudan dans son article au Jeune Afrique.
Premiers combats en tant que chauffeur
« À 5 ans, mon quotidien c’était d’emmener les animaux de ma famille au puits. » Ainsi commence De Bédouin à Président, ou l’histoire d’un enfant de la brousse déscolarisé jusqu’à l’âge de 7 ans, élevé par sa grand-mère gorane avec pour seul horizon les pâturages du Nord Kanem, et que son père Idriss Déby Itno, alors conseiller à la sécurité de Hissène Habré, finit par appeler à ses côtés pour lui donner un autre destin.
Ce sera l’école française Montaigne de N’Djamena, puis un collège parisien, un internat catholique en Champagne, le bac à Abéché, la préparation militaire à Aix-en-Provence et l’école d’officiers de la capitale tchadienne. À en croire le récit, le jeune Mahamat participe à ses premiers combats contre des colonnes rebelles en tant que chauffeur d’un colonel en 2006, avant de récidiver en novembre 2007 et de concourir aux côtés de son père à la défense du palais présidentiel de N’Djamena encerclé, en février 2008.
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Après un stage de formation à la conduite de blindés en Ukraine, Mahamat est envoyé au Mali comme commandant adjoint du contingent tchadien, dûment muni d’une amulette de protection offerte par Idriss Déby Itno, qui lui sera bien utile, dit-il, lors des féroces combats de l’Adrar des Ifoghas contre les katibas jihadistes. Désormais général, le voici nommé en 2014 à la tête de la plus grande formation de l’armée tchadienne, la Direction générale de service de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE), de loin la mieux dotée et forte de 30 000 hommes. La garde prétorienne du régime.
Son père refuse sa démission
Jusque-là quasi idylliques, ses relations avec son maréchal de père ne vont pas tarder à se dégrader. Il l’apprendra plus tard, raconte-t-il, mais un marabout a assuré à ce dernier que son successeur portera le prénom de Mahamat et sera issu du même clan que lui. Dès lors, le président le boude et se méfie de lui, d’autant que sa belle-mère Hinda, la première dame, ne cesse de murmurer à l’oreille de son mari que Mahamat fomente un coup d’État contre lui.
Fragilisé, déstabilisé, Mahamat avoue avec une étonnante sincérité qu’il sombre dans l’alcool et la dépression avant de présenter sa démission, un jour de mars 2020. Son père finit par la refuser, non sans hésitation, après quelques jours de réflexion et une explication franche avec son fils. Requinqué et débarrassé de ses démons, Mahamat repart au front, cette fois contre Boko Haram, dans la région du lac Tchad. Mais cet épisode laissera des traces dans ses relations avec Hinda, même s’il assure lui avoir pardonné. Aujourd’hui, il « la protège, alors que beaucoup de gens lui veulent du mal ».
De la mort au combat du maréchal, il y a trois ans, le 19 avril 2021, qu’il dit avoir appris au retour du front par un appel téléphonique du commandant en chef de l’armée de l’air, aux circonstances exactes de son accession au pouvoir, le livre n’apprend rien que l’on ne sache déjà, si ce n’est que, consulté sur le choix du futur président de la transition, Mahamat affirme avoir recommandé que son frère Kérim, alors directeur du cabinet civil du défunt, soit désigné.
« Je ne me suis pas fait pour être président, aurait-il répondu au chef d’état-major général venu le solliciter. Kérim, étant donné ses fonctions et sa connaissance de l’appareil d’État, est un président de transition idéal. » Mais ce dernier refuse la proposition, lors d’une réunion nocturne des membres du comité militaire, avec cet argument déterminant : « Mahamat est le chef de la garde. Il est le seul qui puisse être accepté par l’armée. » Pour celui qui est alors propulsé à la tête de l’État, « cette cooptation croisée entre deux frères est un signe de Dieu. Cela aurait pu être lui, Kérim. J’étais prêt à le soutenir. Mais c’est Dieu qui fait le destin. »
La seconde chance d’Idriss Youssouf Boy
De cette autobiographie au ton souvent direct, parfois incisif et dont les derniers chapitres font figure de programme électoral, on retiendra aussi quelques jugements tranchants portés par l’actuel président tchadien à l’égard de personnalités qui, confie-t-il, l’ont déçu. À commencer par le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, qu’il accuse d’avoir manœuvré contre lui dès le début et dont il n’a toujours pas digéré le discours, critique à l’encontre de son père, prononcé lors de l’ouverture du Dialogue national : « Cracher sur un mort, alors qu’il était un ami, un parent, un confident ! »
L’homme d’affaires Abakar Manany, qui fut son ministre d’État avant de basculer dans l’opposition, se voit taxer de « trahison » pour avoir, dit-il, privilégié ses intérêts et ses ambitions. Quant à l’ancien ministre des Affaires étrangères Chérif Mahamat Zene, lui aussi devenu opposant, il ne serait qu’un « communautariste ». Mais le passage le plus étonnant concerne directement son cousin et ami de toujours, Idriss Youssouf Boy.
Lorsque les services de renseignements l’informent que celui qui est alors le secrétaire général de la présidence se serait rendu coupable d’un détournement de 13 milliards de francs CFA avec la complicité du patron de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT), Mahamat Idriss Déby Itno le convoque dans son bureau. La suite, c’est lui qui la raconte : « Idriss, as-tu détourné de l’argent de l’État à la SHT ? » Après un long silence, Boy avoue, confirme le montant, le nom de son complice et son propre rôle. « Je lui offre une chance de se racheter en lui donnant quarante-huit heures pour rembourser. »
Mais son ami d’enfance laisse passer le délai et ne rétrocède rien. « Je n’ai d’autre choix, poursuit Mahamat, que de le faire arrêter avec son complice. » Dix jours plus tard, l’argent est remboursé. Boy et son complice sont relâchés puis acquittés en justice pour vice de forme, et l’ancien secrétaire général retrouve la présidence, cette fois en tant que directeur du cabinet civil, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. « Il a été franc avec moi, il a reconnu son tort, il a remboursé l’argent détourné… J’ai été rassuré que cela ne se produise plus, alors je lui ai donné une seconde chance auprès de moi », conclut-il. Avant d’ajouter : « Vous avez compris comment je fonctionne. »
Mahamat Idriss Déby Itno, qui a eu 40 ans le 4 avril, a tenu à couper son gâteau d’anniversaire en compagnie de Saleh Kebzabo, le seul des trois Premiers ministres de la transition à ne pas s’être porté candidat contre lui le 6 mai prochain. Il lui rend hommage dans son livre, alors qu’il rend responsable son successeur Succès Masra des tragiques événements du 20 octobre 2022 – qu’il qualifie d’ « insurrection » et sur lesquels il ne s’étend guère. « Le Dr Succès Masra voulait être Premier ministre » à la place de Kebzako, écrit-il, « chose que j’ai refusée à l’époque parce qu’il n’a pas reconnu la transition et n’a pas participé aux assises du Dialogue », d’où « les événements malheureux du 20 octobre ». Entre le petit Bédouin devenu président et son principal adversaire, la campagne, qui s’ouvrira le 14 avril, s’annonce peut-être plus surprenante que prévu.