En video..Brésil : Brasilia, chef-d’œuvre d’architecture moderniste vandalisé par les partisans de Bolsonaro
Les partisans de Jair Bolsonaro se sont introduits dans les lieux de pouvoir de Brasilia, capitale du Brésil. Joyaux de l’architecture moderniste, ces bâtiments réalisés par Oscar Niemeyer regorgent d’œuvres d’art dont certaines ont été vandalisées.
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Pour l’historien de l’art Yves Bruand, Brasilia est « la plus belle réalisation de l’urbanisme du XXe siècle ». Des manifestants pro-Bolsonaro y ont convergé en masse dimanche 8 janvier, avant d’entrer de force dans le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême. Les lieux de pouvoir de la capitale brésilienne, réalisations emblématiques de l’architecture moderniste, recèlent des œuvres d’art inestimables. Plusieurs d’entre elles ont été prises pour cibles par les émeutiers, selon la-croix.
Les Mulâtres, une toile du peintre moderniste Di Cavalcanti exposée au palais présidentiel, ont été lardés de plusieurs coups de couteau. D’après le quotidien O Globo, les manifestants qui se sont introduits à la Cour suprême ont aussi renversé une chaise conçue par Jorge Zalszupin et ayant appartenu à Rosa Weber, ancienne présidente du Tribunal fédéral suprême. Un crucifix a été endommagé et une sculpture d’Alfredo Ceschiatti, La Justice, a été recouvert de graffitis.
Une vidéo diffusée sur Twitter montre également un émeutier en possession de ce qui semble être l’exemplaire original de la Constitution brésilienne. Enfin, les manifestants ont dégradé un vitrail installé dans la Chambre des députés et réalisé par Marianne Peretti. Cette artiste franco-brésilienne était la seule femme membre de l’équipe d’Oscar Niemeyer, architecte principal de Brasilia aux côtés de Lucio Costa.
Oscar Niemeyer, poète de la courbe
Lucio Costa a réalisé le plan de la ville, tandis qu’Oscar Niemeyer s’était chargé de penser les bâtiments principaux. Qualifié de poète de la courbe, en opposition à l’un de ses inspirateurs, Le Corbusier, épris de l’angle droit, Niemeyer cherche à exploiter la versatilité du béton pour donner à ses bâtiments des formes inédites.
Connu en France pour avoir réalisé le siège parisien du Parti communiste français, il est l’auteur du palais présidentiel, de la Cour suprême et du Congrès, attaqués dimanche 8 janvier, ainsi que de la cathédrale de Brasilia.
Classée patrimoine mondial de l’Unesco, la ville est l’incarnation architecturale des principes du mouvement moderniste. Le travail de Niemeyer et de Costa parvient à allier « distinction et élégance, audace et nouveauté, puissance et légèreté », affirme Yves Bruand, professeur en histoire de l’art à l’université Toulouse-Le Mirail.
L’architecte-génie
La ville est construite à toute vitesse à partir de rien, entre 1956 et 1960, pour servir de capitale à l’État brésilien. « Nous avons eu l’audace de réveiller un pays endormi depuis quatre cents ans », se vantait le président Juscelino Kubitschek, à l’origine de ce projet pharaonique.
Il s’agit de la « dernière fois qu’une nation entière se range derrière un projet aussi monumental », analyse Martino Stierli, conservateur au MoMA, dans un article intitulé « Oscar Niemeyer et les utopies de Brasilia ». « Cette ville témoigne d’une foi dans le progrès perdue depuis. En outre, le paternalisme de l’architecture moderne, qui impose la vision d’un architecte-génie aux usagers, a été discrédité. »
Brasilia, emblème de la démocratie
Son édification à marche forcée s’effectue par ailleurs au détriment des ouvriers, surnommés « candangos ». Pour construire la nouvelle capitale, 30 000 d’entre eux affluent de tout le pays et la région devient une sorte de Far West brésilien. « Nous travaillions comme des esclaves, quarante-huit heures sans pause », témoignait un ancien candango de 78 ans, interrogé par la BBC en 2010.
Si l’État est aussi déterminé à construire Brasilia, c’est avant tout pour affirmer la nouvelle identité nationale du Brésil. La ville devient « l’emblème de l’espoir d’une jeune démocratie en un futur radieux », explique Martino Stierli. Un rêve écrasé quelques années plus tard par la dictature militaire, qui se maintient au pouvoir jusqu’en 1985. Une période dont Jair Bolsonaro s’est fait le défenseur quand il était président, et dont les partisans ravivent aujourd’hui le spectre.