Carburant: que se passe-t-il au Burkina Faso ?
Nostalgiques sont nombreux Burkinabè des années où régnait une ambiance particulière en ces derniers jours de l'année avec des bousculades dans les magasins et supermarchés pour les emplettes.
Nostalgiques parce qu'à quelques heures du franchissement de l'année 2023 les esprits, cette fois, sont moins à la fête.
Déjà avec une situation sécuritaire qui reste préoccupante, marquée par la persistance d'attaques terroristes et un tableau humanitaire peu reluisant, voire assombri par près de 2 millions de déplacés internes, il s'est, en effet, ajouté une nouvelle angoisse pour les habitants de certaines villes du pays : celle de ne pas trouver de carburant pour sa voiture ou sa mobylette.
Cette denrée, vitale pour le transport et au-delà pour l'économie du pays, est devenue rare comme un merle blanc depuis la publication, en début de semaine, d'un communiqué de la Société nationale burkinabée des hydrocarbures (Sonabhy).
Dans ce texte, la direction générale de la société a annoncé « de fortes perturbations de la distribution du super 91 ».
Les raisons ? « Des opérations de maintenance dans certains dépôts côtiers abritant nos stocks. » Plus loin, elle explique que « ces perturbations interviennent à une période de reconstitution des stocks à l'interne suite (à un) mouvement d'humeur des conducteurs de camions-citernes ».
Non sans préciser que « les négociations avec les partenaires extérieurs n'ont pas permis la reprise immédiate des chargements, qui n'interviendront que début janvier 2023 », la nationale des hydrocarbures ajoutait qu'« en attendant la reprise normale des chargements dans les pays côtiers, la Sonabhy procédera à un plafonnement des quantités servies à 60 % ».
Aller au travail peut attendre
Pour beaucoup, partir en quête de l'essence, devenue une denrée rare, est « un choix difficile mais nécessaire ».
« En tant qu'agent contrôleur de services de nettoyage, je dois être au travail dès 5 heures. Mais aujourd'hui j'ai préféré ne pas me rendre au boulot, d'autant plus que mon essence ne pouvait pas m'y emmener », explique Moumouni Lingri.
La situation s'avère moins aisée pour les personnes travaillant à leur propre compte. Comme Ahmed Sigué, un responsable d'entreprise, qui a profité d'une journée moins chargée pour ravitailler sa voiture. Pour Inoussa Tougma, commerçant, cette rareté de l'essence entraîne des pertes pour son commerce.
« Ces pertes résultent de l'impossibilité de livrer la marchandise aux clients », explique-t-il.
Pour se passer des files d'attente, beaucoup préfèrent mettre le prix chez des spéculateurs qui, à l'aide de bidons ou de jerricanes, se font servir le carburant en quantité dans les stations pour le revendre en détail, après reconditionnement dans des bouteilles.
Chez ces opportunistes revendeurs, le litre d'essence est vendu 2 000 francs CFA (3,04 euros), voire plus, au lieu du prix réglementaire fixé à 750 francs.
Pour barrer la route à cette spéculation, le ministère du Commerce a rappelé « l'interdiction formelle » de la vente de carburant dans des récipients tels que les bouteilles, les bidons et les fûts.
Pour faire respecter cette mesure, déjà en vigueur dans le cadre de la lutte contre l'insécurité, des forces de l'ordre sont déployées dans certaines stations quand elles ne sillonnent pas les rues.
Pas de rupture, selon le gouvernement
De quoi susciter une ruée vers les stations-service. Et très vite une rupture, marquée par des arrêts momentanés de la desserte.
S'exprimant au lendemain du communiqué de la Sonabhy, via la télévision nationale, le ministre chargé du Commerce a tenté de rassurer en ces termes : « Pour la question des hydrocarbures, il n'y a pas de rupture. Nous avons des stocks qui sont au niveau des pays côtiers qui sont en cours de chemin et qui vont arriver incessamment cette nuit ou demain. Je vous rassure : à partir de demain, ce rationnement prendra progressivement fin. Ce qui était prévu pour courant janvier, dès ces deux ou trois jours, la situation rentrera dans l'ordre », a-t-il promis.
Au Point Afrique, le président de l'Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB), Brahima Rabo, a confirmé vendredi la reprise des chargements à l'extérieur en réfutant au passage la thèse d'une pénurie consécutive à « mouvement d'humeur » des conducteurs de citerne.
« Nous n'avons pas eu de grève et nous n'en envisageons pas non plus », a-t-il déclaré. Qu'à cela ne tienne, depuis le communiqué de la Sonabhy, les jours se suivent et se ressemblent dans les guichets à essence : des bousculades et des invectives ou de longues files qui, par endroits, s'étendent sur plusieurs centaines de mètres.
Vendredi, cinquième jour de ce qu'il conviendrait d'appeler les émeutes du carburant. Dans une station de Ouagadougou, un camion vient tout juste de procéder au ravitaillement.
Une foule immense s'impatiente là. Au milieu, Moumouni Lingri. La mine froissée par la lassitude, cet agent contrôleur d'un service de nettoyage attend de se faire servir depuis plus de quatre heures.
Pour s'assurer qu'il partira le réservoir de sa moto plein, il a dû se mettre dans un rang très tôt le matin, après s'être rendu dans d'autres stations sans grand espoir.
« J'ai commencé la recherche de carburant depuis 5 heures Et voilà qu'il est bientôt 10 heures, j'attends toujours », s'agace-t-il. Juste derrière lui, Henri Ilboudo, un technicien en froid et climatisation, a le regard fixé sur les pompistes au four et au moulin. Monsieur Ilboudo ne compte pas, lui non plus, quitter le lieu de sitôt. « Cela fait une heure que j'attends. Je suis 28e sur une liste dressée pour éviter la bousculade. Même s'il faut que je passe la nuit ici, je le ferai. Parce qu'au-delà de mes déplacements personnels j'ai des courses à faire dans le cadre de mon travail », dit-il.
Un Nouvel An au goût amer
Peu importent les raisons de cette pénurie, un seul vœu unit les consommateurs : que la situation revienne à la normale au plus vite et que cela ne se répète pas à l'avenir.
Mais, déjà, la fête du Nouvel An a pris un goût amer pour certains Burkinabés. Chacun y va de ses astuces pour se conformer à la situation du moment.
Habituellement, le Nouvel An est une occasion de partage et de convivialité pour les Burkinabés, qui ne se privent pas du loisir de rendre visite à des amis, parents et proches pour échanger des vœux.
« Si la pénurie dure jusqu'au Nouvel An, on n'aura pas d'autre choix que de limiter les déplacements et les dépenses. Chacun devra revoir son programme de la fête », suggère Inoussa Tougma, rencontré devant une station.
« Ceux qui organisent des cérémonies se retrouveront avec peu d'invités », présage Ahmed Sigué. « Faites comme moi, on s'échange les vœux au téléphone. Au lieu du réservoir de la moto ou de la voiture, que chacun fasse le plein de crédits de communication », s'est exclamé avec humour Moumouni Lingri.
« Fêter n'est pas une fin en soi. Quand la situation reviendra à la normale, on pourra se rattraper », s'est contentée Pascaline Compaoré, sur un ton plein d'espoir.
Une vraie fausse alerte depuis fin novembre
À se fier à un article paru déjà fin octobre dernier dans le quotidien spécialisé Africa Intelligence, une pénurie de l'essence à Ouagadougou était prévisible dès septembre.
Mais pour des raisons bien différentes de celles évoquées par la Sonabhy. « Les traders menacent Ouagadougou de couper l'approvisionnement en carburant », titrait le journal, explications à l'appui.
« Au moment du coup d'État du 30 septembre, le ministère du Budget burkinabé devait plus de 600 millions d'euros à la Sonabhy, qui gère les approvisionnements en hydrocarbures du pays. La société publique ne peut plus payer ses factures aux traders. Une situation qui laisse planer le spectre d'un blocage des livraisons de produits pétroliers », alertait le journal.
Et d'expliquer que « l'État, (qui) verse théoriquement des subventions à la Sonabhy correspondant à l'écart entre le prix d'achat aux traders et ce tarif réglementé […], a pris énormément de retard pour s'acquitter de ses obligations envers la société nationale ».
Et, plus loin, ces précisions : « À la suite des achats onéreux de produits pétroliers depuis mars dernier, le niveau des subventions non versées par le ministère du Budget à la Sonabhy a explosé, grimpant à 400 milliards de francs CFA (610 millions d'euros) fin septembre.
Par conséquent, la société nationale aurait actuellement des impayés représentant quelque 400 millions d'euros envers les traders Vitol, Mocoh et Trafigura.
Ces derniers menacent désormais de couper l'approvisionnement de Ouagadougou en produits pétroliers, faute de voir leurs factures réglées », avait écrit le quotidien.
Au détour d'une rencontre avec le Groupement professionnel des pétroliers indépendants du Burkina Faso (GPPI-BF), la Sonabhy avait démenti les « allégations » du journal, non sans rassurer sur « la disponibilité de stocks en qualité et quantité tant dans [ses] dépôts sur le territoire national que dans les dépôts côtiers, en attente de transfert vers le Burkina ».
Presque dans le même temps, le chef du gouvernement avait lui aussi donné les mêmes assurances quant à un « approvisionnement régulier ». Selon PointAfrique.