Démantèlement de Google : quel avenir pour Chrome et l’écosystème Internet ?"
Le Département de la Justice (DOJ) des États-Unis cherche à obliger Google à vendre son navigateur web Chrome et à introduire d’autres changements qui bouleverseraient son modèle économique et favoriseraient ses concurrents.
Ce que signifierait le démantèlement de Google par le Département de la Justice pour Chrome et Internet
La société mère de Google a vu son action chuter de plus de 5 % jeudi matin après l’annonce du DOJ concernant la vente forcée de Chrome. Si cette décision aboutit, elle pourrait transformer l’économie d’Internet et réduire considérablement la puissance de Google.
Dans un document déposé mercredi soir, le DOJ a déclaré que Google “doit immédiatement et intégralement céder Chrome” à un acheteur approuvé par le département. Cette mesure fait partie des nombreux recours proposés par les procureurs américains à la suite d’un jugement fédéral en août qui a conclu que Google détenait un monopole illégal sur la recherche en ligne.
D’autres propositions du DOJ incluent l’interdiction pour Google de payer des entreprises comme Apple pour que son moteur de recherche soit défini par défaut sur leurs téléphones, navigateurs et applications ; l’obligation pour Google de partager sa gigantesque liste de sites web avec ses concurrents pour les aider à rivaliser ; et l’octroi aux éditeurs en ligne d’un moyen simple de refuser que leur contenu soit utilisé pour entraîner les modèles d’intelligence artificielle de Google.
Google peut encore soumettre une contre-proposition au même juge qui a déclaré l’entreprise coupable de monopole. Les audiences débuteront en avril avant que le juge ne décide d’une solution finale.
La société a également annoncé son intention de faire appel de la décision initiale sur le monopole. Cependant, il reste incertain de savoir comment la future administration Trump abordera cette affaire. Le président élu a accusé Google de partialité à son encontre, tout en indiquant que son gouvernement pourrait être plus favorable aux entreprises et aux fusions.
Chrome
Bien que Google ne tire pas directement de revenus de Chrome, ce navigateur est crucial pour son modèle économique, car il sert de portail permettant aux utilisateurs d’accéder à ses services lucratifs tels que la recherche (Search) et YouTube. Sans ce navigateur, Google pourrait voir son trafic et ses revenus diminuer.
Séparer Chrome de Google renforcerait la concurrence dans le marché des navigateurs web, selon Damian Rollison, directeur des insights de marché chez SOCi, une société de technologie publicitaire. Bien que Chrome soit le navigateur le plus populaire, il existe des alternatives bien établies, notamment Safari d’Apple, Edge de Microsoft, Firefox et DuckDuckGo.
“Il existe de nombreuses alternatives raisonnables”, a déclaré Rollison. “Toutes ces alternatives pourraient bénéficier d’un marché où Chrome ne serait plus soutenu par son appartenance à la famille Google.”
Cependant, trouver un acheteur pour Chrome, qui vaudrait plusieurs milliards de dollars, pourrait être un défi. Certains acheteurs potentiels pourraient soulever de nouvelles questions antitrust.
“Si Microsoft l’acquiert, ils orienteraient simplement les utilisateurs vers leur moteur de recherche, et on aurait le même problème. Si Amazon l’acquiert, cela renforcerait leur monopole dans le commerce. S’il devient indépendant, il pourrait commencer à exploiter massivement les données des utilisateurs pour générer des revenus”, a expliqué Ari Paparo, un vétéran de la publicité en ligne.
Une option plus neutre pourrait être de transformer Chrome en une organisation à but non lucratif, similaire à Mozilla, qui détient Firefox.
Android
Le système d’exploitation Android de Google, utilisé sur la majorité des téléphones mobiles dans le monde, est étroitement intégré à ses autres services, y compris Chrome. Cette intégration donne au navigateur une place privilégiée sur des milliards de téléphones. Si Chrome est séparé de Google, cela pourrait entraîner des changements majeurs pour Android.
En conclusion, les décisions du DOJ pourraient remodeler l’écosystème numérique, créant de nouvelles opportunités pour les concurrents tout en posant des défis complexes pour la structure actuelle de Google.
Utiliser ou configurer un téléphone Android pourrait devenir plus complexe, mais cette séparation pourrait également ouvrir des opportunités pour les concurrents de Google.
D’autres fabricants de navigateurs pourraient profiter de cette situation pour proposer leurs produits en tant qu’alternative principale sur les appareils mobiles. Apple, par exemple, pourrait bénéficier d’un retrait de Chrome, rendant le système d’exploitation Android moins attractif pour certains acheteurs.
Recherche
Le moteur de recherche de Google est l’une de ses plus grandes sources de revenus grâce aux publicités affichées sur les pages de résultats. En 2023, le segment de recherche de Google, incluant également les publicités sur Gmail et Google Maps, a généré 175 milliards de dollars, soit 57 % des revenus totaux d’Alphabet.
Pour maintenir ce flux de revenus, Google doit inciter les utilisateurs à revenir constamment sur son moteur de recherche. L’affaire portée par le Département de la Justice est en partie motivée par le fait que les concurrents de Google peinent à attirer les utilisateurs.
L’agence propose maintenant d’interdire à Google de payer des entreprises comme Apple ou Samsung pour que son moteur de recherche soit défini par défaut sur leurs appareils. Apple, à elle seule, reçoit des milliards chaque année de Google pour cela.
Le DOJ souhaite également obliger Google à offrir un accès à son index web, cette base de données massive et constamment mise à jour des sites web et contenus en ligne, aux petits concurrents pour les aider à rivaliser.
Remèdes possibles
M.G. Siegler, ancien partenaire du fonds de capital-risque de Google et maintenant investisseur indépendant, estime que l’interdiction des accords permettant à Google Search d’être défini par défaut semble être la mesure la plus probable à appliquer.
Cependant, des entreprises comme Apple pourraient toujours choisir Google comme moteur par défaut sans compensation financière. “Cela ne changerait vraiment les choses que si un autre moteur est installé par défaut”, explique Siegler. Selon lui, des entreprises d’IA comme OpenAI, qui développent des chatbots de recherche, pourraient progresser suffisamment rapidement pour remplacer Google sur les iPhones et d’autres plateformes.
Dans la vision du DOJ, les concurrents pourraient également payer un “coût marginal” pour accéder à l’index de recherche de Google, un modèle similaire à celui des entreprises de télécommunications dans certains pays, qui sont obligées de partager leurs infrastructures (comme les tours de téléphonie) avec leurs concurrents pour renforcer la concurrence et réduire les prix pour les consommateurs.
Ces concurrents pourraient utiliser l’index de Google pour créer des moteurs de recherche adaptés à différents marchés ou types d’utilisateurs. Certains pourraient facturer un abonnement au lieu de collecter des données utilisateur ou d’afficher des publicités, tandis que d’autres pourraient se spécialiser dans la recherche pour le commerce ou les réseaux sociaux.
Intelligence artificielle (IA)
Les dirigeants de Google ont clairement fait de l’IA leur priorité absolue, avec le lancement de Gemini, un chatbot destiné à concurrencer ChatGPT d’OpenAI, et la refonte des résultats de recherche pour inclure des réponses générées par l’IA. Les propositions du DOJ prennent en compte cette orientation.
Comme ses rivaux dans le domaine de l’IA, les réponses générées par l’IA de Google reposent sur des contenus collectés en ligne. Le DOJ propose de permettre aux éditeurs de contenu sur internet de refuser que leurs contenus soient collectés et utilisés dans les réponses générées par l’IA de Google, sans risquer que leurs sites soient complètement supprimés des résultats de recherche conventionnels, comme l’exige actuellement la politique de Google.
Ce changement pourrait donner aux éditeurs davantage de pouvoir de négociation face à Google, obligeant potentiellement l’entreprise à payer pour une partie des données utilisées par ses IA. Cependant, si de nombreux éditeurs choisissent de se retirer, les outils d’IA de Google pourraient devenir moins performants et plus exposés à la concurrence.