Élection présidentielle en France : Macron Vs Le Pen, qui sera le prochain locataire de l’Elysée ?
« Al Ain News » a organisé un débat ouvert à Twitter Spaces, samedi, avec Roland Lombardi,docteur en histoire, géopolitologue et enseignant à Aix-Marseille Université et à La Rochelle Business School sur élection présidentielle en France.
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Quelle est votre réaction aux résultats du premier tour M. Lombardi ?
Lombardi : Assez surpris. Avec la colère et le rejet général du président sortant et de son bilan catastrophique dans tous les domaines, j’imaginais un résultat du premier tour plus original et avec une grande surprise. Soit un duel Macron (avec toutefois un score bien moins élevé que celui du 10 avril dernier) face à Mélenchon ou face à Zemmour.
Au lieu de cela, malgré un vote clairement « anti-Macron », avec tous les candidats confondus et qui représente plus de 50% de l’électorat français, certains, notamment les électeurs de Marine Le Pen sont tombés une nouvelle fois dans le piège de la stratégie d’Emmanuel Macron et la petite musique des médias proches du pouvoir présentant la présidente du RN comme le seul vote « utile » contre Macron. C’est exactement ce que souhaitait ce dernier sachant que sa victoire est inéluctable face à Marine Le Pen. C’est un mauvais remake de 2017 dont l’issue est cousue de fil blanc.
Macron/Le Pen ce sont les deux faces de la même pièce (de théâtre ?) du système. Car pour ceux qui veulent vraiment voir la réalité, Marine Le Pen et son parti sont la meilleure assurance vie du système. Elle ne peut pas gagner et ne le veut finalement pas ! Le FN/RN n’est qu’un parti contestataire et ses responsables n’ont jamais voulu en faire un parti de conquête du pouvoir sérieux.
Comme je l'ai maintes fois écrit, en France, le suffrage populaire est loin de suffire pour gagner une élection, que cela nous plaise ou non !
Dans le système politique démocratique français (comme dans d'autres démocratie d'ailleurs), on ne parvient jamais au pouvoir suprême sans un ancrage territorial solide ni des relais d'opinion sérieux et avec 100% des médias contre vous.
Et surtout, seul et sans alliance, avant le premier tour et surtout dans l'entre-deux-tours ! Jamais ! Or, on l’a vu durant cet entre-deux-tours, Marine Le Pen s’est refusée à toute alliance donc Macron a encore et déjà gagné !
Macron et Le Pen sont au second tour, même scénario de 2017 avec des scores différents des deux finalistes.... Alors que le Parti Socialiste et Les Républicains ont réalisé leurs plus bas scores. Comment pourriez-vous expliquer cet effondrement des deux plus grandes formations politiques ?
Lombardi: Cela fait depuis des années que le PS et Les Républicains ont abandonné leurs fondamentaux idéologiques respectifs et se sont coupés des réalités et surtout des préoccupations réelles des Français et particulièrement de leurs électeurs naturels d’où leur recul progressif mais constant. Ici, le choix des candidats de ces deux partis pour cette élection a été le coup de grâce. Anne Hidalgo n’était pas du tout à la hauteur et ce qui restait de son électorat s’est partagé sur Macron et Mélenchon. Quant aux LR, les militants et surtout la direction du mouvement ont choisi la plus mauvaise candidate possible qui a fini de tuer leur parti et faire fuir les électeurs de droite.
Pourquoi ? Et bien car comme je l’avais annoncé, les électeurs du centre droit, l’électorat principal de Pécresse, avaient déjà leur candidat en la personne de Macron. En dépit du durcissement de sa campagne, celle-ci a été très mauvaise et n’a pas imprimé. Surtout chez les électeurs de base et même les militants les plus conservateurs LR (notamment ceux qui avaient choisi Éric Ciotti, arrivé premier lors de la primaire de la droite), dépités et ne se reconnaissant absolument pas dans cette candidate, et qui ont été clairement séduits par Zemmour. Pour beaucoup, elle restait une bobo-centriste, une énarque, une technocrate déconnectée, une « Versaillaise » ! Et surtout, une impétrante trop versatile, sans colonne vertébrale, et donc peu fiable. D’autres n’ont pas oublié ses positions très progressistes, son départ des LR et sa « trahison » ou ses liens supposés dans l’affaire Alstom…
Et puis, ils ne pouvaient avoir confiance en une candidate qui comme ils le pressentaient, a appelé à voter pour Macron dès l’annonce de sa non-qualification le 10 avril dernier.
Au final, elle représentait tout ce dont beaucoup de Français ne voulaient plus, surtout à droite.
Pourtant confiant en sa capacité à dépasser Marine Le Pen. Mélenchon a échoué de nouveau aux portes du second tour. A votre avis, pourquoi cet échec ?
Lombardi : Comme je l’avais prédit, Jean-Luc Mélenchon, fort de son talent oratoire certain – il est le dernier tribun de la classe politique française – et ses capacités de débatteur bien supérieures à celles de ses adversaires, surpassait tous les autres candidats à droite mais surtout à gauche. Même si on n’est pas d’accord avec lui, il faut reconnaître qu’il a fait une très bonne campagne moderne et percutante. Il a été en fait le seul véritable candidat de la gauche (ou de ce qu’il en reste).
Le candidat d’extrême gauche a donc représenté le « vote utile » d’une gauche très divisée et a fait le plein de voix sur cette partie de l’échiquier politique français. Inévitablement, il a profité également de la piètre qualité de la candidate socialiste et du représentant des Verts. Et ne parlons même pas des autres petits leaders gauchistes en lice. Seul le candidat communiste, Fabien Roussel, sortait du lot. Il a fait lui aussi une bonne campagne notamment en faisant un timide retour aux fondamentaux de la gauche populaire et sociale. Son score honorable pour un parti communiste tel qu’il est devenu coûte sûrement le second tour à Mélenchon. Mais à mon sens, les positions de ce dernier clairement communautaristes (qui en font certes le premier candidat des banlieues), s’alignant parfois sur l'islamo-gauchisme kisme et l’islam politique, font aussi que son audience dans la France périphérique serait encore plus grande qu’elle ne l’est pourtant déjà aujourd’hui…
- La campagne officielle s’est terminée hier soir à minuit. Les deux finalistes ont tenté de séduire ces deux dernières semaines. Comment évaluez-vous les campagnes des deux candidats?
Lombardi : Sans grande surprise. Macron était dans son meilleur rôle, celui qu’il maîtrise à la perfection et qu’il préfère : celui du maître de la com’. C’est plutôt réussi pour convaincre les derniers et crédules indécis.
Quant à Marine Le Pen, qui n’a pas souhaitait encore une fois d’alliance à droite, a misé, comme on l’a vu lors du débat face au président sortant, sur la prudence et une certaine retenue, voire une sorte de « mollesse » diront certains, pour séduire l’électorat le plus à gauche et les futurs abstentionnistes. Je ne suis pas du tout certain que cela fut la bonne stratégie…
- En hausse constante, les sondages sont de plus en plus favorables à Macron. Il a creusé l'écart face à Marine Le Pen, avec 57 % d'intentions de vote au second tour.
Plus de la moitié des électeurs de Jean-Luc Mélenchon devraient apporter leur voix au président sortant. Entre surestimation sous-estimation, que pensez-vous de ces sondages ?
Lombardi : D’abord, il faut rappeler que seule une petite partie de l’électorat de Mélenchon se reportera sur Macron au second tour : celui des « bobos » des centres urbains et peut-être celui des quartiers populaires. Quant à l’autre catégorie qui a voté pour le président de LFI, celle de la France des campagnes et de la France périphérique, la grande majorité d’entre elle s’abstiendra ou même votera Le Pen !
Pour en revenir au sondage, pour ma part je pense qu’ils sont surestimés pour Macron et légèrement sous-estimés pour Le Pen. Même si Macron a de forte chance de remporter l’élection, l’écart entre les deux candidats peut être plus étroit qu’annoncé, cela dépendra de l’abstention et nous serons fixés dimanche.
- Lors du débat opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Jamais les Français n'avaient été si peu nombreux à s'intéresser au débat de l'entre-deux-tours. En quarante ans, l'audience de cette tradition télévisée a été divisée par deux.
Le dernier débat a été suivi par 15,6 millions de téléspectateurs mercredi soir. Comment expliquez-vous cette tendance à la baisse ?
Lombardi : Le rejet de la politique des Français est de plus en plus grand et profond depuis des années. Alors ce remake de 2017 a sûrement dû en décevoir beaucoup car mis à part les électeurs indéfectibles du RN, beaucoup connaissent le résultat d’avance. Et cela a dû définitivement les éloigner et les dégoûter de cette « mascarade démocratique » comme la jugent certains. Quoi qu’il en soit, après le 24 avril et la forte probable réélection de Macron, ce rejet du monde politique et la colère qui l’accompagne ne feront que grandir et la France risque de connaître une instabilité profonde et des lendemains douloureux…
- Macron ou Le Pen à l'Élysée, quel impact de ces deux candidats sur les pays du Moyen-Orient ?
Lombardi : Sauf immense surprise, Marine Le Pen ne peut (et ne veut) pas gagner cette élection. Macron sera donc reconduit pour cinq ans. خOr son bilan en politique étrangère est plutôt négatif. En 5 ans, la politique de Macron nous a définitivement exclu de tous les dossiers importants comme en Syrie, en Libye, au Liban et à présent en Afrique…
Il faudrait que le président cesse sa « diplomatie spectacle » et mette une forte dose de réalisme dans sa politique internationale et notamment au Moyen-Orient. Qu’il s’affranchisse enfin d’un certain « État profond » (dixit le président lui-même) atlantiste et commercial et qu’il adopte enfin une politique réellement originale et indépendante tout en arrêtant de s’aligner aveuglément et inconditionnellement sur la politique américaine.
Malheureusement, on le voit avec la guerre en Ukraine et vis-à-vis de la Russie, nous en sommes loin d'en prendre le chemin, bien au contraire...