En France, "une montée des crispations identitaires" inédite en 2023
L'année 2023 a été marquée par "une montée des crispations identitaires" et "une progression sensible" de l'antisémitisme et du rejet de l'immigration, affirme la CNCDH dans son rapport annuel publié jeudi.
Le texte souligne également l'existence d'un antisémitisme à gauche "sans comparaison" avec l'extrême droite.
C'est une année 2023 sans précédent. Selon "le baromètre racisme" de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), jamais les "crispations identitaires" n'ont été aussi vives en France. Le pouvoir d'achat reste néanmoins parmi les préoccupations principales.
"Les Français restent avant tout préoccupés par les enjeux socio-économiques liés à la montée de l'inflation", affirme la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son rapport. Cette étude réalisée par Ipsos en novembre et décembre cite notamment le niveau de vie (28 %, -5 pts), les inégalités sociale (26 %, -5) et le système de santé (20 %, -4) parmi les principales inquiétudes.
Les sujets régaliens gagnent en importance, 26 % des sondés citant "la délinquance" (+3 pts), 15 % l'immigration (+2) et 11 % "la perte d'identité de la France" (+3). "Dans un contexte difficile, la demande d'autorité reste très forte", ajoute la CNCDH.
Le rapport note aussi "une dégradation sensible de la perception de l'immigration" avec un fléchissement de l'indice de tolérance pour la seconde année consécutive, après plusieurs années de hausse.
"2022 avait témoigné de l'arrêt de cette dynamique. Cette année, on constate même un début de reflux avec une montée des crispations identitaires sur de nombreux indicateurs", ajoute le rapport.
Ainsi, 56 % de Français (+3 pts) estiment qu'"il y a trop d'immigrés en France", et 51 % (+3) qu'"aujourd'hui en France, on ne se sent plus chez soi comme avant". Pour la CNCDH, ce rejet est "étroitement lié au rejet d'une France perçue comme étant de plus en plus multiculturelle". Selon France24.
La part des Français estimant que "les étrangers devraient avoir les mêmes droits que les Français" recule de 5 points à 52 %.
Dans un paysage où "certains préjugés restent fortement ancrés", les Roms sont la minorité la plus stigmatisée, et les musulmans sont vus de façon clivante : 32 % ont une "opinion positive" de la religion musulmane, et 32 % une mauvaise.
Enfin le contexte du conflit au Proche-Orient semble "avoir eu un impact non négligeable" sur l'antisémitisme qui a atteint en 2023 "un niveau sans précédent", et qui reste selon le rapport largement structuré "par les vieux stéréotypes associant les Juifs au pouvoir et à l'argent".
Quid de l'antisémitisme ?
Alors que les actes visant des Juifs battent des records, la CNCDH souligne l'existence d'un antisémitisme d'extrême gauche, toutefois "sans comparaison" avec celui de l'extrême droite.
"L'année 2023 a été marquée par un nombre d'actes antisémites très élevé" et "en nette recrudescence" après les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre, souligne dans le rapport Jean-Marie Burguburu, le président de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme).
Le ministère de l'Intérieur a recensé 1 676 faits antisémites en 2023, "soit quatre fois plus qu'en 2022", et au premier trimestre 2024 la hausse a atteint 300 %.
Ces violences "alimentent l'idée que l'antisémitisme, sous ses formes les plus brutales, est de retour", estiment des chercheurs cités dans le rapport, qui tentent, sur la base d'un baromètre fouillé, de dresser un état des lieux, entre "vieil et nouvel antisémitisme".
Premier constat, il y a "des stéréotypes anciens, spécifiques aux Juifs, et reflet de leur longue histoire, qui résistent voire progressent": croyance en un pouvoir excessif, rapport supposé à l'argent, soupçon de double allégeance à Israël et à la France...
Ce "vieil antisémitisme" reste "plus marqué à droite qu'à gauche" et il "continue à battre des records à droite et plus particulièrement à l'extrême droite", ajoute le texte.
Dans le sillage de la guerre Israël/Hamas, le débat "s'est polarisé sur l'émergence d'un 'nouvel antisémitisme', attribué non plus à l'extrême droite mais à l'islamisme radical et plus largement aux musulmans", note le texte.
Le baromètre a été réalisé en novembre-décembre 2023 mais "son constat reste valable car il s'inscrit dans des séries longues, qui existent depuis les années 90", explique à l'AFP Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH.
Le sujet s'est emballé avec la campagne pour les élections européennes, alors que LFI plaçait le soutien à la cause palestinienne au cœur de sa campagne, et s'est poursuivi avant les législatives. L'extrême gauche est aujourd'hui accusée de relayer voire d'alimenter l'antisémitisme, et se retrouve renvoyée dos à dos avec l'extrême droite sur le sujet.
Pour les chercheurs cités par la CNCDH, "il existe de l'antisémitisme à gauche, tout particulièrement à la gauche de la gauche, chez les proches des Insoumis et d'EELV notamment", mais à un niveau "sans comparaison avec celui observé à l'extrême droite et chez les proches du Rassemblement national", estime le texte.
"Dire que l'antisémitisme aurait migré à l'extrême gauche est totalement faux", martèle Magali Lafourcade.
La CNCDH, qui avait appelé le 12 juin à faire barrage à l'extrême droite, rappelle que l'antisémitisme a toujours existé à gauche en France, associant les Juifs au grand capital au XIXe siècle, jusqu'à l'affaire Dreyfus qui "marque un tournant".
"Mais depuis la Guerre des Six jours (en 1967, NDLR), l'occupation et la colonisation des territoires palestiniens, sous couvert d'une critique légitime d'Israël et du sionisme, favorisent parfois des glissements", ajoute le texte.
Contrairement au "vieil" antisémitisme articulé sur des préjugés ancestraux, le "nouvel" antisémitisme est structuré "par les perceptions d'Israël et de ses responsabilités dans la perpétuation du conflit", ajoute le rapport.
L'enquête a pour la première fois inclus une question liée à l'antisionisme : au vu du peu de personnes souhaitant se prononcer, le rapport estime "difficile" d'y voir "le ressort clé de l'antisémitisme contemporain".
Dans ce climat dégradé, "la bonne nouvelle est que les Français n'ont jamais été aussi nombreux à considérer qu'il faut une lutte plus vigoureuse contre l'antisémitisme", affirme Magali Lafourcade.
La responsable déplore toutefois une "position très attentiste" de l'exécutif sur le sujet, puisque le rapport est publié sans remise en mains propres. "C'est la première fois en 34 ans que le gouvernement n'a pas donné suite à nos demandes de rencontre", déplore-t-elle.
L'enquête a été réalisé par Ipsos du 21 novembre au 9 décembre 2023, auprès d'un échantillon de 1 210 personnes représentatif de la population et constitué d'après la méthode des quotas.