Mort de Nahel : où irait l’argent de la cagnotte pour le policier en cas d’annulation par la justice ?
En cas d’annulation pour dérogation à l’ordre public – ce qui suppose un long et tortueux chemin juridique – la loi prévoit l’annulation du contrat, et donc le remboursement des donateurs.
La cagnotte controversée est désormais fermée. Créée par Jean Messiha, ancien délégué aux études du Rassemblement National et ex-porte-parole de la campagne d’Eric Zemmour, à l’origine sur la plateforme Leetchi puis dans un second temps sur GoFundMe, cette récolte de fonds a recueilli plus d’1,5 millions d’euros en «soutien à la famille du policier» qui a provoqué la mort du jeune Nahel. Et ce en l’espace de six jours à peine. Dans une vidéo, Jean Messiha a annoncé clôturer lui-même la cagnotte se félicitant d’un «raz de marée enthousiaste de dons», d’un «tsunami de soutien aux forces de l’ordre».
Un pot commun qui a provoqué ces derniers jours un intense débat quant à sa légalité. Alors que la plateforme GoFundMe a estimé que la cagnotte ne contrevenait pas à ses règles, au moins deux élus de l’opposition ont annoncé leur volonté de faire appel à la justice. Ainsi Mathilde Panot (LFI) et Arthur Delaporte (PS) ont indiqué avoir saisi la procureure de Paris. Auprès de CheckNews, le parquet confirme que plusieurs «signalements ont été annoncés par mail et sont en cours de traitement et en attente de pièces». Parmi lesquels ceux des deux députés, auquel s’ajoutent celui de Sos Racisme et une plainte de la famille de Nahel. Pour l’heure, aucune enquête n’est donc formellement ouverte, selon liberation.
Il existe un précédent
Mais de fait, la question de la légalité est posée. Comme l’indiquait Libération dès le 2 juillet, un précédent en la matière permet d’y voir plus clair : un imbroglio juridique est en effet survenu suite à la création, en janvier 2019 sur Leetchi, d’une cagnotte de soutien à Christophe Dettinger. Cet homme, ancien boxeur et gilet jaune, avait été filmé en train de frapper deux gendarmes. La récolte de dons, atteignant plus de 145 000 euros en quarante-huit heures, avait finalement été clôturée par la plateforme pour non-respect des conditions générales, ce qui avait poussé le mis en cause à attaquer en justice. Et à lui réclamer trois millions d’euros de dommages et intérêts.
Deux ans plus tard, la justice lui avait donné tort. D’après le jugement du tribunal judiciaire de Paris, mis en ligne par Next Inpact, le contrat entre Leetchi et Dettinger a été annulé pour deux raisons distinctes. D’abord par une interprétation de l’article 40 de la loi de 1881, qui interdit aux cagnottes de ce type de couvrir des dépenses liées aux amendes. Or, selon le tribunal, «par son large objet, la cagnotte comprenait également un appel à compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir» même si, en l’occurrence, Christophe Dettinger n’avait pas encore été jugé. Ensuite, parce que le tribunal, s’appuyant sur l’article 1162 du code civil, a estimé que l’initiative dérogeait à l’ordre public en prenant la défense d’un homme qui avait frappé les forces de l’ordre. Or, dans le cas du policier de Nanterre, la description de la cagnotte indique que ce dernier «a fait son travail», le jour où il a tué le jeune Nahel. Pour certains observateurs, il y a donc matière à s’interroger sur une éventuelle dérogation à l’ordre public.
Mais il y a un obstacle majeur, souligne l’avocat Anthony Bem à CheckNews : contrairement à Leetchi, qui est une plateforme française, GoFundMe, installée en Californie, dépend du droit américain. «En pratique, explique-t-il, il faudrait mettre en place une procédure d’exequatur, c’est-à-dire rendre exécutoire aux Etats-Unis la décision française éventuellement rendue.»
L’argent de la cagnotte reviendrait aux donateurs
L’illégalité de la cagnotte est donc très loin d’être acquise. Mais dans le cas où celle-ci serait tout de même, à terme, jugée illégale, qu’adviendrait-il alors des 1,5 million collectés ? Là encore, le cas Dettinger crée un précédent intéressant : le fait que la cagnotte soit jugée comme dérogeant à l’ordre public entraîne de fait un remboursement des donateurs.
C’est ce qu’explique l’avocate Blandine Cornevin à CheckNews : «A priori, si c’est une atteinte à l’ordre public, la sanction est l’annulation du contrat, donc les dons seraient restitués aux donateurs. En effet, lorsqu’il y a une annulation, on remet les parties dans l’état antérieur où elles se trouvaient, lorsque cela est possible, selon l’article 1178 du code civil.» Pour résumer : si le contrat est annulé, il est censé n’avoir jamais existé, y compris pour le porte-monnaie des contributeurs.
A ce stade, on ignore si les fonds – qui ne sont pas détenus par la plateforme, cette dernière faisant appel à des «partenaires tiers chargés du traitement des paiements» – ont commencé à être versés à la famille du policier. Ni Jean Messiha ni GoFundMe n’ont répondu à nos sollicitations sur ce point.