Départ des soldats français du Niger : risque de «jonction entre les groupes terroristes»
Les premières 1 500 soldats françaises quittent le Niger après avoir reçu l'ordre de partir de la junte qui a pris le pouvoir en juillet.
Au micro d’Al-Ain, le Général (2S) Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU revient sur la situation sécuritaire explosive dans la région.
C’est officiellement le début de la fin pour les troupes françaises au Niger.
Dans un communiqué lu à la télévision d'État, l'armée nigérienne a appelé les citoyens à coopérer avec les mouvements de troupes, qui, selon elle, impliqueraient qu'une partie des 1 500 soldats français quittent le Niger par la route vers le Tchad, un voyage de plusieurs centaines de kilomètres à travers des territoires parfois peu sûrs.
«Les troupes basées à Ouallam (Ouest) ont quitté aujourd'hui leur base. Il s'agit des opérations pour le départ du premier convoi terrestre en direction du Tchad sous escorte de nos Forces de défense et de sécurité», précise le régime de Niamey, dans un communiqué lu mardi 10 octobre à la télévision nationale.
Des camionnettes et des véhicules blindés de transport de troupes chargés de soldats français ont traversé les faubourgs poussiéreux de Niamey mardi.
«Les terroristes sont aux portes de Ouagadougou»
Le retrait des forces françaises a été rapidement exigé par ces derniers après leur prise de pouvoir le 26 juillet, le président français Emmanuel Macron ayant ensuite confirmé leur départ à la fin du mois de septembre.
Environ 1 000 soldats français étaient stationnés à Niamey, et 400 autres étaient déployés dans deux bases avancées dans le nord-ouest, près du Mali et du Burkina Faso, un foyer d'activité rebelle.
Un retrait qui se fait en marge d’une situation sécuritaire qui se dégrade à vue d’œil. Au Niger, mais aussi au Mali et au Burkina Faso où les attaques se multiplient en nombre et en intensité.
«Au Niger, sur les deux derniers mois, il y a eu plus de pertes que pendant les 18 mois précédents. Au Mali, Tombouctou est assiégé.
La fameuse colonne qui allait vers Kidal a été attaquée plusieurs fois. Au Burkina Faso il y a également une augmentation importante des pertes.
Les terroristes sont aux portes de Ouagadougou», alerte au micro de Al-Ain News le Général (2S) Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU.
«À l’évidence, il y a une détérioration de la situation et il est probable que les forces sur place n’aient pas la capacité de lutter contre les groupes terroristes», ajoute-t-il.
Pour faire face à cette situation sécuritaire, les juntes maliennes, nigériennes et burkinabées entendent faire preuve de solidarité.
Samedi 16 septembre, les régimes militaires qui ont pris le pouvoir ces trois dernières années au Mali, au Burkina Faso et enfin au Niger, ont signé à Bamako (Mali) une charte établissant une alliance défensive en cas de rebellions intérieures ou d'attaques extérieures.
Ceux-ci entendent désormais faire preuve de la même solidarité face à la menace terroriste.
Dégradation de la situation sécuritaire
«Leur alliance ne les renforce pas militairement» tempère toutefois Dominique Trinquand. «Ce sont simplement les forces qui, individuellement, n’arrivait pas à lutter contre le terrorisme, se retrouvent alliées.
Une alliance qui s’est d’ailleurs construite pour prévenir une offensive de la cedeao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et non pour lutter contre les groupes terroristes.»
Quid de l’aide du groupe de mercenaires Wagner, également présent en appui dans la zone ? «Pour le moment, Wagner n’est présent au Mali.
On ne les a pas encore vu au Niger et au Burkina», clarifie notre interlocuteur. «Au Mali, depuis deux ans, on a vu qu’une détérioration de la situation sécuritaire.»
Pas sûr toutefois qu’un maintient de la présence française aurait pu contenir cette inévitable détérioration. Si la dégradation de la situation sécuritaire s’est accélérée, elle a été constante depuis l’arrivée de l’opération Serval en 2013, puis Barkhane ensuite.
Depuis 2013, «les groupes jihadistes n’ont en tout cas pas cessé de gagner du terrain. Au Sahel, la France a bel et bien perdu la guerre sur le plan militaire et pas seulement politique», affirme dans une tribune à Jeuneafrique, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur et spécialiste des conflits armés en Afrique.
Le risque désormais, est «une jonction entre les terroristes des trois pays et la prise de contrôle de territoires entiers», affirme le général (2S).
Et d’ajouter, «c’est possible, il y a toutefois quelques obstacles à cela. Les factions s’opposent : celles liées à daech, et celles liées à Al-Qaeda se font la guerre. Aussi, je pense qu’il est très compliqué pour les terroristes de prendre les capitales.»
Pression migratoire
En effet, la crainte d’une prise de contrôle de pans entier de territoire, à l’image de ce qu’avait réussi à faire Daech entre la Syrie et l’Irak en 2014, est réelle.
«Je verrais plutôt une mainmise sur quasiment tous les territoires, et un deal aux portes des capitales, dans lesquels les terroristes ne rentreraient pas. Je parle en particulier du Mali», explique l’ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU.
«Ca me parait difficile de les voir prendre les capitales car les forces ont été concentrées devant celles-ci. À court terme je ne vois pas de tel scénario arriver.»
Il n’empêche, la perspective d’une prise de contrôle de territoires à cheval sur les trois pays, même sans les capitales reste un scénario particulièrement inquiétant.
Ça serait un développement extrêmement ennuyeux car ça serait toute la route du trafic de drogue, des êtres humains qui pourraient tomber aux mains des terroristes, affirme notre interlocuteur, un brin fataliste : «C’est pour nous un inconvénient majeur, mais qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse ?»
En effet, la France n’est plus conviée à participer aux opérations dans une région qui est pour elle d’intérêt. Jusqu’à maintenant «on finançait le développement de ces pays et on finançait aussi les pays de la région pour qu’ils gardent les migrants chez eux et qu’ils ne viennent pas en Europe.
Là il n’y a plus de moyen de financement. Par exemple, au Niger, il n’y a plus que les militaires qui sont payés. Il n’y a plus de financement des fonctionnaires», indique Dominique Trinquand.
Pour lui, la situation va se détériorer et peut amener à des mouvements de population et une extension des mouvements terroristes.
Les prochaines étapes pour ces groupes sont les pays du Golfe de Guinée (Benin, Togo, Côte d’Ivoire, pour ne citer qu’eux).
Quel rôle pour la France dans ce contexte ? «Les pays du Golfe de guinée sont conscients de cette menace, et ils se renforcent. Donc à nous de les aider. C’est le mieux que l’on puisse faire actuellement.»