Trafic de drogue en France (et ailleurs) : un problème inextricable ?
Le trafic de drogue, et son corollaire de violence, est un fléau qui touche tous les pays.
En France par exemple, au-delà des effets catastrophiques des drogues sur la santé de la jeunesse, il ne se passe pas une semaine sans un fait divers violent ou mortel lié à cet activité criminelle dans des villes comme Marseille, mais également Paris, Lyon ou Grenoble. Pourtant, les années et les gouvernements se suivent et aucune solution sérieuse ne semble être apportée, pourquoi ?
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
2022 restera comme une nouvelle année noire pour Marseille, avec 33 assassinats en bande organisée commis dans la région, un record, selon le parquet en 2022, contre 31 en 2016, mais aussi 60 faits d'homicides ou de tentatives d'homicides, 29 morts par balles et parfois des victimes collatérales.
Or ces règlements de comptes en lien avec le trafic de drogue et ces guerres de territoire qui polluent depuis des années les quartiers, ne sont pas que l’apanage de la cité phocéenne à la réputation sulfureuse. Paris, Lyon, Grenoble… comme d’autres villes plus moyennes, en sont aujourd’hui aussi le tragique théâtre.
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Au-delà des mêmes ravages provoqués par le tabac et l’alcool à forte consommation (cancers, addiction…), et sans parler des drogues dures, il est à présent de notoriété scientifique que la prise de cannabis (principal produit des trafics), même à petite dose, peut engendrer des dégâts cognitifs profonds et irréversibles comme des troubles de la coordination motrice, de la mémoire, de la concentration voire des problèmes psychiques et psychologiques graves. Pas étonnant, donc, que toutes les armées du monde livrent une guerre sans relâche – avec le plus grand mal – contre la consommation de stupéfiants chez leurs jeunes recrues…
Quant au raisonnement faisant de la dépénalisation la panacée afin de résoudre les problèmes liés à la criminalité, il émane généralement de responsables politiques encore déconnectés des réalités, ou de bobos rechignant à sortir de leurs cocons urbains pour se fournir en « shit » dans les quartiers chauds. Car cet argument ne tient pas une seconde au regard des faits et du terrain. Ceux qui vivent dans les cités ou les policiers l’affirment : légaliser le cannabis ne mettra nullement fin aux trafics et à ses corollaires. Les dealers écouleront toujours de la marchandise « détaxée » ou soi-disant de « meilleure qualité ». D’autres produits illicites seront toujours proposés, comme c’est déjà le cas avec l’héroïne, la cocaïne, le crack, les amphétamines et autres. Pire, les chiffres de la délinquance – qui ne sont déjà pas brillants – risquent même d’exploser avec la recrudescence d’autres phénomènes criminels plus violents : car-jackings, home-jackings, vols à main armée, extorsions, voire enlèvements contre rançon… Une dérive à la sud-américaine, donc. Et dans l’état actuel du pays, dans une société qui n’a plus rien à proposer comme alternative, des nombreuses zones de non-droit vont voir une possible prolifération de « barbus »…
Pour en revenir à Marseille, malheureusement, ces faits divers ne sont pas nouveaux aux pieds de la Bonne Mère. Considérée comme le « Chicago français » depuis les années 1930 jusqu’aux années 2000, en passant par la French Connection des années 1970, Marseille a toujours été le théâtre macabre de la guerre entre truands. Les Marseillais de toutes les générations en sont même blasés. Fataliste voire un brin cynique, la phrase qui revient toujours sur le Vieux Port après chacun de ces drames, est : « Pff, tant qu’ils se tuent entre eux, ce n’est pas grave ! ». Et la police compte les points et analyse à postériori la redistribution des cartes !
En attendant, comme après chaque règlement de compte, les « réglos » comme on dit dans le milieu, nous avons droit aux mêmes et sempiternelles déclarations martiales du gouvernement sur la lutte à mener contre la criminalité liée aux stups.
Or ces sorties médiatiques des autorités sont toujours belles et fortes… mais c’est du déjà-vu. Comme les centaines de millions de francs puis d’euros déversés dans la célèbre mais stérile « politique de la ville ». Donc c’est toujours de la com’ mais au final rien ne change et le phénomène semble même, et les enquêtes l’attestent, empirer…
Les chiffres sont consternants : on compte en France plus de 1 million de consommateurs de cannabis réguliers et entre 4 et 5 millions de façon sporadique ; plus de 250 000 adeptes de la cocaïne plus ou moins réguliers, et près de 8 millions à titre occasionnel chez les 15-34 ans ! Un tel niveau de toxicomanie démontre l’étendue du problème.
Le mal est donc beaucoup plus profond. C’est une véritable révolution copernicienne de notre système sociétal, qui en définitive, pourra seule venir à bout des trafics. Or, ce n’est pas demain la veille…
Un mal profond et qui n’est pas près de disparaître
Certes la réponse sécuritaire et judiciaire doit être impitoyable avec les dealers, petits ou gros. Et au-delà d’actions globales, fortes et nécessaires dans les domaines de l’éducation, de la formation, de l’emploi et du social, la lutte contre la drogue doit également passer par une refonte totale des mentalités, de la philosophie voire de la structure même de nos sociétés modernes.
Le président français avait raison, il y a quelques mois, de considérer que « les consommateurs de drogue » sont « des complices de fait », et qualifier ce problème de « cancer qui ronge les villes ». Mais tant que la drogue et surtout le cannabis seront banalisés et qu’il y aura de la demande, il y aura des dealers ! Nos sociétés occidentales, ouvertes et consuméristes, qui ont perdu tout repère, tout sens des valeurs, en crise identitaire, sociale, économique, et qui stressées, se gavent de dérivatifs en tout genre et d’anxiolytiques, sont-elles prêtes à renoncer véritablement aux drogues ? Sans grands projets, grandes aventures ou grandes épopées, c’est peu probable.
Surtout que l’argent généré par le commerce de ces poisons a tout gangrené. Il suffit de lire Les narcos français brisent l’omerta (Ed. Albin Michel, 2021) de Frédéric Ploquin pour comprendre que l’argent sale est partout. Cette économie parallèle est telle, qu’elle est devenue un enjeu géopolitique voire une artère parfois vitale pour les économies réelles nationales comme internationales. Une enquête réalisée en septembre 2020 par le Consortium international des journalistes d'investigation – à l'origine des « Panama papers » –, a révélé que 2 000 milliards de dollars d'argent sale ont transité pendant près de 20 ans par de grandes institutions bancaires, dont JPMorgan Chase, HSBC et Deutsche Bank !
A l’échelon local, comme le rappelle le journaliste marseillais Philippe Pujol, « les politiques marseillais ont intérêt à être au mieux avec les gens puissants localement, et parfois, ce sont les dealers. Des élus locaux n’hésitent pas à oublier que le patron de telle association est aussi le patron d’un deal, d’un réseau de trafic de drogue. Il y a des édiles qui luttent contre les réseaux et d’autres qui les favorisent ». Or, en dépit de son histoire particulièrement trouble entre voyoucratie et pouvoir, de Simon Sabiani à Gaston Defferre, ce phénomène n’est pas qu’une particularité marseillaise. On retrouve aussi ce clientélisme et ces accointances sulfureuses entre élus et voyous (se transformant à l’occasion en agents électoraux) partout en France, à Grenoble, Toulouse et notamment en banlieue parisienne. Une sorte de nouveau caïdat, en version contemporaine et hexagonale. D’autant que le deal, au-delà de faire vivre certaines familles et soutenir des économies locales de plus en plus en difficulté, assure également une sorte de paix civile. Par exemple, en 2005, lors des émeutes urbaines qui traversaient tout le pays, ce sont les caïds locaux de la drogue qui ont fait régner le calme dans les cités marseillaises. Le business, c’est sacré !
La jeunesse est toujours attirée par les personnages sulfureux et borderline. Á Marseille, notamment chez les minots d’origine corso-italienne des vieux quartiers populaires comme le Panier ou la Belle de Mai, nous avions une certaine admiration – occultant à tort leur côté plus que sombre – pour Carbone, Spirito, les frères Guérini, Zampa ou encore Francis « Le Belge ». Aujourd’hui, pour les jeunes marseillais désœuvrés d’origine maghrébine ou comorienne, les nouvelles « idoles » sont les Berrahma, Tir, Remadnia, Ahamada, Berrebouh ou Laribi…
Certains responsables politiques ou policiers préfèrent alors, tout compte fait, que ces individus soient les nouveaux « modèles », plutôt que des Merah ou des Kouachi ! C’est une triste alternative mais c’est ainsi. Et pas que pour la France puisque c’est également un sinistre pis-aller afin de préserver la paix sociale pour nombre de pays comme notamment au Maghreb…
Un fléau inextricable ?
Pourtant, un rare exemple de réussite contre ce fléau existe. Il s’agit de l’Islande qui, en 20 ans, est parvenue à détourner ses jeunes – parmi les plus gros consommateurs de boissons alcoolisées d’Europe dans les années 1990 – de l’alcool, du tabac et des drogues ! Le pays a instauré un couvre-feu, promu le développement des pratiques artistiques et sportives. La compréhension de la chimie du cerveau ainsi que de la psychologie de la jeunesse sont, entre autres, les principaux leviers de l’efficacité remarquable de la méthode islandaise, qui a contribué à faire considérablement reculer la toxicomanie. Du jamais vue à l’échelle d’un pays. Et aujourd’hui, l’Islande est en tête de liste des États européens où les adolescents ont la vie la plus saine. Certes, l’île de l’Atlantique-nord ne compte que 360 000 habitants. Il semble également très compliqué de transposer intégralement une telle politique dans un pays plus grand. Mais cet ambitieux programme à au moins le mérite de démontrer qu’en politique comme ailleurs, la volonté c’est tout !
En France, les profits de la drogue s’éléveraient à près de 3 milliards d’euros par an !
Qui osera s’attaquer à un véritable « système », comme on l’a vu, qui a perverti tout autant les échelons locaux qu’internationaux ? Dans un contexte international et économico-social plus qu’incertain, nombres de responsables politiques dans plusieurs États, préféreront toujours, concernant la drogue et ses trafics, ce funeste et écœurant statu quo…