Iran/Décès de Mahsa Amini: Coupure Internet, une arme utilisée à des fins de répression
Depuis la mort de la jeune femme kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, peu après son arrestation par la police des mœurs pour “port du voile inadapté” le 16 septembre dernier, un vent de révolte souffle sur l’Iran
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Pour tenter d'enrayer la mobilisation populaire, le gouvernement a recours à une arme redoutable et invisible sur ses manifestants : les coupures d’Internet.
Lundi 19 septembre, 16 heures. Certaines parties de la province du Kurdistan, dans l’ouest de l’Iran, sont quasiment coupées d’Internet. Les données réseaux en temps réel répertoriées par l'organisation de surveillance de cybersécurité NetBlocks sont quasi-nulles. Au même moment, les manifestations font rage dans la région et sa capitale, Sanandaj, à la suite des mouvements de révolte qui agite l’Iran depuis la mort d'une des leurs, une jeune femme kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, le 16 septembre dernier. Elle avait été arrêtée quelque jours avant par la police des mœurs pour “port du voile inadapté.”
Trois heures et demie après la coupure, la connexion est rétablie. Des informations font état d'au moins quatre manifestants tués par les autorités pendant ce laps de temps, affirme NetBlocks sur son site, selon tv5monde.
Mais le gouvernement ne s’arrête pas là. Deux jours après, il décide de couper Instagram et WhatsApp, à l’échelle nationale. Il ferme ensuite l'accès à toutes les données mobiles avant de le rétablir le lendemain, à l’image d’un “couvre-feu restrictif”, explique Alp Toker. Par intervalles de sept heures, Internet est coupé. Le reste de la semaine, le peuple iranien doit jongler, ne sachant pas à quelle fréquence les données sont disponibles. Pendant ce temps, le bilan répressif des manifestations s'alourdit. Plus de 75 personnes auraient été tuées en dix jours ce 26 septembre, selon l’ONG Iran Human Rights (IHR).
Ces coupures Internet impactent de plus en plus de monde et les événements sur le terrain sont de plus en plus graves.
“Dissimuler des violations de droits humains sur le terrain”
“C’est l’événement le plus important de coupure d’Internet depuis 2019”, assure Alp Toker, le dirigeant de NetBlocks. À l'époque, Internet avait déjà été presque totalement coupé, après une répression meurtrière qui avait suivi l’annonce de l’augmentation du prix du carburant.
“Ces coupures Internet impactent de plus en plus de monde et les événements sur le terrain sont de plus en plus graves”, assure Alp Toker. “Elles semblent être utilisées pour dissimuler des violations de droits humains sur le terrain.”
La chercheuse sur l'Iran pour l'organisation de défense des droits Article 19, Mahsa Alimardani, nuance la comparaison. "C'est différent de ce que nous avions vu en novembre 2019. Ce n'est pas aussi massif, mais plus répété, explique-t-elle. Mais il y a clairement beaucoup de perturbations et de coupures."
Les autorités restent toujours floues sur le calendrier ou le nombre de restrictions appliquées.
Contrairement à la grande coupure de 2019, “une certaine connectivité est restée disponible”, assure Alp Toker. “Ce n'est pas une coupure totale et nous ne savons pas à qui cette connectivité a été réservée.” Peut-être l’opportunité pour le gouvernement de conserver un certain accès à Internet pendant cette interruption. “Nous ne pouvons pas spéculer là-dessus pour le moment”, observe le dirigeant de NetBlocks. “Les autorités n'ont pas été très communicatives sur ces restrictions.”
Pour pallier ce manque de transparence, NetBlocks surveille, publie les horaires et les détails de chaque coupure en temps réel. “Les autorités restent toujours floues sur le calendrier ou le nombre de restrictions appliquées. Mais notre action contribue à une certaine transparence."
Couper Internet, un “processus complexe à mettre en place” pour les autorités
Après avoir décidé des restrictions Internet, plusieurs obstacles attendent les autorités."Elles doivent demander aux fournisseurs d'accès de couper Internet. Cela peut prendre des heures voire des jours”, détaille le dirigeant de NetBlocks. "C'est un processus complexe à mettre en place."
Tout dépend également du niveau de centralisation des réseaux Internet du pays. “En France ou Royaume-Uni, les réseaux sont décentralisés, explique Alp Toker. C’est pour cette raison que de telles mesures seraient plus difficiles à mettre en œuvre."
C’était pourtant également le cas de l’Iran. “Les infrastructures y étaient historiquement décentralisées. Mais un filtrage au niveau de la passerelle nationale iranienne a été mis en place.” Il permet au gouvernement de reprendre le contrôle sur un réseau diversifié, qui en théorie a plusieurs points de sortie.
Des réseaux Internet annexes pour aider les habitants
Pour contourner ce système, les Iraniens peuvent utiliser un VPN, un Réseau Privé Virtuel, qui permet de se connecter à Internet via un réseau indépendant du réseau national.
La deuxième option est de transformer les pages du navigateur web (Chrome ou Firefox, par exemple) en proxies. Cette action permet l'accès à des copies de centaines de pages web de manière plus sécurisée et anonyme, comme le propose les applications Tor et Snowflake. Des personnes bénévoles génèrent les proxies depuis une zone non censurée, comme l'explique Tor sur son site Internet. D'autres situées dans les zones censurées peuvent ensuite naviguer à travers ces proxies.
Le problème, c’est que lorsque le gouvernement coupe la quasi-totalité des données Internet, comme c’était le cas le 19 septembre dernier, “il reste très peu d’options”, affirme Alp Toker. Les VPN ou les proxies sont aussi difficilement accessibles.
Le dirigeant de NetBlocks table davantage sur l'accès à Internet par satellite en orbite basse, comme le service d'Elon Musk, Starlink. L'objectif : assurer les connexions Internet depuis l’espace. Mais cette technologie nécessite des infrastructures sur le terrain. “Elle n’est pas encore disponible en Iran et il faut du temps pour la mettre en place.” Elle a cependant déjà été utilisée en Ukraine. Le Premier ministre ukrainien avait affirmé dans un tweet le 2 mai dernier que près de 150 000 Ukrainiens avait accès au réseau Starlink depuis le début de l'attaque russe.