«La course à l’échalote», écrit NATHALIE SAINT-CRICQ
L’éditorialiste politique de France Télévisions, Nathalie Saint-Cricq, a écrit pour l’Écho, un article publié le vendredi 25 mars 2022.
Quelle étrange campagne! Peu de débats, une déferlante d’émissions qui font défiler les concurrents, presque de l’abattage, pour leur poser peu ou prou les mêmes questions tous les deux jours.
Un chef de l’État en campagne à tiers temps - ça on peut le comprendre - mais qui s’expose le moins possible quand il revêt les habits de candidat.
À en lasser les journalistes politiques les plus passionnés!
Alors, il y a bien une nouveauté: ces dizaines de grands oraux auxquels les candidats sont convoqués. Face à la police, au Medef, aux pompiers, aux chasseurs, à l’ordre des experts-comptables, aux ONG, aux professionnels de santé…
Les candidats sont dorénavant sommés d’exposer leur projet à l’usage de toutes les fractions de l’électorat. La France serait presque devenue une addition de catégories socio-professionnelles, voire de lobbies, qui intiment aux candidats de leur donner des gages, de prouver en quoi ils sont "mieux-disants" sur le logement, la légitime défense ou la chasse à courre. On ne les cuisine plus sur leur vision de l’avenir de la France, on les découpe en tranches. Ils doivent satisfaire chaque segment de la population, en fonction d’une logique qui relève du marketing, sous peine d’être dénoncés haut et fort sur les réseaux sociaux. La course à l'échalote est lancée: une compétition où tout est possible pour gagner.
Certes, ces grands oraux astreignent à la précision, dissipent les malentendus, démasquent les dilettantes. On se souvient de Christiane Taubira incapable de formuler ses propositions sur le logement. De Valérie Pécresse condamnée à revoir ses propositions sur les hausses de salaires après avoir été sermonnée par le Medef. Mais tout est biaisé. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon ont été déclarés persona non grata à la convention des chasseurs. Ils avaient eu l’outrecuidance de s’intéresser au bien-être animal sans se prosterner devant de lobby de la chasse! De même, la gauche avait boycotté l’oral du syndicat de police Alliance jugé trop droitier. Ils n’avaient pas envie de se faire siffler.
Vision consumériste
Quelle étrange conception de la démocratie, quelle vision consumériste de la présidentielle!
De fait, devant les policiers, entre Eric Zemmour, Marine Le Pen ou Valérie Pécresse, ce fut la surenchère. À qui proposerait la construction du plus grand nombre de places de prison sans tenir compte de leur faisabilité matérielle. Chauffés par la salle, ils ont affirmé que la perpétuité réelle serait rétablie, sans aménagement, même pour "bon comportement", quand tous les syndicats de surveillants de prison demandent à ce que les prisonniers puissent avoir l’ombre d’un espoir, au risque de devenir des fous furieux, prêts à tout.
Les auditions devant les chasseurs ont poussé cette logique jusqu’à l’absurde. Il faut dire qu’ils sont au moins un million. Il faut les câliner. Emmanuel Macron a délégué son ministre, chasseur à l’arbalète, Marc Fesneau, pour encore une fois les brosser dans le sens du poil. Chacun y a été sommé de défendre la chasse à courre, à la glue, au risque de passer pour un odieux personnage qui méprise la ruralité et déteste les territoires. Pas de dialogue possible sur les dates de chasse, le droit des promeneurs. On est pour la chasse ou contre. Pas de quartiers.
Pareillement, auditionné par les associations écologistes, il convient de ne pas parler de la difficile transition pour les agriculteurs sur le glyphosate ou les neonicotinoides. Et inversement, pour apaiser la colère des agriculteurs, il est de bon ton de se calmer sur les pesticides. La complexité des situations n’est plus à l’ordre du jour. Comme le résumait un vieux routier de la politique, aujourd'hui c’est devenu "dites-moi ce que vous voulez entendre, et je vous le dirai". Un peu fâcheux. Non?