Le canal de Panama, au cœur d’une nouvelle bataille géopolitique
Le canal de Panama, artère stratégique reliant l’Atlantique au Pacifique, est à nouveau au centre d’un bras de fer mondial.
Cette fois, les protagonistes ne sont pas des étudiants panaméens en quête de souveraineté ou des ouvriers sacrifiant leur vie pour achever un projet titanesque. En 2024, ce sont deux géants économiques, les États-Unis et la Chine, qui se disputent, à distance, l’influence sur cette voie maritime cruciale.
Récemment, Donald Trump, président élu des États-Unis, a ravivé les tensions en lançant des accusations fracassantes contre la Chine. Selon lui, des soldats chinois seraient en poste au canal de Panama. Une affirmation démentie par les autorités panaméennes et chinoises, mais qui a suffi à enflammer les débats.
Trump a également dénoncé les coûts « excessifs » imposés par le Panama pour l’utilisation du canal, allant jusqu’à suggérer une reprise du contrôle par les États-Unis, si nécessaire par la force.
Un héritage complexe
La portée de ces déclarations ne peut être comprise sans un retour sur l’histoire mouvementée du canal. Conçu à l’origine par les Espagnols au XVIe siècle, puis partiellement réalisé par les Français au XIXe siècle, le canal a finalement été achevé par les Américains en 1914.
En échange de leur soutien à l’indépendance du Panama, les États-Unis avaient obtenu un contrôle total sur la « Zone du canal », une bande de terre de 5 miles de chaque côté de la voie.
Ce contrôle a perduré jusqu’à ce que les Panaméens, frustrés par cette domination étrangère, réclament leur souveraineté. Le point culminant de cette lutte est survenu en 1964, lorsque des affrontements violents entre des étudiants panaméens et des citoyens américains de la Zone ont causé plusieurs morts.
Ces événements ont marqué un tournant, conduisant aux traités Torrijos-Carter en 1977, qui ont restitué le canal au Panama en 1999.
Depuis lors, l’Autorité du canal de Panama gère ce joyau national avec fierté, insistant sur sa neutralité et son ouverture à tous les navires, quelle que soit leur origine.
L’œil du dragon
Cette neutralité n’empêche pas la Chine de s’intéresser de près au canal, devenu essentiel pour son économie tournée vers l’exportation. Ces dernières années, Pékin a intensifié ses investissements au Panama, notamment à travers la gestion des ports de Balboa et Cristóbal par Hutchison Ports, une entreprise basée à Hong Kong.
Bien que ces installations soient sous l’autorité du gouvernement panaméen, leur gestion par une entreprise chinoise alimente les suspicions, particulièrement du côté des États-Unis. Les Américains redoutent que ces infrastructures, en apparence civiles, puissent être utilisées à des fins militaires.
Lors de nos entretiens sur place, réalisés en 2018, les Panaméens exprimaient une prudence mêlée de pragmatisme face à l’influence croissante de la Chine. « Ils investissent, ils promettent, mais nous restons vigilants. Avec les grandes puissances, il faut toujours être sur ses gardes », confiait un ancien président panaméen.
La bataille des perceptions
Dans les rues de Panama City, les opinions sont partagées. Si beaucoup reconnaissent les opportunités économiques offertes par la Chine, d’autres redoutent une nouvelle forme de dépendance. Parallèlement, la relation avec les États-Unis reste marquée par des décennies de domination, bien que les générations actuelles aient une vision moins conflictuelle de cette histoire.
Les propos de Donald Trump, bien que largement critiqués, reflètent une inquiétude américaine plus large : celle de perdre de l’influence dans une région où la Chine avance ses pions. Cette rivalité ne se joue pas seulement au Panama, mais dans toute l’Amérique latine, où Pékin multiplie les projets d’infrastructure et les partenariats économiques.
Un équilibre fragile
Face à ces tensions, le Panama s’efforce de maintenir un équilibre. Le canal, symbole de sa souveraineté, est géré avec la ferme intention de rester neutre. Comme l’a rappelé Esmeralda Orobio, nièce d’un des martyrs de 1964 : « Le canal est à nous, et nous le défendrons. »
Cette déclaration, empreinte de fierté nationale, illustre la posture actuelle du Panama : une petite nation tenant tête aux ambitions des plus grands, déterminée à naviguer entre leurs pressions pour préserver sa liberté.
Dans ce contexte, le canal de Panama n’est pas seulement une voie maritime, mais un champ de bataille silencieux où s’affrontent les visions du monde, les intérêts stratégiques et les promesses d’un avenir partagé.
Par Olivier d’Auzon