Sénégal : Deux premières dames et un nouveau gouvernement, quels ont les contours de la politique de rupture ?
Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye n’hésite pas à le montrer publiquement.
En fait, le Sénégal a désormais deux premières dames, et durant sa cérémonie d’investiture organisée le 2 avril 2024, le 5ème chef d’État fraîchement élu s’est présenté avec ses deux épouses, Marie et Absa.
En fait, le Sénégal a désormais deux premières dames, et durant sa cérémonie d’investiture organisée le 2 avril 2024, le 5ème chef d’État fraîchement élu s’est présenté avec ses deux épouses, Marie et Absa.
Une image inédite dans le paysage politique sénégalais, bien que la polygamie soit une pratique courante dans le pays. Élu le 24 mars à la tête du Sénégal, « BDF » est entré au palais présidentiel avec ses deux femmes, Marie et Absa. Une première dans ce pays.
La scène est inédite au Sénégal. À quelques minutes seulement de la fin de la campagne présidentielle, Bassirou Diomaye Faye s’avance d’un pas mesuré sur une tribune en tenant la main de ses deux épouses, Marie et Absa. Applaudi par des milliers de sympathisants en liesse, le candidat de la rupture et du panafricanisme a fait le choix d’afficher ouvertement sa polygamie, une pratique traditionnelle et religieuse solidement ancrée dans la culture sénégalaise, avant son élection triomphante dès le premier tour du scrutin avec 54,28 % des voix.
Méconnue jusque-là, Marie Khone, la première femme qu’il a épousée il y a quinze ans et avec laquelle il a quatre enfants, est originaire du même village que lui. Il s’est marié à la seconde, Absa, il y a un peu plus d’un an.
De nombreuses femmes opposées à cette pratique
« C’est une consécration de la tradition de la polygamie au sommet de l’État avec une situation qui va coller à la réalité sénégalaise », estime le sociologue Djiby Diakhaté, ajoutant que cette pratique est « plébiscitée » par beaucoup d’hommes mais que de nombreuses femmes demeurent « méfiantes » sur les principes la régissant.
Nombre d’entre elles se disent contre cette pratique, qu’elles jugent hypocrite et injuste à leur égard. Et la commission de l’ONU pour les droits de l’Homme a jugé dans un rapport publié en 2022 que la polygamie constitue une discrimination vis-à-vis des femmes qui doit être éradiquée.
Si elle est difficile à chiffrer car beaucoup de mariages ne sont pas enregistrés, 32,5 % des Sénégalais mariés vivent en union polygame, selon un rapport en 2013 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Pour le sociologue Djiby Diakhaté, Bassirou Diomaye Faye a lancé un « signal fort pour que les autres hommes assument également leur polygamie, et pour qu’ils fassent preuve de transparence comme lui » avec « sans doute une volonté de mettre fin à la pratique de la polygamie cachée, appelée le « Takou Souf » (en wolof), ce qui, selon lui, « sera une bonne chose pour l’économie du pays et pour la situation matrimoniale ».
Éthique et probité
Pendant sa campagne électorale éclair, Bassirou Diomaye Faye n’a cessé de se présenter comme un candidat de « rupture », porteur d’un changement drastique. Plus qu’un succès personnel, sa victoire est celle de Pastef, un parti qui a subi une féroce répression : dissous par le gouvernement l’été dernier, il a vu des centaines de ses militant·es être incarcéré·es et plusieurs dizaines de ses sympathisant·es tué·es en manifestation. Son leader, Ousmane Sonko, a su s’effacer et transférer sa popularité vers son remplaçant. Le slogan de la campagne ? « Diomaye mooy Sonko » (« Diomaye, c’est Sonko »), selon Media Part.
Sénégal: les objectifs du gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko
La force de Pastef, c’est sans doute d’avoir su coller à des aspirations profondes de la société sénégalaise, par-delà les divergences de classes. Né d’un petit groupe de hauts fonctionnaires, il a peu à peu convaincu les enseignant·es, les jeunes, la diaspora et la plupart des autres groupes sociaux. Dans un pays miné par des inégalités criantes, son discours dénonçant la captation des ressources par des compagnies étrangères et une minorité de nationaux a fait mouche.
En toile de fond, l’idée de remettre l’intérêt général au centre du jeu. Jouissant d’une réputation de probité absolue, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ont eu tout loisir de dérouler un discours anticorruption rassembleur, promettant de mettre l’éthique et la bonne gouvernance au centre de leur projet.
La « rupture », c’est aussi la remise en cause du statu quo néocolonial. Ce qui passe par la renégociation des contrats miniers, gaziers et pétroliers. Mais aussi par une réforme en profondeur du franc CFA, voire par la création d’une monnaie nationale. Sur le plan militaire, le programme du nouveau président prévoit une révision des accords de défense, qui pourrait se traduire par la fermeture des deux bases que l’armée française a conservées dans le pays.
« Douceur » plutôt que « conflit » avec la France
Mais s’il entend rééquilibrer les rapports de son pays avec Paris et plus globalement avec l’Occident, le nouveau chef de l’État se veut diplomate, prudent et pragmatique. Dans son premier discours de président élu, il a tenu à rassurer la communauté internationale. Le Sénégal, a-t-il promis, « restera le pays ami et l’allié sûr et fiable pour tout partenaire qui s’engagera, avec nous, dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».
Membre fondateur de Pastef et conseiller d’Ousmane Sonko, Ousmane Abdoulaye Barro reformule le propos : « Nos partenaires savent qu’il faudra, un jour ou l’autre, modifier nos rapports. Il vaut mieux le faire dans la paix, dans la douceur, plutôt que dans le conflit, comme ça s’est passé dans les pays voisins où des militaires ont finalement pris le pouvoir et ont chassé les étrangers. Ça, ce n’est pas souhaitable. »
Si les classes les plus pauvres sont séduites par la promesse de baisser le prix des produits de première nécessité, le patronat semble emballé par le patriotisme économique défendu par le parti. « Cela génère un espoir énorme parce qu’aujourd’hui notre économie est trop extravertie. C’est-à-dire que le secteur privé national n’a pas suffisamment accès à la commande publique, explique Thiaba Camara Sy, fondatrice de la branche sénégalaise du cabinet de conseil Deloitte et du Women’s Investment Club Sénégal, un fonds d’investissement finançant des projets portés par des femmes.
« Les gros marchés sont souvent captés par de grosses sociétés internationales, sous le prétexte que, localement, nous sommes sous-capitalisés et que nous n’avons pas de savoir-faire, insiste-t-elle. Mais si on fonctionne comme ça, on restera sous-capitalisés ad vitam æternam et il n’y aura pas de développement de savoir-faire ! »
Un gouvernement de 25 ministres
Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a nommé vendredi un gouvernement de 25 ministres, largement composé de visages nouveaux pour le grand public et novices au niveau ministériel. Selon le Premier ministre Ousmane Sonko, cette équipe incarne "la transformation systémique plébiscitée par le peuple sénégalais."
Ce sont les nouveaux visages de la politique de "rupture" revendiquée par Bassirou Diomaye Faye. Le président sénégalais a nommé, vendredi 5 avril, un gouvernement, largement composé de profils peu connus du grand public et novices au niveau ministériel.
Annoncé à la presse au palais présidentiel, ce cabinet comporte 25 ministres, dont quatre femmes, aux Affaires étrangères, aux Pêches, à la Famille et à la Jeunesse et la Culture. Il inclut aussi cinq secrétaires d'État, tous des hommes.