Les Fantômes du Sahel : Ghanéens dans la tourmente du Burkina Faso
![](https://cdn.al-ain.com/images/2025/2/11/264-212546-images-2025-02-11t182255.135_700x400.jpeg)
Les frontières de l’Afrique de l’Ouest sont des lignes abstraites, tracées sur des cartes mais souvent ignorées par la réalité du terrain.
Entre le nord du Ghana et le Burkina Faso, la guerre s’infiltre à travers routes et pistes clandestines, portée par des hommes sans patrie, animés par la vengeance ou par une cause qui les dépasse, révèle Ed Butler pour la BBC World Service, le 10 février 2025 .
Dans la ville de Tamale, carrefour poussiéreux où se croisent commerçants, contrebandiers et combattants, trois hommes racontent leur engagement. Ils sont Ghanéens mais se battent au Burkina Faso. Pourquoi ? La question apparaît presque absurde à leurs yeux.
« Nous vivons avec les morts, » dit l’un d’eux, la voix éraillée par la fatigue. Il parle de cadavres jonchant les champs, de villages rayés de la carte, d’une guerre qui ne leur appartenait pas mais qui les a avalés.
Le phénomène n’est pas isolé. Depuis plusieurs années, des groupes armés recrutent de jeunes Ghanéens, profitant du chaos qui règne dans le Sahel. Les motivations varient : certains rejoignent les rangs des terroristes pour des raisons idéologiques, d’autres pour venger un proche tué par l’armée burkinabè, d’autres encore y voient une opportunité économique. Car au-delà du combat, la guerre est aussi un commerce : les pillages de bétail et les trafics d’armes financent les insurrections.
Une frontière poreuse, une contagion inévitable
La guerre au Burkina Faso a déjà fait plus de deux millions de déplacés. Chaque semaine, des familles fuient le nord pour tenter de trouver refuge au Ghana.
Mais la menace ne s’arrête pas aux frontières.
À Bawku, ville ghanéenne frontalière, le conflit se fait sentir. Des tirs résonnent la nuit, des armes circulent sous couvert du commerce. Des camions d’oignons venus du Niger dissimulent des kalachnikovs, alimentant un marché noir qui ne cesse de croître.
Officiellement, le Ghana reste à l’abri. Officieusement, la guerre l’a déjà gagné. Selon un représentant du groupe Jama'at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), la branche locale d’Al-Qaïda, « le Ghana n’est pas une cible ». Mais l’histoire récente prouve le contraire.
« Le Togo non plus n’était pas concerné. Maintenant, il l’est, » affirme l’un des combattants ghanéens.
Le conflit au Burkina Faso n’est plus seulement une lutte religieuse. Il s’agit d’une guerre sans visage, où s’effacent peu à peu les distinctions entre armée, milices et bandits. Ce qui a commencé comme une insurrection idéologique s’est transformé en guerre de territoire et d’économie parallèle.
Une réponse insuffisante
Face à cette menace grandissante, le Ghana hésite. Des mesures de sécurité ont été renforcées dans le nord, mais elles restent largement inefficaces face à des combattants qui connaissent le terrain mieux que les forces de l’ordre. Les recrutements clandestins se poursuivent, les armes circulent, et la frontière demeure une passoire.
La guerre qui consume le Burkina Faso ne se contentera pas de s’arrêter aux limites du Ghana. Elle avance, insidieuse, portée par des hommes en quête de sens, par des trafics florissants, par une instabilité qui dépasse les seules volontés politiques.
Dans la poussière rouge du nord, la tempête approche. Reste à savoir quelle forme elle prendra.
Par Olivier d’Auzon