Netflix : « The Killer", la routine d'un tueur solitaire
David Fincher présente un film efficace et sans fioriture, à l’image de son héros, professionnel du meurtre qui doit éliminer ses commanditaires pour sauver sa peau.
A ceux qui attendaient de David Fincher un nouveau dédale de fiction (Zodiac, The Social Network) ou de piège mental (Fight Club, Gone Girl) à l’architecture complexe, dans la plus pure tradition néohitchcockienne, son dernier long-métrage risque fort d’apparaître déconcertant.
Tiré d’une bande dessinée française signée Matz et Luc Jacamon (Le Tueur, Casterman), The Killer se présente comme une épure : un film simple, d’une seule traite, filant droit au but, franchissant les étapes une à une en évitant détours et faux-semblants.
Avec lui, Fincher décrit un crochet par la série B comme on s’astreint à un régime maigre, retour aux sources d’une efficacité sèche, celle-là même qu’on lui reconnaissait à ses débuts dans les années 1990.
Un tireur solitaire (Michael Fassbender) posté au dernier étage d’un immeuble en travaux, à Paris, attend sa cible et, au moment décisif, la manque.
Ses commanditaires se retournent illico contre lui, et le voilà contraint de les devancer, d’en remonter toute la chaîne – hommes de main, affidés et donneurs d’ordre, jusqu’au client – pour les éliminer un par un, et ainsi sauver sa peau, au fil d’un périple entre plusieurs pays.
Ce programme limpide, Fincher l’assimile d’emblée à la logique de flux de la plate-forme, avec un générique passe-partout (très anticinématographique) qui ressemble à celui d’une série télévisée policière façon Les Experts (2000-2015).
Plus encore que d’une expertise, c’est sous l’angle d’une routine que le film aborde la geste de l’assassin, déclinée en une série de règles stricte. Usage est ainsi fait de la voix off pour recueillir le monologue intérieur du tireur, kyrielle d’adages sentencieux débités sur un ton cynique, qui, dans leur prétention à dominer le hasard, font état d’une certaine hubris, l’homme n’hésitant pas à se compter parmi les élites, comme à justifier ses agissements à coups de statistiques désincarnées. Seule rampe d’accès à ce sujet silencieux et clandestin, ce commentaire signale surtout son isolement, son enfermement en lui-même. Plus encore que l’action brute (dont une bagarre tabassant dru en Floride), la caméra accompagne les phases de préparation minutieuse et d’attente solitaire, qui consistent à se fondre dans l’anonymat, à disparaître au cœur même du monde – l’essentiel de son activité étant dormante, rapporte Le Monde.
Hygiénisme vitrifié
A la voix off du tireur, il arrive parfois d’être démentie par les faits têtus et une réalité récalcitrante. Plutôt que d’investir cette brèche d’ironie, Fincher se rabat sur le professionnalisme du héros, redoublant sa maîtrise par celle de sa mise en scène.
A coups de panoramiques secs, de travellings calés, de coupes sèches, attirail esthétique ivre d’efficacité laconique, le personnage s’apparente à un passe-muraille, sachant exploiter les failles d’une modernité techno numérique où l’excès d’information est une nouvelle forme de brouillage.
Acquis à l’hypercompétence de son héros, qui n’est jamais qu’un reflet de la sienne, Fincher dresse par l’exemple une ode au « métier ».
Le dégraissage par la série B agit ici comme un révélateur : de la patte du cinéaste, on surprend aussi bien le savoir-faire que le revers immédiat, à savoir un hygiénisme vitrifié et quelque peu frigide.