Piraterie, drogue et autres crimes de mer : l’Afrique à l’abordage
Dans les eaux chaudes et troubles du Golfe de Guinée, au large des côtes du Nigeria, un cargo file à pleine vitesse. L’équipage, tendu, scrute l’horizon. La radio grésille.
Un appel paniqué d’un navire voisin : « Attaque en cours, nous avons des hommes à bord ! » Un silence, puis une rafale sèche. Une prise d’otages de plus, une rançon à venir, un drame oublié.
Ce théâtre de l’ombre, où se croisent trafiquants, insurgés et mercenaires, est au cœur du dernier rapport du MICA Center, publié le 4 février 2025.
Un constat implacable : les océans du monde ne sont plus seulement les artères du commerce mondial, mais aussi les champs de bataille silencieux d’une guerre sans visage.
Le Golfe de Guinée : l’empire de la drogue et des armes
Il fut un temps où la piraterie était l’apanage des rives somaliennes. Mais en 2024, c’est le Golfe de Guinée qui a pris le relais, concentrant plus de 40 % des attaques contre les navires civils.
Les assaillants ne sont plus de simples brigands en quête d’une cargaison à écouler. Ils sont aujourd’hui les maillons d’une chaîne de trafic mondiale, des milices armées du Delta du Niger aux cartels d’Amérique latine, où la cocaïne voyage de la jungle colombienne aux docks d’Abidjan et de Lomé.
Le MICA Center souligne un basculement inquiétant : les gangs nigérians ne se contentent plus de kidnapper des équipages pour obtenir des rançons. Ils sont désormais les courroies de transmission d’un commerce lucratif : celui de la drogue. En 2024, plus de 32 tonnes de cocaïne ont transité par les ports d’Afrique de l’Ouest, infiltrant l’Europe par des routes nouvelles, échappant aux radars.
Dans ce chaos, une ville incarne ce nouveau Far West : Cotonou, au Bénin. Là, sous couvert de la pêche artisanale, des barges disparaissent chaque nuit dans la brume, transportant clandestinement des kilos de poudre blanche. Les cargaisons, parfois escortées par des vedettes armées, filent vers la Sierra Leone, la Guinée, ou directement vers les méga-ports du Vieux Continent.
« Nous ne sommes plus face à de la piraterie, mais face à une économie parallèle militarisée, » prévient un officier de la marine française en poste dans le Golfe. Une hydre que les missions internationales, comme l’opération Corymbe, peinent à endiguer.
Le Golfe d’Aden : l’insurrection venue des flots
Si le Golfe de Guinée est la plaque tournante du trafic, c’est en mer Rouge que se joue une bataille aux conséquences mondiales. Depuis l’automne 2023, un ennemi redoutable a émergé des sables du Yémen : les Houthis.
L’histoire retiendra peut-être la date du 19 novembre 2023, lorsque les insurgés s’emparèrent du MV GALAXY LEADER, cargo battant pavillon des Bahamas, transportant 25 marins. En une nuit, les Houthis firent basculer la géopolitique maritime.
Dès lors, la mer Rouge est devenue un champ de tir. Le MICA Center recense plus de 700 frappes en un an, avec une intensité croissante. Missiles balistiques, drones-kamikazes, vedettes piégées, la panoplie houthie s’étoffe et met à l’épreuve les marines américaines et européennes déployées dans la région.
Des cibles stratégiques
Les Houthis ne frappent pas au hasard. Leur objectif est clair : étouffer le commerce mondial et faire de Bab el-Mandeb un no man’s land. Le MICA Center documente les attaques les plus marquantes :
• MV RUBYMAR (février 2024) : torpillé en pleine nuit, il coule au large du Yémen avec 20 000 tonnes de phosphates.
• MV TRUE CONFIDENCE (mars 2024) : touché par un missile de croisière, il prend feu. Quatre marins meurent dans l’incendie.
• MV TUTOR (juin 2024) : frappé en pleine mer, provoquant la mort de deux marins et une marée noire au large d’Oman.
Les armateurs ne s’y trompent pas : depuis janvier 2024, 66 % des navires évitent la mer Rouge et contournent l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance. Une route plus longue, plus coûteuse, mais plus sûre.
Dans ce jeu d’échecs, les Houthis avancent leurs pièces avec méthode. En janvier 2025, ils orchestrent une attaque de 16 missiles balistiques et 3 drones suicides sur un convoi protégé par les destroyers américains USS STOCKDALE et USS O’KANE. Un assaut massif, évité de justesse grâce à l’intervention des systèmes anti-aériens occidentaux.
Mais les Houthis ne se battent pas seuls. Derrière eux, l’ombre de l’Iran plane. Un missile balistique ne s’improvise pas. Les services de renseignement estiment que Téhéran fournit armes, conseils et financements à cette milice devenue un acteur stratégique.
Les océans sous haute tension
Le rapport du MICA Center est formel : 2024 a marqué un tournant dans l’insécurité maritime mondiale.
• Le Golfe de Guinée s’enfonce dans une spirale où se mêlent piraterie, terrorisme et trafic de drogue.
• Le Golfe d’Aden est devenu un front de guerre maritime où chaque cargo est une cible potentielle.
• Le canal de Suez voit son trafic s’effondrer, redessinant les routes commerciales mondiales.
Face à cette marée montante, les grandes puissances naviguent à vue. Les missions européennes, comme l’opération ASPIDES, peinent à juguler les assauts houthistes. Les convois armés se multiplient, mais la tentation du repli gagne du terrain. Les assureurs augmentent leurs primes, les compagnies maritimes désertent la région, et peu à peu, un axe stratégique du commerce mondial s’efface.
Dans le Golfe de Guinée, la lutte contre la piraterie se heurte à la corruption et aux complicités locales. Les narco-trafiquants nigérians dictent leur loi, les cargaisons de drogue voyagent sous escorte armée, et les marins, otages d’une guerre qui n’est pas la leur, continuent de disparaître.
À l’aube de 2025, une question demeure : jusqu’où ira l’anarchie maritime avant que le monde ne prenne la mesure du danger ?
Par Olivier d’Auzon