Pourquoi l'Afrique devient-elle un champ de bataille entre la Russie et l'Occident avec en tête la France ?
Un sommet Russie-Afrique, puis des visites mutuelles des responsables russes et africains, ensuite une tournée rapide du chef de la diplomatie russe Sergey Lavrov dans quatre pays africain au Sahel…
Ce rapprochement a commencé en juillet 2023, précisément, au 2e Sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg avec la participation de 49 des 54 pays africains et 17 pays étaient représentés au niveau des chefs d'Etat.
En fait, la Russie a mis l’accent lors de ce sommet sur les perspectives de développement des relations entre la Russie et l'Afrique, en particulier sur l'aide russe au développement national souverain des pays africains, en garantissant un accès équitable à la nourriture, aux engrais, aux technologies modernes et aux ressources énergétiques. Il y aura une annonce de certaines des initiatives russes dans ce domaine et la signature de plusieurs accords".
Lavrov est l’un des artisans du retour de son pays en Afrique
Notons que durant ces derniers jours, le chef de la diplomatie russe a poursuivi son offensive africaine, du 3 au 5 juin, avec cette fois quatre pays qui, comme le Tchad, étaient jusque-là considérés comme relevant du « pré carré » français. Il avait précédemment visité la Guinée, le Congo-Brazzaville et le Burkina Faso. En poste depuis vingt ans, M. Lavrov est l’un des artisans du retour de son pays sur le continent africain, ravivant des liens distendus après la chute de l’URSS, pour chercher à s’offrir des soutiens contre un « bloc occidental hostile » depuis que Moscou a déclaré la guerre à l’Ukraine.
Pour le chercheur nigérian Ebenezer Obadare, du groupe de réflexion Council on Foreign Relations (CFR), la lutte de pouvoir entre la Russie et l'Occident en Afrique est un nouveau chapitre de la rivalité entre ces deux pôles de puissance, qui s'est intensifiée surtout l'année dernière à la suite de la guerre de l'Ukraine. "Ce que la Russie veut en Afrique, c'est ce que les pays occidentaux veulent aussi : influence diplomatique, influence sur l'économie et la politique, projection de leur pouvoir et de leur influence", explique-t-il à BBC tout en précisant : "Il n'y a pas d'intentions altruistes, seulement des intentions politiques."
Envoi d'aide, présence militaire et investissements économiques
Selon des experts consultés par BBC, les actions des deux parties se traduisent principalement par l'envoi d'aide et de présence militaire et par des investissements économiques, mais aussi par de la propagande et de l'influence culturelle.Selon des documents obtenus par The Intercept, en 2019, les États-Unis disposaient de 29 bases situées dans 15 pays ou territoires du continent africain.Une autre force très présente est la France. Le pays européen, qui a colonisé par le passé les territoires où se trouvent aujourd'hui l'Algérie, le Sénégal, le Tchad, le Mali, le Bénin, le Soudan, le Gabon, la Tunisie, le Niger, le Congo, le Cameroun et la Côte d'Ivoire, maintient des bases à Djibouti, au Gabon, au Sénégal et en Côte d'Ivoire.
Rapprochement entre la Russie et la RDC
En mars dernier, un projet d’accord de coopération militaire avec la République démocratique du Congo a été approuvé par Moscou. Une annonce faite sur le site officiel du gouvernement russe, mais peu de détails ont pour l'instant filtré sur la forme que prendrait cette coopération… Cette annonce de ce projet a été faite précisément mardi 5 mars sur le site des informations juridiques de la fédération de Russie. Le communiqué indique que « le gouvernement russe a approuvé le projet d’accord de coopération militaire avec la RDC, présenté par le ministère russe de la Défense en coordination avec le ministère russe des Affaires étrangères. »
Il précise notamment que l’accord prévoit l’organisation d’exercices conjoints, de visites de navires de guerre et d’avions de combat, et la formation de militaire ainsi que d’autres formats de coopération. Coté congolais, pas plus d’informations pour le moment.
Recours au groupe russe Wagner ?
Pour rappel, le ministre congolais de la Défense a visité Moscou il y a un peu mois de deux ans, en août 2022, ce qui avait suscité des spéculations sur un éventuel recours au groupe paramilitaires russe Wagner, pour venir à bout de l’insécurité persistante dans l’est de la République démocratique du Congo.
Sociétés militaires privées
Depuis un an, deux sociétés militaires privées opèrent aux côtés de l’armée congolaise dans l’est du pays. L’une dirigée par un Français, l’autre par un citoyen roumain : elles sont officiellement chargées d'instruire et d'appuyer l'armée congolaise. Interrogé sur leur présence il y a quelques mois, le président Tshisekedi avait précisé qu’il s’agit de coachs.
La RDC a par ailleurs repris sa coopération militaire avec les États-Unis en signant en 2020 un accord qui comprend entre autres la formation d’officiers congolais aux États-Unis. L’ambassadeur américain de l’époque avait précisé qu’à travers cet accord, Washington apportait un soutien militaire pour éradiquer les groupes armés dans l’est de la RDC.
Immenses richesses minières au Congo
La République démocratique du Congo est un pays doté d’immenses richesses minières et d’une population immense, mais malgré cela, la vie de la plupart des habitants ne s’est pas améliorée, les conflits, la corruption et la mauvaise gouvernance persistant.
Une grande partie des ressources naturelles du pays se trouvent dans l'est du pays, où la violence fait toujours rage malgré les tentatives de M. Tshisekedi pour remédier à la situation en imposant l'état de siège, des accords de cessez-le-feu et l'envoi de troupes régionales.
Une tentative du coup d’état déjouée
Depuis plus de quatre semaines, une quarantaine de personnes, dont des Américains et un Britannique, ont été arrêtées dimanche après une tentative ratée de coup d'Etat à Kinshasa, a annoncé l'armée congolaise. Une enquêté a été ouverte sur cette tentative déjouée… depuis trois jours, le procès de 51 individus, dont trois Américains, accusés d'avoir tenté de renverser le président de la République démocratique du Congo le mois dernier, a commencé. L'audience est retransmise en direct à la télévision et à la radio nationales depuis la prison militaire de N'dolo, à Kinshasa, la capitale.
Les accusés ont été introduits devant le tribunal militaire vêtus de chemises bleues et jaunes, marquant leur première apparition en public depuis l'échec du coup d'État.
Poutine : Notre respect pour la souveraineté des Etats africains est inchangé
"Notre respect pour la souveraineté des États africains, leurs traditions et leurs valeurs, leur désir de déterminer de manière indépendante leur propre destin et de construire librement des relations avec leurs partenaires reste inchangé", a écrit M. Poutine dans une déclaration publiée en juillet de cette année à l'occasion du sommet Russie-Afrique, qui a réuni plusieurs dirigeants à Saint-Pétersbourg.
Instabilité politique et richesses minières
C'est au Sahel que la lutte d'influence s'est manifestée de la manière la plus tendue. Cette région de neuf pays traverse une longue période d'instabilité et de violence, mais elle est aussi attirée par ses richesses naturelles.La prolifération des organisations terroristes et autres groupes armés non étatiques s'ajoute aux crises politiques successives qui ont éclaté dans cette vaste bande aride au sud du Sahara, qui s'étend de l'océan Atlantique à l'ouest à la mer Rouge à l'est, selon un rapport de la BBC.
Outre les coups d'État au Mali et au Niger, les militaires ont pris le pouvoir dans des circonstances similaires entre 2021 et 2022 au Burkina Faso, au Tchad et en Guinée (qui ne fait pas techniquement partie du Sahel, mais qui a des frontières avec le Mali et le Sénégal). L'ingérence des puissances occidentales - et plus récemment de la Russie - dans ces conflits a été constante.
Selon les analystes, l'abondance des ressources naturelles telles que le pétrole et les minerais constitue toutefois un point important. Bien qu'il ne soit pas aussi important que dans d'autres parties de l'Afrique, le Sahel possède de précieux gisements d'uranium, de calcaire et de phosphate. "Des pays comme les États-Unis, la France, la Corée du Sud et d'autres se sont soudainement intéressés au Niger. C'est un pays pauvre, mais il a de l'uranium", explique M. Obadare.
Moscou, en revanche, considère la Guinée - deuxième producteur mondial de bauxite et propriétaire de riches réserves de minerai de fer, d'or et de diamants - comme une destination stratégique pour les investissements. "La bauxite est une source d'importation très importante pour la Russie", explique Tatiana Smirnova. Dans le même temps, l'isolement de la Russie étant favorisé par les sanctions imposées par l'Occident après l'invasion de l'Ukraine, le Kremlin est constamment à la recherche de partenaires commerciaux sur de nouveaux marchés. "La Russie développe également ses politiques en termes de contrôle des sources d'énergie, telles que le pétrole et l'énergie nucléaire, dans le monde entier. Toutes ces préoccupations économiques, ajoutées à la géopolitique, font de l'Afrique l'une des priorités de la Russie à l'heure actuelle", explique-t-il.
Pour un nombre d’analystes comme Tatiana Smirnova, la propagande russe a trouvé un terrain fertile en Afrique au cours de décennies de mécontentement face aux interventions militaires et diplomatiques de pays comme la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. "Le ressentiment à l'égard de l'Occident existait déjà avant que l'influence russe ne s'étende largement en Afrique", explique la chercheuse. La popularité de la Russie remonte également à l'époque soviétique, lorsque le socialisme de l'URSS a influencé les luttes nationalistes qui ont conduit à l'indépendance de nombreuses nations africaines au XIXe siècle, et au fait que le pays ne faisait pas partie des puissances coloniales.