Pourquoi parle-t-on d’année «bissextile»?
Tous les quatre ans, un jour supplémentaire alimente les fantasmes. Al-Ain News revient sur son origine étonnante.
C'est l'histoire d'un journal dont la conférence de rédaction s'étale sur des années. Son rythme de publication est plutôt paisible. Il n'est en kiosque qu'une fois tous les quatre ans. « La Bougie du sapeur » est un bien curieux périodique. Plus rare encore, son supplément n'est destiné à paraître que les 29 février qui tombent un dimanche.
Tous les 28 ans. Autant dire que l'abonnement ne coûte pas grand-chose. Il était possible jusque tout récemment de s'abonner pour un siècle entier, moyennant la modique somme de 100 euros.
Vous auriez reçu par la poste, chers lecteurs, tous les numéros jusqu'en 2100. 2100, à ce propos, sera d'ailleurs une année particulière. Les nouvelles générations pourront se targuer de vivre un évènement peu banal, et de mettre en pratique un des éléments de la réforme grégorienne qui dort dans les manuscrits depuis un demi-millénaire.
Revenons un peu en arrière. Au centre de la réforme grégorienne trône un pape, Grégoire XIII. L'écart se creusant entre le calendrier julien et le calendrier solaire, il faut combler un retard de treize jours. Le pontife choisit de trancher directement dans le lard, supprime dix jours entiers, et fait mourir Sainte Thérèse d'Avila un 15 octobre sur le papier, alors qu'elle décède véritablement un 4 ou 5 octobre 1582, nuit désormais fantomatique dans l'agenda espagnol,selon le Figaro.
Revenons un peu en arrière. Au centre de la réforme grégorienne trône un pape, Grégoire XIII. L'écart se creusant entre le calendrier julien et le calendrier solaire, il faut combler un retard de treize jours. Le pontife choisit de trancher directement dans le lard, supprime dix jours entiers, et fait mourir Sainte Thérèse d'Avila un 15 octobre sur le papier, alors qu'elle décède véritablement un 4 ou 5 octobre 1582, nuit désormais fantomatique dans l'agenda espagnol.
Un second problème se pose, plus épineux encore. L'écart est rattrapé, soit, car en gardant à l’identique le même décompte des minutes et des heures, le hiatus entre années solaire et calendaire risque nécessairement de repartir de plus belle. Le deuxième point de la réforme grégorienne est donc le suivant. Grégoire XIII décide d'attribuer désormais 365 jours, et non 366, à trois sur quatre des années de passage d'un siècle à l'autre. L'écart se creusera certes, mais sera comblé à intervalles réguliers. Tous les quatre cents ans. Les années 2000 et 2400 sont bissextiles. Et celles-ci seulement. L’année 2100 ne sera donc pas bissextile et le mois de février ne comptera pas de 29e jour.
Avant la sixième calende
Contrairement à ce qui est souvent dit, le principe de l'année bissextile n'est donc pas une trouvaille de Grégoire XIII. Mais lui revient simplement l’idée géniale d'en garder une seule toutes les quatre années de changement de siècle. Le mot « bissextile » remonte d'ailleurs à plus loin. Il est emprunté au latin « bisextilis », datant du Ive siècle et provenant lui-même de « bisextus ». Anticipons sur les sourires en coin. Rien à voir ici avec la bisexualité. Le mot signifie « deux fois sixième ».
Que vient faire ici ce chiffre six ? Le jour intercalé tous les quatre ans dans le calendrier julien était le sixième jour avant les calendes de mars et doublait ce jour. Les esprits superstitieux l'ont craint très vite. Ce jour exceptionnel est considéré comme un jour de malheur dès l'époque romaine, une sorte de vendredi 13 qui reviendrait périodiquement. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la racine latine a également donné un mot aujourd'hui désuet, celui de « bissêtre ». Il désigne le malheur, la malaventure. « Eh bien ! Ne voilà pas mon enragé de maître ! Il nous va faire encor quelque nouveau bissêtre », trouve-t-on sous la plume de Molière.
Le décret de Canope*
On trouve en fait ce principe d'une journée intercalaire, d'un jour « bissextil » comme on disait alors, dès Jules César. C'est l'empereur lui-même qui, en 45 avant J.C., fait appel à l'astronome Sosigène d'Alexandrie pour régler un décalage déjà flagrant. Ce Grec s'inspire alors d'une méthode égyptienne. Il s'appuie sur un décret gravé sur une stèle sous le règne du pharaon Ptolémée III en 238 avant JC, la pierre de Canope, près d'Alexandrie. C'est en fait la décision qu'elle acte, édictée par une assemblée de prêtres égyptiens, en hiéroglyphe, en démotique et en grec – comme la pierre de Rosette- qui fonde le principe d'une journée intercalaire tous les quatre ans. Dans le calendrier égyptien, tous les mois ont 30 jours. On y ajoute cinq jours «épagomènes», c'est-à-dire supplémentaires, qui correspondent à la naissance des cinq dieux, Osiris, Horus l'Ancien, Seth, Isis et Nephtys. Des jours durant lesquels le destin n'est pas en la faveur des mortels. Le décret de Canope en ajoute un sixième.
Porte-malheur ou symbole d'espoir, qui tranchera ? Un proverbe recommande sagement de « n'avoir nulle peur de l'année bissextile, mais de celle d'avant et de celle d'après ». Quant au jour en lui-même, il alimente tous les fantasmes et les traditions les plus étonnantes. Il existe une coutume irlandaise, probablement légendaire, qui pousse ou du moins autorise les femmes à demander elles-mêmes l'homme en mariage. Selon la tradition, Sainte Brigitte négocia auprès de Saint Patrick cette inversion de l'initiative matrimoniale. Une loi du XIIIe siècle menace très sérieusement les hommes récalcitrants d'offrir un cadeau, douze paires de gants, à la femme éconduite.