Présidentielle au Sénégal : entre Khalifa Sall et Idrissa Seck, qui sera le troisième homme ?
Les deux vétérans de la politique sénégalaise joueront leur va-tout lors de la présidentielle du 24 mars, polarisée autour du duel entre Amadou Ba et Bassirou Diomaye Faye. L’un des deux saura-t-il déjouer les pronostics ?
Tout comme Idrissa Seck, l’autre vétéran de la scène politique sénégalaise en lice lors de l’élection présidentielle qui se tiendra dimanche 24 mars, Khalifa Ababacar Sall joue gros dans cette dernière ligne droite. L’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade (64 ans) et l’ancien maire de Dakar (68 ans) affrontent en effet le premier tour du scrutin dans une problématique semblable, bien que leur pedigree respectif diffère.
Face à Amadou Ba, désigné par Macky Sall pour être son dauphin et soutenu par la solide coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), et Bassirou Diomaye Faye, « plan B » des ex-Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, parti dissous en juillet 2023), l’un de ces deux hommes réussira-t-il l’exploit de déjouer les pronostics faisant du duel par procuration entre Macky Sall et Ousmane Sonko le scénario inexorable d’un éventuel deuxième tour ?
Khalifa Sall a pour lui l’expérience, la patience et la constance. Discret et consensuel (n’a-t-il pas donné l’accolade, tout sourire, à son adversaire Amadou Ba lorsque leur cortège se sont croisés fortuitement à l’entrée de Vélingara, le 17 mars ?), il a effectué une longue campagne de proximité aux quatre coins du pays, au contact des populations, bien avant que la campagne officielle ne débute. Si son programme ne comporte pas de mesures révolutionnaires, il a tout de même le mérite d’avoir été rédigé depuis plusieurs mois, alors que nombre de ses concurrents n’ont fait connaître le leur qu’au cours des derniers jours – et d’autres, pas du tout, selon Jeune Afrique.
Khalifa Sall fait figure de doyen
Entré prématurément en politique, Khalifa Sall fait figure de doyen parmi les favoris. Lorsqu’il a été élu député pour la première fois, en 1983, Bassirou Diomaye Faye, lui, n’avait que trois ans. Malgré cette longévité, d’abord au Parti socialiste (PS) puis sous les couleurs de son propre parti, Taxawu Sénégal, Khalifa Sall n’avait encore jamais été candidat à l’élection suprême. Fidèle lieutenant d’Abdou Diouf puis d’Ousmane Tanor Dieng au PS, il n’avait envisagé pour la première fois sa candidature en solo, en 2019, qu’après son éviction brutale de ce parti.
Entre-temps, une affaire judiciaire qualifiée à l’époque de politique avait abouti à sa condamnation, en 2018, pour « escroquerie aux deniers publics » et autres délits connexes et à son incarcération pendant 18 mois. Avant d’être gracié par le président Macky Sall, puis libéré, en septembre 2019, il avait tenté en vain de concourir à la présidentielle tenue au mois de février précédent. Mais, sa condamnation l’ayant rendu inéligible, il avait dû se contenter de demeurer spectateur de l’élection. À l’époque, il avait appelé ses militants à voter en faveur d’Idrissa Seck.
Emprisonné, blanchi mais meurtri
Ce dernier, lui aussi, est passé par la case prison dans le cadre d’une affaire très politique. C’était au mitan des années 2000, et même si l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade en est ressorti blanchi – il ne sera pas condamné dans cette affaire pour « atteinte à la sûreté de l’État » qui lui aura tout de même valu près de sept mois de détention provisoire –, il en est surtout ressorti meurtri et a quitté depuis lors le giron du Parti démocratique sénégalais (PDS), dont il avait été l’un des piliers.
Obstiné, croyant à sa bonne étoile contre vents et marées, Idrissa Seck est, parmi les candidats en lice, le recordman du nombre de candidatures successives à la présidentielle. En 2007, 2012 puis 2019, il s’est classé à deux reprises à la seconde place de la compétition et une fois cinquième, sans jamais parvenir au second tour. Son meilleur score, en 2019, atteignait 20,5 % et lors de sa pire prestation, en 2012, il avait dû se contenter de 7,8 %.
Idrissa Seck, muet et invisible
Brillant orateur, pétri d’humour, cultivant l’image d’un musulman érudit et à ce titre choyé par le bastion électoral que représente le pays mouride, il compte aussi un confortable réservoir de voix dans la « cité du rail », Thiès, dont il fut le maire pendant plus de dix ans (2002-2014) puis le président du conseil départemental (2014-2022). Khalifa Sall, quant à lui, a comme principal atout sa popularité dans la région de Dakar, ville dont il a été élu maire à deux reprises en 2009 et 2014.
Le talon d’Achille d’Idrissa Seck, martelé de longue date par les observateurs de la vie politique sénégalaise, repose sur ses allers-retours incessants entre majorité et opposition depuis près de 20 ans, d’Abdoulaye Wade à Macky Sall ; mais aussi sur ses campagnes électorales évanescentes. En 2012, en pleine phase de contestation contre le troisième mandat d’Abdoulaye Wade, on lui avait reproché de ne pas quitter la place de l’Indépendance, à Dakar, préférant appeler au « tout sauf Wade ! » que sillonner le pays comme ses principaux concurrents d’alors.
Douze ans plus tard, alors qu’une crise politique et institutionnelle inédite secouait le Sénégal, « Idy » s’est fait étonnamment discret. À la fois muet et invisible, il est demeuré à l’écart lors du coup de force orchestré par le PDS de Karim Wade avec la complicité objective du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR). Tout au plus s’est-il abstenu de prendre part au « dialogue national » initié par Macky Sall dans le but évident de retarder au maximum l’élection, solidaire en cela – même si demeuré solitaire – des seize autres candidats qui dénonçaient ces manigances.
Khalifa Sall, lui aussi, s’est abstenu d’associer son nom à ce « dialogue national » censé servir de prétexte à une reprise intégrale du processus électoral. Une exception, pour ce leader politique qui a toujours revendiqué son ouverture de principe à de telles initiatives, à condition toutefois qu’elles soient conformes à ses valeurs.
En juin 2023, alors que la foudre judiciaire s’abattait sur l’opposant Ousmane Sonko, encore en liberté mais placé officieusement en résidence surveillée, Idrissa Seck comme Khalifa Sall avaient tous deux répondu à la main tendue par le chef de l’État. Les « Patriotes » ne l’ont pas oublié et ne leur ont toujours pas pardonné. Si cela n’a pas changé grand-chose pour Idrissa Seck, qui n’a jamais espéré leur soutien, Khalifa Sall y a en revanche perdu un allié précieux, avec qui il avait concouru en janvier puis en juillet 2022, lors des élections locales puis des législatives.
Deux « troisième homme »
Disposant pour l’un (Khalifa Sall) de 14 députés et pour l’autre (Idrissa Seck) d’une seule élue à l’Assemblée nationale, siégeant désormais en tant que non-inscrite, les deux « troisième homme » pressentis à la veille de l’élection ne peuvent donc jusqu’ici se prévaloir d’aucun réservoir de voix mécanique, outre leurs propres électeurs.
Aussi lancent-ils des clins d’œil appuyés à Karim Wade et à ses partisans. Si le candidat du PDS est empêché de concourir, sa base électorale, en cas de consigne de vote, pourrait influer sur le jeu de chaises musicales du premier tour à l’occasion duquel seuls deux candidats sur dix-neuf pourront espérer s’asseoir.
Dans un entretien accordé ce lundi à Télé Futurs Médias (TFM), Idrissa Seck s’est adressé aux électeurs du PDS, appelant la « grande famille libérale » des années Wade à se ranger sous sa bannière face à Amadou Ba (diabolisé par Karim Wade depuis le 20 janvier) et Bassirou Diomaye Faye. Quant à Khalifa Sall, quelques semaines plus tôt, dans un entretien donné à nos confrères de RFI et France 24, il s’était montré plus que compatissant envers Karim Wade, dont le renoncement tardif à la double nationalité française avait sonné le glas de sa candidature.
Se rêvant désormais en faiseur de rois, faute de pouvoir espérer mieux, ce dernier postait sur ses réseaux sociaux, dans la soirée du 19 mars, ce message empli de sous-entendus : « Pour l’instant, nous n’avons pris aucune position [concernant une éventuelle consigne de vote], plusieurs candidats m’ont déjà appelé et je viens de longuement échanger avec Khalifa Sall, écrivait-il. Je viens par ailleurs de prendre connaissance des dernières tendances officielles des instituts de sondage qui nous accompagnent depuis six mois. […] Ces tendances montrent clairement qu’il y aura un second tour. La réflexion continue… »
À quelques jours du premier tour, plusieurs candidats espèrent qu’à défaut d’accoucher d’une consigne qui leur soit favorable, le PDS opte pour la neutralité, comme en 2019.