Entretien- Corinne Lepage espère que Sultan Al Jaber obtiendra des résultats concrets lors de la COP28
L'ancienne ministre française de l'Environnement, Corinne Lepage a dit s'attendre à des résultats concrets lors de la COP28, notamment en ce qui concerne le financement et le fonds vert.
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"On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise (...). Peut-être que Sultan Al Jaber cherchera-t-il à créer la surprise en obtenant des résultats concrets lors de la COP 28", a estimé la presidente du parti écologiste Cap 21 dans une interview à Al-Ain News.
Corinne Lepage, personnalité politique et avocate française engagée dans la protection de l’environnement, a notamment été ministre de l’Environnement dans les gouvernements d’Alain Juppé entre 1995-1997 et députée européenne entre 2009 et 2014. Elle Préside le parti écologiste Cap 21.
Voici le texte intégral de l'interview :
Al-Ain News : Du 30 novembre au 12 décembre 2023, les EAU seront le pays hôte de la COP28, la conférence de l’ONU sur le climat. Le choix de ce pays et surtout la nomination de Sultan Ahmed al-Jaber, pour présider cette COP 28. Quel est votre avis de professionnelle sur ce dossier ?
Corinne Lepage :On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise même si la réunion de Bonn en juin a été extrêmement décevante. Peut-être que le sultan Al Jaber cherchera-t-il à créer la surprise en obtenant des résultats concrets lors de la COP 28, qu’il s’agisse du financement des réparations et du fonds vert , de l’adoption dans les documents finaux de la COP du principe de l’abandon des fossiles et enfin de progrès réels dans les CDN des différents Etats parties.
Il n’est pas étonnant que la présidence de la COP donnée a un représentant éminent du monde pétrolier ne soit pas très bien reçue. Pour autant, c’est le résultat de la COP qui tranchera du point de savoir si ces critiques a priori étaient justifiées ou ne l’étaient pas
AA : Comme vous le soulignez, Les EAU n'ont cessé de consentir des efforts visant à lutter contre le changement climatique notamment la diversification des sources d'énergie. En quoi ces efforts peuvent faire de ce pays un modèle à suivre ?
CL : les pays du golfe sont parmi ceux qui sont les plus exposés à des températures insupportables, voire à des zones devenues totalement inhabitables.
La manière dont ils décident des politiques d’atténuation comme des politiques d’adaptation sont donc particulièrement intéressantes pour le reste du monde. Par définition, très dépendants des hydrocarbures et adeptes de politiques très éloignées de la sobriété, les pays du golfe qui accepteraient de changer leur mix énergétique pour donner une large place aux énergies renouvelables illustreraient ce que peut être la capacité de changement d’un pays.
Ce modèle est d’autant plus intéressant que la production d’électricité solaire est particulièrement rentable et atteint des prix de revient très inférieurs à toute autre source de production électrique.
La capacité d’exportation de l’électricité mais aussi de produits issus des énergies renouvelables comme l’hydrogène vert peut constituer également une source de diversification des revenus tirés l’exportation.
Dès lors, il va de soi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc de l’usage domestique du pétrole et du gaz au bénéfice de l’usage du solaire, particulièrement abondant et bon marché au Moyen-Orient serait un message puissant pour le reste du monde.
Quant aux politiques d’adaptation, le modèle pour les pays du Moyen-Orient reste à inventer. Les très fortes chaleurs ont jusqu’à présent incité à la réalisation d’infrastructures de climatisation extrêmement poussées. Dans ce domaine, les initiatives qui pourront être prises pourront effectivement servir de modèle.
AA : Les 22 et 23 juin 2023, la France a accueilli une conférence internationale pour un « Nouveau pacte financier mondial ». De nombreux pays seront représentés et bien entendu les EAU. Comment jugez-vous cette initiative du président français lancée lors de la COP 27 en Égypte ?
CL : la question financière est bien entendu centrale. Ce sont en effet des billions de dollars qui doivent être mobilisés pour assurer la transition énergétique de la planète et pour parvenir à une transition juste, c’est-à-dire qui permette une redistribution en direction des pays les plus pauvres et généralement les moins contributeurs au dérèglement climatique. Cette mobilisation de la finance implique non seulement les Etats et les organisations internationales, mais aussi le secteur privé.
C’est en effet la somme de 5000 milliards de dollars par an qu’il convient de mobiliser soit cinq fois ce qui a été fait en 2022 qui était déjà une année de gros investissements.
Cela veut dire aussi qu’il convient de changer de système et de sortir de la politique des petits pas. L’été caniculaire que nous vivons, les méga feux dont le résultat en termes d’émissions de gaz à effet de serre est catastrophique, les événements extrêmes de toute nature , le réchauffement massif de la température de l’eau qui vient s’ajouter à des records de température au-delà de 50° sont autant de signes qui ne trompent pas.
Les rapports internationaux sont multiples pour proposer les solutions que nous connaissons en matière financière cela signifie en particulier d’abandonner avec une progressivité aussi limitée que possible toutes subventions et les investissements en faveur des énergies fossiles pour transférer ces sommes considérables vers les énergies renouvelables, le stockage et le transport de l’énergie, la préservation des ressources en eau et leur meilleur usage et enfin la préservation de la biodiversité. C’est peut-être sur ces points que la COP 28 pourrait connaître les avancées les plus importantes.
AA : Et quel rôle concret peuvent jouer les bonnes relations entre Paris et Abou Dhabi dans cet évènement prévu de la COP 28 ?
CL : les rapports privilégiés que les pays qui ont la capacité d’entraîner les autres et de promouvoir les changements les plus rapides, ce qui est le cas des Emirats et de la France sont bien entendu essentiel. La présentation de solutions efficaces et rentables, de success stories susceptibles d’être reproduites est sans doute une des manières les plus opérantes de démontrer que le changement rapide est possible, que nous ne sommes pas condamnés à devoir subir les effets d’une situation que nous avons pourtant créée et que nous sommes en capacité d’assumer les responsabilités qui sont celles de l’humanité.