Sécurité, économie : pourquoi la Chine s'intéresse à l'Afghanistan?
La nouvelle donne géopolitique en Afghanistan pose un défi de taille à la Chine. Pékin multiplie les signaux positifs envers les talibans pour s'assurer du maintien de la sécurité dans la région.
Des « relations amicales. » C'est en ces termes que Hua Chunying, une porte-parole de la diplomatie chinoise, a décrit les futures relations diplomatiques entre la Chine et les talibans au lendemain de la chute de Kaboul. Particulièrement attentive aux derniers événements dans la région, la Chine veut s'assurer que ses intérêts sécuritaires et économiques y seront préservés.
Pékin noue le dialogue
En coulisses, les représentants chinois se sont empressés de nouer le dialogue avec les nouveaux maîtres de l'Afghanistan. Mi-juillet, lors d' une visite des talibans en Chine , l'un des porte-parole du mouvement, Mohammad Naeem, a « assuré à la Chine que le sol afghan ne serait pas utilisé contre la sécurité de quelque pays que ce soit ».
Mis au ban de la communauté internationale par les Occidentaux, les talibans ont saisi l'occasion d'échanger avec un partenaire stratégique qui compte sur la scène internationale. « Par rapport à la période pré-2001, la donne a changé. La Chine est devenue la seconde puissance mondiale », par ailleurs membre du Conseil de sécurité de l'ONU, explique David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
De son côté, Pékin a multiplié les signaux positifs envers les talibans. Lundi, une porte-parole de la diplomatie chinoise a affirmé que Pékin respecterait « le droit du peuple afghan à décider de son propre destin et de son avenir ».
« La Chine est très attachée au principe de souveraineté », commente Marc Julienne, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Chine. « La question est : les talibans vont-ils tenir leurs promesses ; mais aussi : seront-ils en mesure de les tenir ? » s'interroge Marc Julienne.
Un défi sécuritaire
Le défi est d'abord sécuritaire pour Pékin. « A première vue, le départ des Américains n'est pas une très bonne nouvelle pour la Chine, qui bénéficiait de la stabilité apportée par les Etats-Unis », analyse Marc Julienne. Pékin craint une prolifération des réseaux djihadistes qui pourraient déstabiliser sa province du Xinjiang où vivent des minorités musulmanes persécutées. « L'objectif premier de la Chine est la stabilité de ses frontières. Il ne faut pas que l'Afghanistan devienne un refuge pour les terroristes ouïghours », détaille le chercheur.
A cela s'ajoute une menace sécuritaire pour les intérêts chinois en dehors de Chine. En avril, un attentat visant l'ambassadeur chinois au Pakistan a fait quatre morts. Le 17 juillet, un autre attentat a tué neuf ressortissants chinois travaillant sur un barrage hydroélectrique dans le nord-ouest du pays. « Cette attaque leur a rappelé que la situation en Afghanistan pourrait avoir un impact sur les routes de la soie, notamment celles situées au Pakistan qui forment la colonne vertébrale du projet », explique Didier Chaudet, consultant indépendant spécialisé sur l'Afghanistan et son environnement régional.
Des « intérêts réciproques »
La Chine et le régime taliban savent qu'ils ont beaucoup de choses à gagner en coopérant. « Il y a des intérêts économiques réciproques », affirme Marc Julienne. L'Afghanistan dispose de réserves considérables en « terres rares », des minerais précieux pour l'industrie électronique chinoise. Le sous-sol du pays contient également du lithium, un métal nécessaire aux batteries, mais aussi en cuivre.
Dans le magazine « The Diplomat » , Ahmad Shah Katawazai, un ancien diplomate afghan et membre de l'académie afghane des sciences, indiquait que les sous-sols afghans contenaient entre 1.000 et 3.000 milliards de dollars de terres rares.
L'exploitation de ces gisements rapporterait des devises à l'Afghanistan, dont la faible économie repose sur l'agriculture vivrière, les services et les aides internationales. « La Chine pourrait également y voir des opportunités en y construisant des infrastructures », explique Marc Julienne.
La Chine en Afghanistan, un « fantasme » ?
Seulement, l'insécurité et le manque d'infrastructures empêchent toute exploitation des ressources naturelles. En 2007, la Chine avait obtenu la concession d'une mine de cuivre à Meïssa Unac au sud-est de Kaboul mais n'a jamais pu l'exploiter, faute de sécurité. « Il faut que les talibans prouvent d'abord qu'ils ont la capacité à stabiliser l'Afghanistan, analyse Didier Chaudet. Conquérir Kaboul est plus facile que de gérer Kaboul. »
Certains observateurs appellent enfin à ne pas surestimer les intérêts de la Chine vis-à-vis de l'Afghanistan. « L'idée d'une Chine qui mettrait la main sur les richesses minérales de l'Afghanistan est un fantasme », prévient Didier Chaudet, qui rappelle que le principal investissement récent de la Chine en Afghanistan concerne une exploitation de pignons de pin.