Sénégal : ce que les résultats des précédentes présidentielles nous enseignent
Les résultats des précédentes élections présidentielles apparaissent instructive en ce jour de vote.
Au premier tour, plus le nombre de candidats est élevé et plus les écarts sont importants entre une minorité de têtes d’affiche et une majorité de candidats au score infinitésimal. Décryptage en infographies.
Un mois après la date initialement prévue, l’élection présidentielle au Sénégal s’est enfin ouverte ce 24 mars et les premières estimations officielles venues du ministère de l’Intérieur devraient être connues dans la soirée. Avec un enjeu majeur : un duel au second tour fera-t-il perdurer le suspense pendant encore quelques semaines – ce qui n’est arrivé jusqu’ici qu’à deux reprises depuis l’indépendance, en 2000 et 2012 – ou bien l’un des candidats écrasera-t-il le scrutin dès le premier tour ?
Nombre record de candidatures
Contrairement à la présidentielle précédente, en 2019, où les compétiteurs s’étaient retrouvés à cinq, de nombreux prétendants n’ayant pas franchi la barre des parrainages citoyens, le cru 2024 se distingue par un nombre record de candidatures, rapporte Jeune afrique.
Même si deux « hommes liges » de Bassirou Diomaye Faye (coalition Bassirou Président), Habib Sy et Cheikh Tidiane Dieye, ont renoncé à leur candidature en dernière minute, après avoir occupé leur temps d’antenne et fait campagne au profit du numéro deux des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, parti dissous en juillet), des bulletins à leur nom figureront bien dans les bureaux de vote ce 24 mars. Le Conseil constitutionnel ayant refusé d’entériner leur retrait, ils font toujours officiellement partie des 19 candidats retenus.
Ce chiffre est le plus important jamais recensé au Sénégal. Jusqu’ici, le précédent record s’établissait à 15 candidats en 2007, la médaille de bronze revenant à l’élection de 2012 (14 candidats). Dans un pays qui compte 7,3 millions d’inscrits sur les listes électorales, une présidentielle avec près de 20 candidats donne le vertige.
À titre de comparaison, 12 candidats « seulement » étaient en lice lors de la présidentielle d’avril 2022 en France (48,7 millions d’électeurs inscrits) ; tandis qu’ils étaient 19 en RDC, en décembre 2023, mais pour un fichier électoral près de six fois supérieur à celui du Sénégal (41,7 millions d’électeurs inscrits)
Écrémage brutal
De ce premier constat découle un deuxième. Au soir du premier tour, l’écrémage risque d’être brutal. Pas seulement parce que 17 à 18 candidats (selon qu’il y aura ou non un second tour) devront remiser leur rêve d’accéder à la magistrature suprême, mais aussi parce que la dure loi de l’arithmétique électorale devrait infliger à la plupart d’entre eux un score lilliputien.
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À défaut de se lancer dans des prédictions hasardeuses, ou de relayer des sondages aussi douteux qu’interdits par la loi sénégalaise, Jeune Afrique passe en revue les enseignements tirés des quatre précédentes élections présidentielles.
Si l’on situe autour de 25 % le palier au-delà duquel un candidat peut espérer placer en ballotage son concurrent direct arrivé premier lors du premier tour, un tel exploit ne s’est produit qu’à deux reprises depuis la première élection multipartite, en 1978. En 2000, face au président sortant Abdou Diouf (42,3 %), l’opposant Abdoulaye Wade avait réuni 31,01 % des suffrages au premier tour. Il avait ensuite remporté l’élection au second.
En 2012, Macky Sall avait atteint le score, plus modeste, de 26,58 % des voix au premier tour face au président sortant Abdoulaye Wade (34,81 %). Bénéficiant d’un report de voix massif des électeurs ayant voté pour d’autres candidats de l’opposition, il s’était ensuite largement imposé au second tour (65,8 %).
La barre des 15 % difficile à atteindre
Outres ces deux alternances, la barre des 15 % au premier tour apparaît extrêmement difficile à atteindre. En 2000, Moustapha Niasse (3e) l’avait légèrement dépassée (16,77 %) ; en 2007, Idrissa Seck, arrivé second, l’avait frôlée (14,92 %) ; et en 2019, dans une élection à seulement cinq candidats, trois d’entre eux l’avaient franchie avec succès : Macky Sall, déclaré vainqueur dès le premier tour (58,26 %), Idrissa Seck (20,51 %) et Ousmane Sonko (15,67 %).
Mais la dernière élection en date, du fait du nombre anormalement réduit de candidats, offre une photographie trompeuse. De manière générale, une proportion non négligeable des candidats en lice demeure en-deçà du score de 5 % : ils étaient en effet 4 sur 8 dans ce cas en 2000 ; 11 sur 15 en 2007 ; et 9 sur 14 en 2012. Dans la configuration qui s’annonce ce 24 mars, il est probable que les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Présidentielle: les Sénégalais à l’heure du choix
Un nombre élevé de candidats influe directement sur le score moyen obtenu à chaque élection, rapporté à l’ensemble des candidats. En 2007 et 2012, celui-ci se situait, respectivement, à 6,67 % et 7,14 %. En 2019, trois candidats sur cinq ayant atteint des scores conséquents, ce chiffre a fait un bond, atteignant la barre des 20 %.
En 2024, dans un scrutin extrêmement polarisé entre le candidat du camp présidentiel, Amadou Ba, et celui de l’ex-Pastef, Bassirou Diomaye Faye, la moyenne des 19 scores devrait être d’autant plus basse que le pourcentage recueilli par les deux candidats ayant fait défection pourrait avoisiner le zéro absolu.
Un score médian qui frôle le plancher
Plus impressionnant encore est le pourcentage médian, à savoir celui qui sépare en deux fractions égales le nombre de candidats arrivés au-delà et en-deçà de ce chiffre. Rapporté aux quatre dernières présidentielles, celui-ci est excessivement bas : 2,77 %. Autrement dit, le nombre de candidats ayant dépassé ce score moyen équivaut à celui des candidats qui ne l’ont pas atteint.
Si la présidentielle de 2019 (15,67 %) fausse cette moyenne générale relative au score médian pour les raisons déjà évoquées, les élections de 2007 (0,53 %) et de 2012 (1,4 %) permettent d’anticiper de manière plus vraisemblable l’extrême disparité de pourcentages à laquelle on peut en principe s’attendre ce 24 mars 2024.
Au-delà des trois à quatre premiers candidats, il existe en effet une probabilité sérieuse que les scores des candidats suivants chutent brutalement en dessous de 10 % et que la majorité d’entre eux doivent se partager une maigre part du gâteau électoral, en-deçà de 5 %.