Sahel : exécutions sommaires, vol de pétrole, piraterie, le terrorisme fleuri sur les ruines des Etats
Les groupes terroristes opèrent au Sahel où ils s'engagent dans une sorte de « police islamique » des routes commerciales traditionnelles, exerçant chantage et exigeant de l'argent, matériel et armes contre protection des passeurs.
En Somalie, ils contrôlent ou même investissent dans l'industrie de la piraterie, tandis que dans le sud du Nigéria, le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) mélange vols de pétrole, enlèvement et rébellion ethnique tés des groupes terroristes dans Sahel. Dans cet entretien accordé à Al Ain News, Tewfik Hamel chercheur en histoire militaire et études de défense, chercheur associé au Centre National des Arts et Métiers CNAM, détaille les activités développées par les terroristes dans le Sahel. .
Ces groupes armés ne semblent pas reculer devant toutes les initiatives et forces étatiques, régionales et internationales de lutte contre le terrorisme. D’où puisent-ils leurs sources de financement ?
Les liens profonds entre terrorisme, production de drogue, criminalité et insurrections ont bien établis. Au Sahel, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) est financé en partie par la protection des routes de trafic et par des campagnes d'enlèvement. Le groupe opère au Sahel où il s'engage dans une sorte de « police islamique » des routes commerciales traditionnelles, exerçant chantage et exigeant de l'argent, matériel et armes contre protection des passeurs. Des indices laissent croire que cette évolution est en train de se concrétiser sur le terrain pour faire apparaître sur la scène des narcoterroristes islamistes. Dans le sud du Nigéria, le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) a mélangé vols de pétrole, enlèvement et rébellion ethnique, et récemment a ajouté le terrorisme à son répertoire. En Somalie, on s'inquiète de la possibilité que les activistes islamistes taxent, contrôlent ou même investissent dans l'industrie de la piraterie.
Cerner les organisations non étatiques armées est une préoccupation sécuritaire des plus pressantes. Le défi n’est pas de soutenir ou nier la position selon laquelle les menaces transnationales influent géopolitiquement sur la sécurité internationale - c'est évident - mais plutôt d'identifier les formes, structures et intensité de cette influence. Les acteurs non-étatiques violents dans leur ensemble représentent l'une des questions les plus troublantes pour les praticiens de la sécurité, et le danger qu'ils représentent est aggravé par leur nature nébuleuse et insaisissable.
Comment évoluent dernièrement ces activités terroristes ?
Alors que les derniers soldats de la force Barkhane, déployés par la France en 2014, quittent le Mali, la situation sur le terrain continue de se dégrader sensiblement, avec une recrudescence des attentats terroristes touchant aussi bien les militaires que les civils. La région semble au bord du gouffre ; Atrocités de masse, déplacements forcés des populations, exécutions publiques… C'est une réalité dans certaines parties de la région du Sahel. Le terrorisme reste aussi un problème non résolu en Afrique du Nord, et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et au Sahel ainsi que des organisations dissidentes opérant au Mali, au Tchad et au Niger, continuent de déstabiliser la région.
L'incertitude politique en Libye et même en Tunisie alimente l’instabilité de la région dans son ensemble, entraînant une montée de l'extrémisme. Les attentats terroristes se multiplient au Sahel, notamment au Mali. S'il y a des leçons à tirer de ces actions dans la région au cours des dix dernières années, c’est bien le refus de la mise en place d’une coordination internationale de lutte contre le terrorismeau profit d'une réponse purement sécuritaire reposant sur des mercenaires privés, chose qui n’a fait qu'aggraver la situation. Le Sahel a un besoin urgent d'une réponse collective à cette menace.
Qu’es ce qui caractérise ce terrorisme au Sahel ?
Au-delà du bilan humain particulièrement lourd, notamment ces derniers temps pour l'armée malienne, c'est à la fois l'extension géographique croissante de ces attentats et les modes opératoires de plus en plus sophistiqués des terroristes qui doivent nous alarmer. Nous assistons à une mutation dans les modes opératoires des organisations terroristes. Le recours massif aux enlèvements et aux trafics de tout genre est l’un des aspects du phénomène de gangsterisation du terrorisme et de la radicalisation des gangsters.
La narcotisation du Sahel prend de l’ampleur. Cela nous amène à parler de l’élément fondamental de mutation du terrorisme islamiste qui est sa connexion avec les narcotrafiquants. Les groupes terroristes se sont montrés disposés à collaborer avec les trafiquants de drogue, les contrebandiers et autres éléments criminels. Les nombreux groupes opérant au Sahel s'engagent dans une sorte de « police islamique » des routes commerciales traditionnelles, exerçant chantage et exigeant de l'argent, matériel et armes contre protection des passeurs. En effet, il y a des faits avérés sur le fait que les islamistes sous-traitent pour les narcotrafiquants.
Il faut rappeler que la « guerre mondiale contre le terrorisme » a eu coûts humain, économique et moral lourd pour l’Afrique don les répercussions s’étalent encore dans de temps. Les terroristes innovent ; exploitent les nouvelles technologies, apprennent les uns des autres, imitent les tactiques, produisent des manuels d'enseignement basés sur l'expérience, les tactiques, les objectifs et les limites de la violence, et justifient leurs actions avec des doctrines et des théories. Quelques tendances peuvent être décelées au Sahel :
Le terrorisme est devenu plus sanglant.
Les terroristes ont développé de nouvelles ressources financières.
Les terroristes ont évolué vers de nouveaux modèles d'organisation.
Les terroristes peuvent désormais mener des campagnes mondiales.
Les terroristes exploitent efficacement les nouvelles technologies
Ya-t-ils des facteurs qui ont favorisé la propagation de ces activités terroristes?
La région du Sahel constituée de nombreux Etat fragiles et c'est sur les ruines des États faillis que les terroristes, les criminels et les seigneurs de guerre apparaissent. Lorsque l'Etat se désengage, la société se déconnecte de l'Etat et les populations cherchent refuge dans d'autres structures alternatives, qu'elles soient tribales, culturelles, etc. Donc avec le retrait de l’Etat, les populations réagissent, recherchent des solutions et s'organisent en conformité avec les allégeances concurrentes. Comme le tissu social se desserre, la population cherche des canaux alternatifs de soutien et d'ordres symboliques. Par conséquent, la société fait de plus en plus appel à des cadres informels de relations sociales (comme la famille, le clan, la tribu, etc.), alors que les institutions officielles perdent tout sens d’ordre symbolique ou/et politique. Toute stratégie antiterroriste doit renforcer les institutions des Etats africains. La tâche n’est pas facile étant donné l’ampleur des ressources nécessaires. Bien que l'établissement d'une liste des États fragiles soit politiquement et analytiquement controversée, force est de reconnaitre que la région de Sahel est toujours mal placée. La vraie question : comment remédier à la fragilité de l’Etat dans la région. Aucun acteur n’en a suffisamment de ressources financières et humaines.
Quels sont les moyens mis en place pour le contre carrer ?
En toute évidence, le rôle de la force dans la lutte antiterroriste est crucial. Comme l'a observé Winston Churchill en octobre 1942 : « La force supérieure est un puissant moyen de persuasion ». Les principaux acteurs capables de recourir au pouvoir au niveau national en période de paix sont la police et les autres forces de l'ordre. Ils sont mandatés pour mettre en œuvre la préservation de l'ordre public et représentent ainsi le premier niveau de protection des civils. Ces organismes gouvernementaux désignés cherchent à encourager les « bons comportements », à prévenir les activités illégales, à avertir des menaces internes potentielles et à développer des stratégies pour assurer un environnement de sécurité nationale efficace. Et pourtant, la force militaire seule est insuffisante sans une approche globale de « 3D » : Diplomatie, développement été défense.
La plus grande concentration des Etats confrontés au risque le plus élevé de l'instabilité et aux défis les plus graves liés à une gouvernance efficace et légitime se trouve en Afrique, et comprend l'Angola, la République centrafricaine, le Tchad et la Côte d'Ivoire. Les points les plus chauds se trouvent en Afrique à quelques exceptions.En termes de risque d’instabilité estimé, sans aucun doute, l'Afrique demeure la préoccupation la plus grave. Plus de la moitié des pays sur le continent sont qualifiés parmi les catégories les plus risqués. Sur les 48 pays fragiles distingués par l’OCDE en 2010, 29 sont sub-saharien. Les scénarios futurs ne sont guère optimistes. Dans le rapport « Global Trends 2025 : A Transformed World”, du conseil des agences de renseignements américainNIC (National Intelligence Council)il est prévu qu’en2025, l'Afrique subsaharienne restera la région la plus vulnérable de la planète en termes de défis économiques, stress démographiques, guerres civiles et l'instabilité politique. Des Etats fragiles et des relations troublées entre les Etats et les sociétés vont probablement constituer la perspective majeure pour la région au cours des 20 prochaines années à moins qu’il existe un engagement international soutenu. La situation tende à s’aggraver avec les conséquences de Covid-19 et l’intensification des rivalités entres les grandes puissances. L’Afrique sera un théâtre des guerres par procuration, de terrorisme, etc.
Au moment où le terrorisme s’étend au Sahel, la région a besoin d’un sursaut civil et politique collectif. Compte tenu des multiples défis sécuritaires à la paix et à l'ordre régionaux posés par l'intensification des attentats terroristes, les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux ont besoin réponses tactiques et stratégiques aux niveaux national, régional et mondial. Le rôle de la diplomatie es un élément critique dans le processus en évolution. La question clé est de savoir si la communauté internationale est capable d'élaborer des réponses adéquates au terrorisme, de résoudre des conflits en expansion aux niveaux régional et interrégional, de s'engager dans des processus de paix constructifs et de trouver un équilibre délicat entre les mesures de sécurité et les systèmes de valeurs démocratiques. Il y a de quoi être pessimiste. L’intensification des rivalités entre les grandes puissances aggrave les tensions, l’instabilité et l’insécurité au Sahel. Il y aura moins de coordination (voire des stratégies de neutralisation comme le montre les approches française et russe au Mali), moins d’aide au développement.
L’Algérie et le Nigeria, deux pays pétroliers, viennent de signer un accord de construction d’u gazoduc devant traverser le Niger et le nord du Nigeria. Y ‘a -t-il une stratégie commune entre les deux pays pour sécuriser le passage de ce gazoduc et ces infrastructures ? Si oui, pourrions-nous avoir des détails s’il vous plait ?
Le projet de Gazoduc Nigeria-Europe fait partie de la diplomatie des pipelines. D'une longueur de 4.128 km dont 1.037 km en territoire nigérian, 841 km au Niger et 2.310 km en Algérie, le Trans-Saharan Gas-Pipeline (TSGP), ce gazoduc va relier les gisements gaziers du Nigeria, en passant par le Niger, à la frontière algérienne pour se raccorder au réseau algérien.
Le projet du « gazoduc trans-saharien » vient d’être relancé Une conjoncture géopolitique et énergétique favorable. Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, les réserves en gaz de l'Afrique attirent de plus en plus l'attention de l'Union européenne qui cherche des alternatives à la Russie. Avec la flambée du prix du gaz et la nécessité de trouver d’autres sources d’approvisionnement, les investisseurs devraient être plus enclins à s'impliquer dans ce projet dont le coût est estimé à près de 20 milliards de dollars.
Le gazoduc, une infrastructure régionale avec une portée internationale, est projet gagnant-gagnant. Une grande partie du gaz au Nigeria est bloquée ou réinjectée car il n’y a pas d’infrastructure pour acheminer le gaz vers le marché. Le Niger et Mali bénéficieront d’une manne financières supplémentaire liée aux droits de transit et stimulerait aussi le développement socio-économique des pays concernés. Qui dit développement, dit plus de stabilité et de sécurité. Le Nigeria acheminera son gaz directement vers l’Europe ; l’Europe qui cherche à réduire sa dépendance des livraisons russes renforcera ainsi sa sécurité énergétique ; et l’Algérie améliorera également sa position d’acteur clé sur le marché énergétique mondial.
Le principal risque est lié aux nombreux groupes armés terroristes bien implantés sur le passage du Gazoduc : Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l'Ouest (la branche ouest africaine de l'Daech) au nord du Nigeria, le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) au sud, Aqmi et le groupe Daech au Niger, entre autres. Malgré cet obstacle de taille, l'Algérie pousse d’autant plus le projet qu’il est en concurrence avec un autre projet reliant le Nigeria au Maroc. Techniquement, la sécurité du « gazoduc trans-saharien » peut être garantie. Le recours aux drones et d’autres nouvelles technologies rendraient le cout de sécurisation moins important. En outre, il s’agit d’un projet stratégique, ce qui fait du cout une question secondaire par rapport à à son importance politique.