Sénégal: L'opposition crie au "coup d'Etat constitutionnel"
L'opposition politique au Sénégal dénonce un "coup d'État constitutionnel" à la suite du report de l'élection présidentielle au 15 décembre et du maintien probable du président Macky Sall au pouvoir jusqu'en 2025.
Cette décision a été prise sans qu'une mobilisation contre ce fait accompli ait encore eu lieu, ce qui ternit selon l'opposition l'image démocratique du pays. L'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi lundi soir, dans une atmosphère tendue et sous la protection des gendarmes, ce qui marque une des crises institutionnelles les plus graves depuis l'indépendance du pays en 1960.
Les Sénégalais devront désormais attendre presque dix mois de plus que prévu pour élire leur cinquième président, à moins que la situation ne change d'ici là.
En plus du report de l'élection, une alliance de 105 députés issus du camp présidentiel et de partisans du candidat Karim Wade, qui avait été écarté de la course, a approuvé le maintien de Macky Sall au pouvoir jusqu'à l'installation de son successeur, probablement en 2025 avec un éventuel second tour et les délais de passation de pouvoirs. Le mandat de Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, aurait normalement pris fin le 2 avril.
L'opposition qualifie cette situation de "coup porté à la démocratie sénégalaise". Les médias ont publié une tribune rédigée par plus de 100 universitaires et personnalités décrivant le président comme le "fossoyeur de la République". Ils parlent d'un "bouquet final" dans le "plan de liquidation de la démocratie".
Le mécontentement ne se limite pas à l'opposition politique, il touche également le camp présidentiel. Le musicien Youssou N'Dour, ancien ministre et proche du président, a clairement désapprouvé le report de l'élection et s'inquiète des tensions croissantes dans le pays. Un ancien allié du président Sall, Abdou Latif Coulibaly, a démissionné du gouvernement samedi.
Le vote de l'Assemblée ne résout en rien l'incertitude dans le pays, mais semble le ramener au point de départ d'un processus rempli de dangers. Il officialise la décision prise par le président Sall samedi d'abroger le décret convoquant les Sénégalais aux urnes, ce qui équivaut à repousser l'élection.
Selon Macky Sall, cette décision découle du conflit ouvert depuis plusieurs jours entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, suite à l'homologation de vingt candidatures et à l'invalidation de nombreuses autres.
Le chef de l'État affirme vouloir prévenir toute contestation pré- et post-électorale ainsi que des troubles politiques, similaires à ceux qu'a connus le pays en 2021 et 2023.
L'ajournement de l'élection, dont la constitutionnalité est vivement contestée, alimente immédiatement les soupçons d'un plan du camp présidentiel visant à éviter une défaite annoncée et peut-être à prolonger la présidence de Macky Sall.
De nombreux partenaires étrangers du Sénégal expriment leur inquiétude. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), dont le Sénégal est membre et où il a toujours plaidé en faveur du respect de l'ordre constitutionnel dans les autres pays, l'encourage à "prendre rapidement les mesures nécessaires pour rétablir le calendrier électoral".
Le vote et les conditions dans lesquelles il s'est déroulé suscitent une indignation largement partagée sur les réseaux sociaux, malgré la suspension des données mobiles sur Internet par le gouvernement depuis lundi.
Des tentatives de manifestations ont été réprimées dimanche et lundi, et les médias ont rapporté un total de 151 arrestations, bien que ce chiffre n'ait pas été confirmé dans un premier temps par l'AFP.
Cependant, la protestation reste limitée pour le moment, l'opposition et les candidats qualifiés ne formant pas encore un front commun. L'université deDakar, qui a été un haut lieu historique de contestation, est fermée depuis les troubles de 2023, et le parti anti-système Pastef a été affaibli par les arrestations depuis 2021.
L'opposition a annoncé qu'elle déposerait des recours devant la Cour constitutionnelle, mais les chances de succès de ces recours sont considérées comme incertaines.