Tendances migratoires à surveiller en Afrique en 2024.. Ce qui l'on sait
Des facteurs structurels continuent à faire grimper les taux de migration à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique.
Bien qu’il s’agisse d’une source vitale de main-d’œuvre pour les pays d’accueil, la migration irrégulière continue de présenter des risques extraordinaires.
Les migrations africaines continuent de subir des pressions persistantes à la hausse, prolongeant un scénario qui dure depuis 20 ans. Les opportunités économiques limitées, les conflits, les gouvernements répressifs, l’augmentation du nombre de jeunes et le changement climatique sont les principaux facteurs à l’origine de l’arrivée d’environ un million de nouveaux migrants au cours de l’année écoulée. Ces chiffres s’ajoutent aux 43 millions de migrants africains estimés au total. La majorité de ces migrants, pour la plupart jeunes et célibataires, restent sur le continent à la recherche d’opportunités d’emploi dans les centres urbains.
D’autres cherchent un emploi en dehors du continent, principalement au Moyen-Orient et en Europe, bien que les Africains ne représentent respectivement que 6,6 % et 8,2 % de l’ensemble des migrants dans ces régions.
Facteurs d’incitation à la migration africaine
On estime que 35 % de la population de l’Afrique subsaharienne vit dans la pauvreté, ce qui crée une pression énorme sur les membres des ménages ayant un revenu pour qu’ils trouvent un emploi afin de répondre aux besoins essentiels.
Une combinaison de facteurs structurels et de gouvernance contribue à l’augmentation constante des migrations africaines qui, si les tendances actuelles se maintiennent, verront les migrations transfrontalières africaines atteindre 11 à 12 millions de personnes d’ici 2050.
Bien que l’Afrique ait connu une croissance économique soutenue et solide depuis 2000, la région continue d’avoir les revenus moyens par habitant les plus bas du monde. On estime que 35 % de la population de l’Afrique subsaharienne vit dans la pauvreté; ce qui crée une pression énorme sur les membres des ménages ayant un revenu pour qu’ils trouvent un emploi afin de répondre aux besoins essentiels.
La plupart des migrations non liées à un conflit suivent les opportunités économiques saisonnières au niveau régional. La migration intra-africaine a augmenté de 44 % depuis 2010. Dans la région de la CDAA, la plupart des migrations circulaires ont pour destination l’Afrique du Sud, pays économiquement dynamique. Au sein de la CEDEAO, la plupart des migrants passent par la Côte d’Ivoire et le Nigeria.
La migration la plus importante en Afrique a toujours lieu à l’intérieur des pays, le plus souvent de manière circulaire, des zones rurales vers les zones urbaines. Les moyens de subsistance ruraux durables devenant plus précaires en raison du réchauffement climatique, une part croissante des migrants — entre 70 et 110 millions de personnes — pourrait être forcée de rendre ces déplacements permanents.
L’exode rural peut être un premier pas vers la migration internationale, car les migrants urbains gagnent plus de revenus et d’informations sur d’autres possibilités d’emploi.
Les migrations africaines sont le résultat d’une combinaison de facteurs
En tant que continent le plus jeune du monde, l’Afrique continue de connaître une croissance démographique plus importante que toute autre région de la planète. Selon les estimations, la population africaine devrait doubler, passant de 1,2 milliard à 2,5 milliards d’habitants en 2050, et 10 à 12 millions de jeunes Africains rejoignent la population active chaque année. Alors que les taux de fécondité semblent baisser plus rapidement que prévu, l’Afrique devrait disposer d’un grand nombre de jeunes gens aptes à l’emploi jusqu’à la fin du siècle.
Les conflits non résolus sur le continent génèrent un nombre record de populations déplacées de force. En outre, le retour à un régime autocratique a restreint les libertés fondamentales et accentué la répression, ce qui contribue à l’augmentation des déplacements. Les déplacements forcés prolongés obligent les jeunes à se rendre dans les zones urbaines, puis potentiellement hors du continent, ce qui accroît les migrations.
Les conflits non résolus sur le continent génèrent un nombre record de populations déplacées de force.
Cela s’ajoute aux mouvements de population générés par les conflits au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine et en Somalie, entre autres.
Le changement climatique a entraîné une réduction de 34 % de la croissance de la productivité agricole en Afrique subsaharienne depuis 1961 ; ce qui contribue à une insécurité alimentaire sans précédent sur le continent ces dernières années.
Selon les prévisions, le changement climatique sera à l’origine de près de 10 % de l’ensemble des migrations transfrontalières en Afrique d’ici le milieu du siècle. Cette situation résulte en grande partie de l’aggravation des inondations, de la sécheresse et des tempêtes. L’Afrique australe devrait connaître la plus forte augmentation de la mobilité transfrontalière en Afrique en raison des effets du changement climatique, avec entre 200 000 et 800 000 personnes susceptibles de se rendre dans un pays voisin d’ici 2050.
La migration est une bouée de sauvetage pour les ménages africains
Les migrations profitent non seulement aux pays d’accueil en comblant les besoins en main-d’œuvre, mais aussi aux pays d’origine grâce aux envois de fonds qui contribuent à la stabilité des revenus des ménages dans les économies fragiles, à l’amélioration de la sécurité alimentaire et à l’accès à l’éducation.
Les envois de fonds vers l’Afrique subsaharienne ont augmenté régulièrement et constituent une source fiable de soutien. Les envois de fonds vers l’Afrique devraient augmenter de 3,7 % en 2024.
La plupart des migrations africaines déclarées se font par des voies régulières. Les 43 millions d’Africains dont on sait qu’ils vivent dans d’autres pays bénéficient en quelque sorte d’un certain statut juridique. Un nombre indéterminé de migrants africains ont eu recours à des voies irrégulières ou clandestines. La migration irrégulière augmente les vulnérabilités et les risques pour la sécurité personnelle des migrants et encourage l’exploitation de l’absence de statut légal des migrants par des éléments criminels.
3 principales voies de migration irrégulière sur le continent :
La route de l’Est
La route de l’Est est décrite comme l’un des couloirs de migration les plus fréquentés et les plus risqués au monde
La route de l’Est, décrite comme l’un des couloirs de migration les plus fréquentés et les plus risqués au monde, est empruntée par des centaines de milliers de personnes chaque année, principalement en provenance d’Éthiopie, d’Érythrée et de Somalie. Les migrants vers les États du Golfe espèrent gagner cinq fois plus que dans leur pays d’origine. Environ 300 000 migrants ont quitté l’Éthiopie pour les côtes de Djibouti et de la Somalie en 2023. Plus de 93 500 migrants de la Corne de l’Afrique sont arrivés au Yémen au cours de cette période, soit une augmentation de 26 % par rapport à l’année précédente. Les flux migratoires le long de cette route devraient augmenter en 2024.
La route du Sud
La route du Sud, qui longe la côte Est de l’Afrique en direction de l’Afrique du Sud via le Kenya et la Tanzanie, n’attire pas autant l’attention que d’autres routes de migration irrégulière sur le continent. Toutefois, des rapports périodiques faisant état de la mort de migrants à l’arrière de camions ou de conteneurs d’expédition rappellent les circonstances sinistres dans lesquelles beaucoup vivent. On estime que 65 000 personnes ont emprunté la route du Sud en 2023, un chiffre qui devrait augmenter en 2024.
De plus en plus de documents font état de diverses formes de violence et d’abus — torture, agression physique, abus psychologique et émotionnel, et violence sexuelle — perpétrés par des passeurs et d’autres acteurs sur cet itinéraire.
Les routes méditerranéennes et atlantiques vers l’Europe
Les routes maritimes vers les côtes européennes ont fait l’objet de la plus grande attention. La patrouille frontalière de l’Union européenne (UE), Frontex, accumule des données sur les franchissements de frontières interceptés (IBC) depuis 2009. Au total, 1,37 million de ressortissants africains ont fait l’objet d’une demande d’asile au cours des 15 dernières années. Cela se traduit par une moyenne d’environ 91 000 IBC par an.
Bien qu’il ne représente qu’une minorité des personnes qui tentent de franchir clandestinement les frontières de l’UE, le nombre de migrants africains en situation irrégulière a lentement augmenté ces dernières années.
Les ressortissants de Guinée, de Côte d’Ivoire, de Tunisie, du Maroc, d’Égypte et d’Algérie constituent les six principales sources africaines d’IBC ces dernières années. Collectivement, ces pays représentent plus de la moitié de tous les IBC africains.
Afin de décourager les traversées de la Méditerranée, les pays d’Afrique du Nord ont tenté, à la demande de l’UE, de relocaliser les migrants des villes côtières. Parfois, ces actions ont été draconiennes, par exemple comme les autorités tunisiennes qui ont expulsé et abandonné des centaines de migrants dans le désert à la frontière libyenne. En Libye, les foyers et les lieux de travail des migrants ont été perquisitionnés et des milliers d’entre eux ont été expulsés de force vers le Tchad, l’Égypte, le Niger, le Soudan et la Tunisie, sans examen de leurs situations légales.
Migrants disparus
La perfidie de chacune de ces routes de transit est illustrée par le nombre de victimes — près de 40 000 décès et disparitions enregistrés sur l’ensemble des routes africaines depuis 2014 — qui est sans aucun doute un chiffre incomplet. Le nombre annuel de décès de migrants enregistrés augmente également depuis quelques années, avec des estimations de 4 300 en 2023.
Innovations à surveiller
Alors que la population jeune de l’Afrique continue de générer des individus talentueux, éduqués et rétifs face aux pressions économiques, les incitations à gérer les migrations pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans les pays dont la population diminue ne feront que croître. Voici quelques évolutions à surveiller.
Évolutions sur le plan continental et régional
Les Communautés économiques régionales (CER) ont joué un rôle important dans le démantèlement des obstacles à la circulation des personnes au niveau régional.
Alors que la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) prend forme, les pays africains accorderont une plus grande attention à la question des migrations et à la manière dont elles peuvent être facilitées pour générer des dividendes économiques plus importants.
50 pays africains ont amélioré ou maintenu leur score à l’indice d’ouverture des visas pour l’Afrique en 2023, selon la Banque africaine de développement (BAD). Quarante-deux pays accordent désormais l’exemption de visa aux ressortissants d’au moins 5 autres pays africains, et 33 pays offrent la même possibilité à au moins 10 autres pays.
En 2023, le Kenya et le Rwanda ont rejoint la Gambie, les Seychelles et le Bénin dans la fraternité des pays qui s’engagent à offrir une exemption de visa à tous les Africains. Même si l’on est encore loin de l’objectif du protocole de 2018 relatif à la libre circulation des personnes de l’Union africaine, à savoir une circulation panafricaine pour les Africains, cette évolution témoigne d’une dynamique en ce sens.
Les Communautés économiques régionales (CER) ont joué un rôle important dans le démantèlement des obstacles à la circulation des personnes au niveau régional. La BAD a constaté que l’ouverture moyenne à l’accès aux visas s’est améliorée dans six des huit CER au cours de l’année écoulée, avec la CEDEAO qui continue de montrer la voie.
Évolutions sur le plan national
L’Afrique du Sud a publié un livre blanc très attendu sur la refonte du système d’immigration en 2023. Parmi les changements proposés figurent un système d’« employeur de confiance » (les employeurs qualifiés peuvent éviter des exigences administratives longues et coûteuses), un système électronique pour les visas d’études, d’affaires et de transfert intraentrepris, un système national d’identification et d’enregistrement, et la création de guichets uniques pour gérer la circulation des personnes et des biens aux frontières terrestres.
La junte nigérienne a annulé la loi anti-contrebande de 2015. Les actions de la junte pourraient revitaliser la route migratoire bien connue qui passe par le Niger, en augmentant le nombre de migrants qui se rendent en Libye, où les migrants sont régulièrement la cible de criminels et de milices.
Le Sénégal a adopté une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière en 2023 afin de réduire la migration irrégulière d’ici 2033. L’UE a octroyé au Sénégal 9,9 millions de dollars, dont une partie a été affectée à la construction d’un nouveau siège de la police de l’air et des frontières du Sénégal, afin de mettre un terme aux migrations irrégulières. En l’absence d’autres mesures de sécurité humaine, cette approche, comme celle adoptée au Niger et sur la côte méditerranéenne centrale, risque d’accroître les interdictions et de rendre les traversées plus dangereuses, comme l’indiquent les rapports de plus en plus nombreux sur les décès et les disparitions.
Régulariser la migration intercontinentale
Pour permettre aux pays africains d’adopter plus facilement des lois et des politiques adaptées à leur contexte particulier, le réseau des Nations unies sur les migrations a lancé la base de données CLIMB : Mobilité humaine dans le contexte des catastrophes, du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Il s’agit d’une collection de 1 808 politiques et lois conçues pour relever les défis de la gouvernance des migrations. Cette initiative vise à normaliser les mouvements de population et à faire en sorte qu’ils soient ordonnés sûrs et réguliers.
La coopération bilatérale peut être optimisée pour faire correspondre les compétences et les attributs des migrants aux besoins des économies d’accueil, ce qui maximiserait l’impact des mouvements transfrontaliers sur le développement. Cette approche permet aux décideurs de distinguer les différents types de mouvements de population et de concevoir des politiques migratoires pour chacun d’entre eux.
L’Égypte et la Grèce ont signé un accord bilatéral invitant jusqu’à 5 000 travailleurs agricoles saisonniers égyptiens à se rendre en Grèce pour une durée maximale de 9 mois afin de combler une pénurie d’au moins 30 000 emplois dans le secteur.
Les partenaires internationaux peuvent soutenir davantage les efforts de migration mutuellement bénéfiques en améliorant la collecte de données sur la population africaine et les schémas de migration.
L’Éthiopie accueille plus de 950 000 réfugiés et demandeurs d’asile, ce qui reflète la tendance des migrants à se rendre d’abord dans les pays voisins à faible revenu. Afin de mieux soutenir les efforts de l’Éthiopie dans l’accueil de ces populations, les partenaires internationaux au développement ont investi dans les efforts d’industrialisation de l’Éthiopie, créant plus de 100 000 emplois pour les Éthiopiens et les réfugiés résidant dans le pays. Dans le cadre du Pacte pour l’emploi en Éthiopie, l’UE a assorti son soutien à la création d’emplois en Éthiopie d’un assouplissement progressif des restrictions d’accès au marché du travail pour 30 000 réfugiés.
Les partenaires internationaux peuvent soutenir davantage les efforts de migration mutuellement bénéfiques en améliorant la collecte de données sur la population africaine et les schémas de migration. Une meilleure information peut alors améliorer les régimes politiques, réglementaires et financiers des pays africains afin d’attirer davantage des investissements étrangers directs et de réduire conjointement les taux de migration irrégulière.
La mobilité climatique renforce l’intérêt pour la refonte de la politique migratoire
Les migrations vers des régions déjà fragiles risquent d’aggraver les tensions autour des terres et des ressources en eau.
Les migrations vers des régions déjà fragiles risquent d’aggraver les tensions autour des terres et des ressources en eau. Les tendances montrant une augmentation des migrations climatiques, les pays africains sont incités à anticiper ces mouvements et à investir dans des stratégies inclusives de résilience au climat.
Les scénarios de mobilité interne induite par le climat identifient des « points chauds » potentiels de zones géographiques d’où l’on s’attend à de fortes concentrations de populations en partance et à l’arrivée. Des déplacements sont notamment prévus dans chaque région du continent. Selon certains scénarios, jusqu’à 5 % de la population africaine pourrait se déplacer en raison des effets du climat d’ici 2050, contre 1,5 % aujourd’hui.