Tunisie: Grandes craintes de pénurie de pain
Dans un contexte de hausse des prix et de difficultés d’approvisionnement en farine, les files d’attente s’allongent devant les boulangeries, tandis que l’angoisse du manque, justifiée ou non, s’installe.
« Ma mère m’agace : chaque fois que quelqu’un sort, elle lui demande de ramener du pain. À croire que nous allons mourir de faim s’il n’y a pas deux baguettes à table à chaque repas », raconte en riant Najoua, une fonctionnaire. Sa collègue de guichet raille : « Encore faut-il trouver du pain. On a des dizaines de sortes de pain, les unes plus savoureuses que les autres, mais sans farine ou sans semoule, il n’y a pas de pain, pas même mauvais ».
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Elle fait référence aux difficultés à se fournir en farine et en pain, un fait devenu tout à fait ordinaire dans le quotidien des Tunisiens, pour qui cet aliment de base occupe une place centrale. Dès le début de la guerre en Ukraine, la crise sur les céréales avait été annoncée, et ses effets se sont fait ressentir en Tunisie. Depuis l’été 2022, la pénurie de farine est récurrente. Mais rien n’y fait : chacun tient à son pain quotidien.
Ces dix derniers jours, les photos de files d’attente ou d’attroupements devant les boulangeries dans des villes comme Kairouan (Centre) ou Kasserine (Ouest) ont suscité la peur du manque. D’autant que pendant plusieurs mois, la version officielle assurait que les pénuries étaient orchestrées par des spéculateurs et des personnes malveillantes cherchant à faire chuter le pouvoir en suscitant une famine.
En réalité, il s’agit avant tout d’un problème d’approvisionnement : Kalthoum Ben Rejeb, la ministre du Commerce, reconnaît que la farine est venue à manquer. Ce n’est pas une première, puisque les Tunisiens se souviennent qu’en décembre 2021 six bateaux de blé sont restés en rade au port de Sousse dans l’attente du règlement de leur marchandise, avant de décharger leur cargaison. Une première illustration des difficultés financières du pays, qui tentait de négocier des échéances de paiement faute de pouvoir régler la livraison d’un bien de première nécessité.
Production locale insuffisante
À l’époque, et à raison, on avait imputé les difficultés à la crise économique due à la pandémie, sans imaginer que d’autres étaient à venir. Au conflit russo-ukrainien s’ajoute aujourd’hui l’effet du changement climatique et de la sévère sécheresse qui a compromis la production locale de céréales.
Pour le moment, le sujet est encore tabou. Néanmoins, Anis Kharbeche, membre du bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap), annonce que la Tunisie est dans « l’obligation d’importer 100 % de ses besoins en blé dur, en blé tendre et en orge pour cette année, sachant que la production nationale ne suffit qu’à couvrir 10 % des besoins, soit trente jours de consommation en cas de bonne récolte ».
S’il y avait des doutes, ils sont levés. Les besoins concernent toutes les céréales et excèdent largement l’habituelle importation de 80 % du blé tendre qui sert à confectionner du pain blanc. Ces difficultés financières ont rendu plus aiguë la dépendance du pays aux importations.
Dans les faits, le ballet des navires livrant du blé n’a pas cessé, mais le plus souvent, il s’agit d’aides d’institutions internationales, comme la Banque mondiale, de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Banque africaine de développement (BAD), ou de pays, comme les États-Unis, qui ont fait parvenir 25 000 tonnes de blé dur fin avril. Lesquelles permettront de faire du couscous et le pain traditionnel à la semoule, mais on est loin du compte en termes de consommation de farine de blé tendre. Rapporte Jeune Afrique.