Afrique du Sud : L'énigme énergétique menace la stabilité nationale
Le pays se trouve au bord du précipice en raison de ces délestages de plus en plus fréquents, débutés il y a déjà 17 ans.
Scène de vie récente dans un restaurant de Cape Town : les clients s'installent paisiblement, quand soudain, le serveur les interpelle : "Faites vite votre choix si vous voulez être servis, une coupure d'électricité est prévue dans 20 minutes !" Une situation devenue quotidienne en Afrique du Sud.
La première puissance industrielle du continent est actuellement aux prises avec des coupures d'électricité récurrentes. Le pays se trouve au bord du précipice en raison de ces délestages de plus en plus fréquents, débutés il y a déjà 17 ans.
Le défi énergétique est au centre des préoccupations. Bien que le pays dispose d'un réseau électrique national bien développé, ses infrastructures vieillissantes posent problème. Eskom, la compagnie publique d'électricité, a vu sa capacité de production diminuer de moitié ces dernières années en raison d'une maintenance défaillante, alimentée par la corruption et une gestion inefficace.
Eskom est devenu le symbole d'une corruption endémique qui a marqué le mandat de l'ancien président Jacob Zuma (2009-2018). François Bourguignon, Professeur émérite à l'école d'économie de Paris et ancien chef économiste de la Banque mondiale, s'alarme : "Eskom est au bord de la faillite, mais les réformes nécessaires sont sans cesse repoussées par les gouvernements successifs. La compagnie a été le théâtre de scandales de corruption, de vols, de sabotages et de grèves du personnel."
Les Sud-Africains ont appris à vivre avec ces pénuries qui font désormais partie intégrante de leur quotidien. Mais depuis 2023, les coupures se sont intensifiées, rendant la vie littéralement insupportable. À Johannesburg, la situation est si critique que l'électricité peut être coupée entre 10 et 12 heures par jour.
Les conséquences économiques sont considérables : perturbations dans les transports, ralentissement des activités des entreprises, et gaspillage alimentaire dans un pays où la pauvreté croît inexorablement.
Les chiffres sont alarmants : rien qu'en 2022, les coupures de courant ont amputé le pays de 3,2 points de croissance. La banque centrale estime que des coupures de 6 heures par jour coûtent en moyenne 20 millions d'euros par jour à l'État.
Cette crise survient dans un contexte politique instable alors que l'ANC a récemment perdu sa majorité absolue au Parlement, une première depuis la fin de l'apartheid. Face à cette crise économique sans précédent, le nouveau gouvernement sud-africain, dirigé par Cyril Ramaphosa, fait face à un défi monumental. Ramaphosa s'engage à restaurer la croissance économique en luttant contre la pauvreté, les inégalités et le chômage.
Cependant, la tâche est colossale dans un pays où les inégalités sont parmi les plus élevées au monde. La crise énergétique aggrave encore la situation, séparant ceux qui peuvent se permettre des solutions alternatives comme les panneaux solaires, des millions d'autres contraints de recourir à des moyens de subsistance archaïques.
Pour éviter une déroute économique inévitable, la résolution de la crise énergétique est cruciale. Le gouvernement doit agir rapidement pour résoudre les goulots d'étranglement dans la production et la distribution d'électricité, ainsi que les congestions portuaires. Mais le défi ne s'arrête pas là : "80 % de l'électricité en Afrique du Sud provient de centrales à charbon, une richesse naturelle que le pays doit maintenant repenser, à une époque où l'environnement exige une transition énergétique", rappelle François Bourguignon.
Cette crise économique majeure pourrait-elle devenir une opportunité, un catalyseur pour une transition énergétique accélérée ?