Relations France/Algérie : nouveau départ ou simplement… poudre aux yeux ?
Le Premier ministre français Elisabeth Borne, accompagné de seize ministres, s’est rendu les 9 et 10 octobre dernier à Alger pour une visite de travail. Celle-ci faisait suite à celle du Président Macron en Algérie fin août, après des mois de tensions.
Pour Paris, ces voyages avaient pour objectif de « poser les bases d’une relance de notre relation » et « ressouder les liens entre la France et l’Algérie ». Si du côté du gouvernement français on se félicite officiellement de ce nouveau départ entre les deux pays, qu’en est-il réellement ?
Évoquant son voyage en Algérie, Élisabeth Borne s’est réjouie et a fait part de sa satisfaction en ces termes : « J'ai le sentiment que, ensemble, nous avons avancé ».
Or cette déclaration, qui résume toutes les autres de Matignon comme celles de l’Élysée, n’est-elle pas un énième coup de com’ ou ne relève-t-elle pas de la fameuse méthode Coué qui caractérise malheureusement la politique étrangère française depuis quelques années ?
En effet, cet été, le dernier voyage d’Emmanuel Macron en Algérie fut d’abord humiliant pour nombres d’observateurs (lors de sa conférence de presse avec son homologue algérien, sur le pupitre du président français, le nom de la république algérienne était en arabe et en anglais, aucune trace de français ! ; et Emmanuel Macron fut honteusement hué et sifflé à Oran). Surtout, ce déplacement, hormis les belles déclarations habituelles, n’avait rien apporté de très concrets pour Paris.
Quant à la visite du 9 au 10 octobre de la Première ministre française, accompagnée d’une délégation de 15 ministres, qui devait acter la réconciliation des deux pays, là encore, il a été question de beaucoup de symboles, mais au final aucun accord sonnant et trébuchant n’a été conclu.
Certes une douzaine de protocoles d’accords ont néanmoins été signés mais ne sont pour la plupart que des déclarations d’intentions accompagnées des sempiternelles politesses diplomatiques et communicationnelles.
De belles phrases sur les « liens exceptionnels », les « populations mêlées », le dynamisme de la « jeunesse » et de la « diaspora » et enfin, de grandes déclarations d’amitiés ronflantes mais rien de spectaculaire sur le fond. Encore une fois beaucoup de diplomatie spectacle, de com’, de « langue de bois », de dîners officiels, de causeries entre ministres des deux bords où seront évoqués le développement, les échanges, les start-up… pour rien ou pas grand-chose. C’est une première étape assure Paris, mais ne nous faisons pas trop d’illusions…
Du côté algérien, on fait preuve de plus de pragmatisme. Le Premier ministre algérien Aymen Benabderrahmane, a déclaré qu’« il y a des discussions qui se poursuivent dans les domaines où nous n'avons pas encore signé d'accords, des discussions entre ministères pour aboutir à des signatures ».
Il a surtout lancé un message aux investisseurs français, comme une invitation : « Bienvenue aux investisseurs français en Algérie ! ».
Selon le FMI, la France est le deuxième investisseur en Algérie et ce sont déjà 500 entreprises françaises qui emploient dans ce pays 40 000 salariés. Nous pouvons être certains que les autorités algériennes et surtout françaises mettront tout en œuvre pour améliorer ces chiffres mais cela n’engagera en rien l’État algérien à plus de respect vis-à-vis de Paris, loin s’en faut.
De fait le pouvoir algérien est en position de force face à des dirigeants français en difficulté et donc très « demandeurs » d’un regain de chaleur entre les deux pays au prisme d’un contexte international et interne extrêmement critique pour l’Hexagone.
L’Algérie, un partenaire important pour la France
La France est de plus en plus isolée en Méditerranée et ce, en dépit des déclarations officielles, on l’a dit, toujours dignes de la méthode Coué. En froid avec le Maroc, évincé de son pré-carré historique africain, hors-jeu et inaudible en Libye, en Syrie, au Liban ou encore sur la question israélo-palestinienne, Paris se doit de retrouver des points d’appui dans la région.
Les yeux se sont donc tournés naturellement vers l’Algérie pour des raisons géographiques et pratiques. En effet, le pays est le 10e pays producteur de gaz de la planète (18e pour le pétrole).
Donc l’idée est bonne mais ce sont les motivations et surtout la manière de mettre en œuvre ce rapprochement qui sont mauvaises.
Car ne soyons pas dupes. A cause de leur alignement aveugle sur la politique atlantiste et européenne ainsi que dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine et de son corollaire, les tensions avec Moscou et la crise énergétique qui en découle, et même si les responsables français s’en défendent, leur désir d’une « réconciliation » avec l’Algérie, est pourtant limpide maintenant qu’ils sont aux abois car brouillés avec la Russie, l’un de leurs principaux partenaires économiques et énergétiques jusqu’ici : troquer avec Alger des visas contre du gaz et accessoirement des laissez-passer consulaires, pour parvenir enfin à rendre effectives quelques OQTF (obligations de quitter le territoire français dont seulement 10% aboutissent réellement !).
Sur ce dernier point, ou celui de l’immigration illégale et des retours au pays, même si le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en a parlé longuement avec son homologue algérien, à l’heure où sont écrites ces lignes, aucune négociation n’a abouti et les discussions s’éternisent…
Quant au gaz – l’Algérie est déjà le 3e pays fournisseur (8%) de la France, après la Norvège (36%) et la Russie (17%) –, les Français semblent être revenus bredouilles alors qu’un contrat important vient d’être signé entre Alger et Rome et que l’Espagne s’approvisionne déjà largement en gaz algérien !
Certes le Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN), sorte de Conseil des ministres franco-algérien présidé par les deux Premiers ministres, a été réactivé.
Cette structure de discussions, bien que très formelle et protocolaire, a été créée en 2012 et se tenait une fois par an, alternativement à Paris et à Alger. Depuis sa création, il y avait eu un CIHN chaque année, mais aucun ne s'est tenu depuis décembre 2017, car le Hirak, la chute de Bouteflika, puis le grand refroidissement franco-algérien avait mis à mal ce dispositif. Le dialogue est donc bien relancé mais se traduira-t-il par des actes concrets ?
L’incontournable question mémorielle
Durant son déplacement, le premier geste d’Élisabeth Borne fut de déposer une gerbe au mémorial du Martyr, un monument surplombant Alger, érigé en 1982 pour le vingtième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie et dédié aux martyrs algériens durant la guerre d'indépendance (soit les ennemis de la France à l’époque !).
Les harkis, les rapatriés d’Algérie, les vétérans de la guerre d’Algérie et leurs familles auront apprécié… C’est pourquoi, pour faire bonne figure et fidèle au « en même temps » macronien, la Première ministre française a également déposé une gerbe au monument aux morts pour la France, dans le carré militaire du cimetière européen Saint-Eugène…
Ainsi, pour traiter de la question mémorielle et écrire enfin une nouvelle page de l’histoire entre les deux pays, une commission d’historiens désignés par les deux pays est en passe de voir le jour. Du côté du gouvernement français, on se félicite encore d’un prochain accord sur cette question. Mais au regard des CV des historiens potentiellement choisis, on peut craindre le pire… Inévitablement, nous allons assister, du côté français, à de nouvelles séquences de « pardons », de « génuflexions » et d’autoflagellations…
En relations internationales, tout n’est pas question de contrats commerciaux et encore moins de morale ou de « repentances ». C’est aussi affaire de psychologie. Au sud de la Méditerranée on vit de dignité personnelle. Les peuples qui y vivent, sont des gens fiers qui méprisent, plus que tout, ceux qui s’humilient ou ceux qui se renient, d’autant plus pour des histoires d’achats de pétrole ou de gaz (Les Trente Honteuses, VA Éditions, 2020).
Plus qu’ailleurs, pour être adopté dans le monde arabe comme un partenaire à part entière, il faut être respecté. Dans cette région, ce n’est pas l’angélisme qui prévaut. Au contraire, c’est plutôt le rapport de force qui compte.
Or, les dirigeants algériens continuent donc à exiger des gages de repentance de notre part pour faire monter les enchères. C’est même leur arme absolue car le point faible des élites françaises.
Ils sont loin d’être stupides et ils connaissent parfaitement la mentalité des responsables français (alors qu’eux, ne connaissent rien de la leur) : ceux-ci sont toujours prêts à toutes les humiliations et les compromissions pour une signature au bas d’un contrat. Du point de vue des Algériens, ils ont raisons. Pourquoi respecteraient-ils ces politiciens alors que ces derniers ne se respectent pas eux-mêmes ?
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)