L’inquiétante question du trafic d’armes en Ukraine est-elle devenue un tabou ?
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)
La fourniture massive d’armes et d’équipements militaires à l’Ukraine par les pays occidentaux a fait exploser le trafic d’armes. Cette prolifération sur les marchés parallèles est un problème majeur qui inquiète aujourd’hui tous les services spéciaux européens. Pourtant, ce grave sujet massivement relayé jusqu’à cet été par les médias semble à présent avoir totalement disparu des débats…
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Tout conflit génère à chaque fois une augmentation et une prolifération des trafics d’armes. Liban, Afghanistan, Yougoslavie, Syrie, Libye… les exemples d’affaires liées à ce commerce illicite sont légion. La guerre en Ukraine qui sévit depuis près de neuf mois ne déroge en rien à la règle.
Depuis février dernier et le début de l’intervention russe, près de 85 milliards d’euros d’aide militaire, financière ou humanitaire ont déjà été versés au gouvernement de Kiev.
Les Etats-Unis seraient de loin les premiers donateurs, avec près de 49 milliards d’euros déjà annoncés depuis la fin du mois de janvier 2022, dont 25 milliards en aide militaire (56 % du total). La proportion de l’aide militaire est à peu près la même pour la quarantaine de pays, dont la plupart des États de l’Union européenne, fournissant une aide à l’Ukraine. Sans parler des pans entiers de cette aide en matériels de guerre classés secret défense…
Or cette fourniture massive d’armes, sans précédent historique quant à son ampleur, à l’Ukraine semble être devenue un sujet sensible pour les Occidentaux.
En effet, jusqu’à cet été, un certain nombre de médias anglo-saxons et européens s’étaient fait l’échos des inquiétudes de quelques observateurs et même de responsables politiques et d’officiels à propos de l’explosion du trafic d’armes autour des livraisons occidentales. CNN, le Washington Post, Le Figaro, Le Monde… avaient alors relayé certaines informations liées au manque de « transparence » de la part des Ukrainiens sur la traçabilité des livraisons, en particulier sur les munitions et les armes de petits calibres.
Le directeur général d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle basée à Lyon, s’inquiétait également de « la grande disponibilité d’armes du conflit actuel qui entraînera la prolifération d’armes illicites dans la phase post-conflit ».
Pourtant, depuis septembre, reprenant la propagande ukrainienne et otanienne, ces alertes sont dès lors qualifiées de « rumeurs », de « fakenews » ou de « propagande russe ».
Les nouveaux mots d’ordre dans les médias mainstream occidentaux semblent être devenus « silence » et « pas de vague ». Or, le problème demeure et même s’intensifie.
Il est clair que dans le contexte actuel de la formidable guerre communicationnelle que livre l’OTAN à la Russie, il ne faut pas « salir » l’image du président ukrainien Zelensky, nouvelle idole du « Camps du Bien », comme il est interdit dorénavant de critiquer son gouvernement.
Tous les spécialistes s’accordent pourtant à rappeler que les autorités ukrainiennes, ainsi que certains officiers de l’armée, seraient impliqués avec des gangs, des chefs de milices ou des Seigneurs de guerre peu scrupuleux dans ces fameux trafics.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier que l’Ukraine était déjà l’une des plus grosses plaques tournantes du trafic international des armes depuis la chute de l’Union soviétique au début des années 90. De même que la corruption dans ce pays est endémique à tous les échelons de l’administration.
En 2021, l’Ukraine était le troisième pays le plus corrompu du continent européen. La même année, Volodymyr Zelensky, ses proches et ses alliés politiques n’avaient-ils pas été piégés par les fameux « Pandora Papers » ?
Quoi qu’il en soit, les mafias de l’Europe de l’est sont puissantes, féroces, influentes et surtout très actives dans la zone et elles sont en lien avec les autres organisations criminelles et le grand banditisme de l’Europe de l’ouest.
Pour les équipements militaires les plus imposants tels que les chars, les lance-roquettes multiples ou les canons, la traçabilité n’apparaît pas trop difficile à mettre en place. Le renseignement de terrain et l’observation satellitaire peuvent permettre de les localiser relativement facilement.
Par contre, concernant les munitions et les armes de petits calibres, c’est plus complexe. C’est pourquoi les polices et services spéciaux européens sont sur les dents. Les Javelin et les Stinger posent par exemple un réel problème. Comme en définitive, les millions de munitions, les fusils d’assaut, les armes de poing, les lunettes de vision nocturne, les gilets pare-balles high-tech, etc., et surtout, tous ces lance-roquette et lance-missiles légers et portatifs au maniement aisé, capables de neutraliser un blindé à plusieurs centaines de mètres de distance ou pouvant atteindre des hélicoptères et des avions de combat à basse altitude… comme des avions de ligne au décollage ou à l’atterrissage !
Le risque demeure donc que ces types d’armes ne tombent dans de mauvaises mains, vu la porosité, constatée par exemple dans les banlieues françaises, entre la voyoucratie et les réseaux jihadistes. Et les activistes d’extrême-droite de l’Europe de l’ouest ne sont pas en reste puisque leurs pendants ukrainiens sont très présents et actifs au sein de l’armée ukrainienne, comme le régiment Azov, véritable repaire de néonazis…
Rappelons enfin que ce sont des armes en provenance de l’ex-Yougoslavie qui ont été utilisées par le « Gang de Roubaix » dans les années 1990 et plus tard, les terroristes qui ont frappé ces dernières années l'Europe, notamment lors des attaques de Paris du 13 novembre 2015…
En attendant, en dépit de la récente occultation du sujet de la part des médias et des politiques occidentaux, tous les services spéciaux européens sont bel et bien en alerte. Ils essaient tant bien que mal de suivre et de démanteler d’éventuels réseaux, tout en tentant de tirer la sonnette d’alarme sur ce problème pourtant bien réel.
Et qui, à plus ou moins long terme, risque d’avoir encore pour les peuples européens, un nouvel effet boomerang de cette guerre et surtout de l’implication de leurs responsables, mais en bien plus dramatique !