Montée des Souverainistes en Europe : un révélateur du grand malaise occidental
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)
La récente victoire de Giorgia Meloni en Italie, comme récemment avant elle, celle d’une autre coalition électorale de droite conservatrice en Suède, s’explique d’abord par une révolte des classes populaires et moyennes européennes.
Mais surtout, par une crise politique, identitaire,voire civilisationnelle profonde, qui traverse depuis quelques années toutes les démocraties occidentales…
Bien évidemment, la victoire électorale en Italie de Giorgia Meloni et de sa coalition de droite conservatrice (comme celle en Suède en septembre dernier) a offusqué toutes les intelligentsias occidentales. Une formidable avalanche d’indignations de la part des belles consciences s’est déversée dans les médias « mainstream » pour fustiger ce résultat pourtant démocratique mais qui ne convient pas aux normes de la « bien-pensance ».
D’une « victoire post fasciste » au sempiternel souvenir « des heures les plus sombres de notre histoire » en passant par « le danger de l’extrême-droite à nos portes », tout y est passé comme à l’accoutumée.
Or, il faut d’abord rappeler que ces expressions sont vulgairement anachroniques et surfaites. Elles empêchent et annihilent surtout tout débat et même toute réflexion sérieuse et apaisée sur les causes réelles et profondes de ce qu’une minorité dirigeante et privilégiée vit comme un « séisme ».
Comme le rappelle dans un article récent Alexandre Devecchio : « la facilité consisterait à voir dans la victoire de Meloni celle de l’union des droites ainsi que la conséquence de la radicalisation de l’opinion publique sur les questions identitaires et d’immigration. Si elle est en partie juste, cette analyse ne suffit pas à comprendre une recomposition politique qui, au-delà du cas italien, traverse toutes les démocraties occidentales. (…) D’autre part, et c’est sans doute là le plus important, les victoires de Meloni ou celle des démocrates de Suède, comme celle d’Orban, de Trump ou de Johnson avant eux, doivent se lire tout autant comme une révolte des classes populaire et moyenne occidentales que comme un phénomène de droitisation. Celle-ci est liée à l’immigration de masse, et à l’insécurité physique et culturelle qui en découle, mais pas seulement. Plus largement, le « populisme » est le fruit de quatre décennies de mondialisation qui auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté et même de prospérer, mais qui auront aussi vu le niveau de vie des classes populaires et moyennes occidentales stagner, voire décliner, ainsi que leurs modèles sociaux bouleversés ».
Un malaise occidental profond et inquiétant…
En effet, comme je l’écris dans mon dernier ouvrage, Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2022), l'humanité fut toujours touchée par des poussées de fièvres à chaque grand bouleversement démographique, politique ou surtout technologique.
Incontestablement, la révolution numérique de la fin des années 1990 et du début des années 2000, a son importance dans cette contestation mondialisée qui traverse le monde depuis 20 ans. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube et les blogs) ont joué et jouent encore un rôle de défouloir ou mobilisateur. Mais c’est le développement de l’information alternative sur le net qui a eu le plus d’impacts. Car l’information, c’est le pouvoir.
Et avec l’omniprésence de ces nouveaux vecteurs où l’on trouve le meilleur comme le pire, les gouvernements ont perdu progressivement le monopole de l’information et n’ont plus maîtrisé grand-chose. La « fabrique du consentement » (Edward Bernays) traditionnelle a donc atteint partout ses limites lorsque le consommateur choisit lui-même sa propre source d’information (pertinente ou pas) et que surtout, il peut de moins en moins consommer notamment à partir de la crise économique mondiale de 2008…
En Occident, nos sociétés sont donc depuis quelques années traversées par une multitude de crises. Crises identitaires, crises économiques et sociales, rejets du politiquement correct, rejets des élites, rejets de la mondialisation, etc...
Un malaise existentiel qui touche la plupart de nos démocraties. Tous les pays occidentaux connaissent ainsi leurs « territoires périphériques » (en référence à La France périphérique du géographe Christophe Guilluy) victimes de la « mondialisation malheureuse ».
Ainsi, du milieu des années 2010 jusqu’au début de 2020, une contestation de cet « Occident périphérique » contre leurs élites mondialisées est née et a pris diverses formes : Victoire de Trump aux États-Unis, Brexit, montée des populismes en Europe et Gilets jaunes en France…
Dès lors nous assistons depuis dans nos contrées à une lutte sans merci que livrent les establishments progressistes pour entraver l’accès au pouvoir ou bien renverser les divers mouvements souverainistes.
D’autant que ces classes dominantes, déconnectées des réalités, s’enferment dans le déni pour ignorer volontairement les origines de cette colère populaire légitime et préfèrent s’acharner, grâce au soutien des « puissances de l’argent » (Mitterrand) qu’elles servent, ainsi qu’à leur rouleau compresseur médiatique encore efficient et à coup de censures diverses et variées, pour faire tomber les « populistes » qui ont eu l’outrecuidance de gagner les suffrages populaires. Trump, Johnson, Kurtz, Salvini… (et peut-être demain Bolsonaro, le « Trump des Tropiques ») en ont fait les frais.
Les tenants du mondialisme persévèrent aveuglément et de manière autoritaire à vouloir imposer, quoi qu’il en coûte, leur monde « fukuyamesque » ultra-libéral, sans frontières, avec leurs bureaucraties et gouvernements technocratiques et oligarchiques, et leurs sociétés communautaristes (et donc conflictuelles), matérialistes et consuméristes. Et ce, dans le plus grand mépris des sentiments, des peurs et des intérêts élémentaires des différents peuples.
Pour ces derniers, comme le rappelle encore Alexandre Devecchio : « À ce double déclassement culturel et économique, il faut ajouter une forme de dépossession démocratique. En effet, sur fond de globalisation, à la souveraineté du dèmos se sont peu à peu substitués les forces du marché, le poids grandissant d’institutions financières, mais aussi technocratiques et juridiques non élues, à commencer par l’Union européenne, qui ont dicté au peuple la marche à suivre.
Le vote populiste peut donc aussi se lire comme un appel au secours démocratique, une tentative pour les peuples de "reprendre le contrôle" ».
Par exemple, la Présidente de la Commission européenne (sans légitimité démocratique puisque non élue), Ursula von der Leyen, qui durant les derniers jours de la campagne italienne, menaçait, en cas de « mauvais vote », avoir les outils pour faire plier les Italiens, n’a fait assurément que galvaniser la volonté d’une partie de ces derniers de résister au « diktat » de Bruxelles…
Lassée par le report ou l’annulation pure et simple dans plusieurs pays de l’Union des divers référendums sur l’avenir de l’Europe ou, durant la dernière pandémie, par les mesures inédites et parfois ubuesques de restrictions des libertés publiques et discriminatoires, conjuguées avec de nombreuses autres restrictions des droits et libertés fondamentaux projetées, validées ou adoptées par des exécutifs dépassés, la majorité des Européens est à saturation. Elle en a plus qu’assez du politiquement correct et de ces « dictatures de moins en moins molles » (Michel Maffesoli), fortes avec les faibles et faibles avec les forts, qui lui imposent comment penser ou agir devant un chaos migratoire géré de manière inconséquente, l’insécurité physique et culturelle qui en est la résultante et la paupérisation inexorable des classes moyennes et défavorisées.
En France, comme le note justement Maxime Tandonnet, l’arrivée au pouvoir d’une alliance des droites semble pour l’instant peu probable car « la classe dirigeante dispose d’armes puissantes pour éviter un tel avènement: le système présidentiel, tant il permet de manipuler l’opinion par le matraquage autour du choix d’un gourou national dans une logique d’exaltation/diabolisation; le lepénisme grâce à la sublimation médiatique d’un épouvantail (depuis cinq décennies) qui prévient toute possibilité de coalition conservatrice ».
Mais ailleurs, le scénario suédois ou italien va se reproduire inévitablement. Ou pire ce sera l’avènement de « l’ère des soulèvements » annoncée par le sociologue Michel Maffesoli. Car l’Union européenne finira par se désagréger.
L’alignement suicidaire et aveugle des responsables européens sur la politique jusqu’au-boutiste de l’administration démocrate de Joe Biden dans sa guerre larvée contre la Russie en Ukraine commence à avoir un effet boomerang déplorable et des répercussions catastrophiques sur le plan socio-économique (inflation, récessions, faillites, explosion du chômage, pénurie de gaz et d’électricité…).
Surtout que ce sont les peuples européens qui sont encore sommés de se serrer la ceinture et de sacrifier leur modèle social et ce qui leur reste de mode de vie « à l’occidentale » pour pallier l’incurie et les politiques à courte de vue de leurs « chefs » !