Au Gabon, Brice Clotaire Oligui Nguema lance un dialogue « sous le sceau des dieux »
Ce mardi 2 avril 2024 à Libreville, la conférence nationale a débuté, en présence du Centrafricain Faustin-Archange Touadéra.
Jusqu’au 30 avril, les participants débattront des modalités de la nouvelle Constitution gabonaise.
Dans le quartier Petit Paris, à Libreville, le Palais des sports a accueilli mardi 2 avril la cérémonie d’ouverture du « dialogue national inclusif », sous l’impulsion du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema. Elle s’est déroulée en musique. Dans les publicités diffusées à la télévision, la conférence nationale, première étape clé de la transition militaire, était depuis plusieurs semaines sur toutes les lèvres. « La fierté du treillis et du casque, c’est les commandos [qui] ont fait le taf », a ainsi chanté le rappeur Patrice Rodney Ndzeng Minko, alias Rodzeng. « Ils ont libéré le pays avec classe, est-ce qu’on avait besoin de tirer sur la populace ? »
Les militaires sont à l’honneur et de nombreux artistes ont été conviés à la cérémonie. Une ambiance de liesse même si, sur les réseaux sociaux, le choix d’un des présentateurs chargés d’animer la journée a fait couler beaucoup d’encre. Le journaliste sportif Freddhy Koula, tout sourire en officiant lors de la cérémonie, occupait pour la campagne présidentielle de 2023 le rôle de porte-parole d’Ali Bongo Ondimba. Comme de nombreux Gabonais, l’animateur est accusé d’avoir retourné sa veste après le coup d’État du 30 août. Mais aux yeux du chef de l’État, rien de contradictoire ; il prône un Gabon sans majorité ni opposition, au moins durant les vingt-quatre mois de la transition, rapporte Jeune afrique.
Faustin-Archange Touadéra au premier rang
De nombreuses personnalités politiques se sont rendues au Palais des sports pour l’occasion. Le Premier ministre, Raymond Ndong Sima, était assis au côté de la présidente du Sénat, Paulette Missambo. Derrière eux se trouvait Alexandre Barro Chambrier, nommé vice-Premier ministre au mois de janvier. Ces trois caciques des cercles politiques gabonais étaient alliés au sein de la plateforme Alternance 2023 lors des dernières élections, principale force d’opposition à Ali Bongo Ondimba. Les autres présidents d’institutions et les officiels de la transition, tout comme les plus hauts gradés de l’armée gabonaise, membres éminents du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), ont obtenu des places aux premiers rangs.
Gabon : Dialogue national inclusif – Sept mois après le coup d'Etat, des questions subsistent
Épouse de Brice Clotaire Oligui Nguema, Zita Oligui Nguema a été la première à faire son entrée. Facilitateur désigné par la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), Faustin-Archange Touadéra, était l’invité d’honneur de la cérémonie, et a pénétré dans la salle au côté de Brice Clotaire Oligui Nguema, saluant au passage plusieurs personnalités politiques, comme le principal adversaire d’Ali Bongo Ondimba à la présidentielle 2016, Jean Ping, ou l’ancien vice-président, Pierre Claver Maganga Moussavou. Faustin-Archange Touadéra s’est félicité de l’avancée de la transition, avant de dresser le bilan de ses visites de travail et de ses entretiens à Libreville au cours des derniers mois.
« Le leadership exemplaire que vous incarnez conduit avec succès le peuple gabonais sur le chemin d’une transition politique inclusive », a affirmé le Centrafricain, ne tarissant pas d’éloges sur Oligui Nguema, et l’encourageant à poursuivre dans cette voie. Touadéra a adressé un conseil aux participants du dialogue : « Au-delà de notre espace communautaire, le monde entier vous observe. Soyez en paix avec votre conscience […] afin de garantir la sérénité des débats et de rechercher des solutions idoines aux différents défis qui ont failli plonger ce beau pays dans une crise électorale aux conséquences imprévisibles. »
« Conduire le Gabon vers un véritable État de droit »
Les interludes musicaux ont beaucoup plu au président de la transition, qui s’est prêté au jeu, tout comme les militaires du CTRI. Tous ont accompagné le chanteur André Pepe Nze lors de son passage, en dansant à ses côtés. « Le cas du Gabon fait école », a lancé le général de la transition, reprenant son discours sur le « coup de la liberté » du 30 août. « Depuis la conférence nationale de 1990 jusqu’à la concertation politique de février 2023 […], les avancées tant souhaitées par les Gabonais sont restées lettre morte. Ces rendez-vous manqués avec l’Histoire ne sauraient se reproduire sous l’égide du CTRI », a promis le général au pouvoir, mettant en avant le nombre de contributions apportées et de participants au dialogue, ainsi que la diversité des thématiques abordées.
Les conclusions du dialogue
« Les conclusions du dialogue vont être traduites en textes de loi puis soumises à un référendum », a rappelé Brice Clotaire Oligui Nguema. Le dialogue doit en effet déboucher, via une Assemblée constituante, sur une nouvelle Constitution. Le texte de loi sera soumis à un référendum en octobre 2024. Avant l’élection présidentielle prévue à titre indicatif en août 2025, le code et les listes électorales doivent également être réformées. « Le dialogue ne saura être ni politicien ni politicard, au sens des luttes partisanes pour la conservation ou la conquête du pouvoir, a prévenu le chef de l’État. Pour ma part, je m’engage à tout mettre en œuvre pour atteindre [la victoire à l’issue du dialogue], je suis déterminé à voir le Gabon ouvrir une nouvelle ère de son histoire vers la félicité. »
L’objectif de la conférence nationale, aux dires du président de la transition est de réfléchir, réconcilier, et créer un espace de vivre-ensemble. Oligui Nguema a chargé les participants de dresser « un diagnostic aussi précis que possible de la situation institutionnelle, économique et sociale de la nation », et de « proposer des orientations appropriées en vue de conduire le pays vers une démocratie et un véritable État de droit ». Brice Clotaire Oligui Nguema a souhaité rendre hommage à plusieurs personnalités historiques gabonaises : Léon Mba, Omar Bongo, Pierre Mamboundou…
L’armée a fait sa part
L’absence d’un nom a été remarquée par les spectateurs du discours, sur les réseaux sociaux : celle d’Ali Bongo Ondimba. « L’armée a fait sa part, il revient donc à l’Église, au clergé de faire la leur. Le dialogue national inclusif, nous l’avons mis sous le sceau des dieux », a déclaré Brice Clotaire Oligui Nguema. En revanche, il ne sera pas question durant le dialogue de débuter les travaux d’une commission « justice-vérité-réconciliation ». Réclamée par Paulette Missambo, qui souhaitait notamment faire la lumière sur les violences postélectorales de 2016, celle-ci ne verra pas le jour pour l’instant.
Brice Clotaire Oligui Nguema a longuement évoqué le sujet, expliquant que le CTRI se réservait le droit d’en « analyser le bien-fondé ». « Le temps d’une transition me semble bien trop étroit pour établir les responsabilités de chaque événement en réévoquant les circonstances qui ont prévalu au moment des faits, a avancé le chef de l’État. D’autant plus que, sous d’autres cieux, les commissions de ce type ont ouvert des brèches qui ne sont toujours pas refermées après les années. Il est bon de revenir dans le passé, mais cela ne doit pas nous empêcher d’avancer. »
La future Constitution sera débattue à huis clos
Rejoint par Faustin-Archange Touadéra, par le président du dialogue, l’archevêque de Libreville Jean Patrick Iba-ba, puis par l’ensemble du bureau de la conférence nationale, le président de la transition a enfin déclaré l’ouverture des travaux, toujours en direct à la télévision nationale. Mais la retransmission s’arrêtera là. Si les cérémonies d’ouverture et de clôture sont ouvertes au public, seuls les 600 membres désignés par Brice Clotaire Oligui Nguema et les « personnes ressources » nommées par décret, seront autorisés à discuter des détails de la future Constitution pendant les débats.
Parmi eux, plusieurs figures de la politique gabonaise ont été appelées, comme Jean Ping, le président de Réagir, le membre du bureau de l’Assemblée nationale, François Ndong Obiang, le ministre de la Justice Paul-Marie Gondjout ou encore l’ex-prisonnier politique Bertrand Zibi Abeghe, au nom du Conseil économique social et environnemental. Le CTRI est évidemment très représenté au sein du dialogue national inclusif. Plus de 60 militaires ont ainsi été nommés au nom de la junte au pouvoir, pour faire partie des commissions du dialogue, qui doit désormais durer vingt-huit jours.
A la fin de la cérémonie, le 2 avril, la musique a une nouvelle fois repris ses droits, pour accentuer l’atmosphère de liesse générale. Sur la scène, le général de brigade a effectué quelques derniers pas de danse, en compagnie – remarquée – de Jean Ping. Les deux hommes ont ensuite été rejoints par les personnalités politiques présentes, en particulier des piliers de l’ancienne opposition. Le début d’une nouvelle ère ?