Au Sénégal, la presque victoire de l’opposition
Selon des estimations diffusées par la presse sénégalaise, l’opposant Bassirou Diomaye Faye remporterait l’élection présidentielle dès le premier tour.
Dimanche soir à Dakar, la nouvelle a suscité beaucoup de joie, mais le camp du pouvoir conteste.
À 18 heures, dimanche 24 mars, la porte métallique de la salle de classe s’est refermée, et dans le bureau de vote no 2 de l’école Alassane-Ndiaye-Allou, le dépouillement a commencé. Sept bulletins plus tard, le candidat du pouvoir, Amadou Ba, menait 6 voix à 1 face à Bassirou Diomaye Faye. Ça n’a pas duré. Très vite, dans ce quartier populaire de la Médina, en plein cœur de Dakar, l’opposant « antisystème » reprend le dessus, rapporte Media part.
La voix du président du bureau de vote lisant les bulletins se met à résonner comme un mantra : « Diomaye, Diomaye, Amadou Ba, Diomaye, Diomaye... » Les dix-sept autres candidats n’ont que des miettes à se partager et, avec au final 216 voix contre 112 à Amadou Ba, le candidat du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, dissous par le gouvernement au mois de juillet), remporte une victoire nette.
« Espérons que ce soit partout comme ça ! », commente le représentant du Pastef dans le bureau de vote. Mamadou Diakho, 28 ans, croit dur comme fer à la victoire : « S’il n’y a pas de vol, Diomaye va gagner l’élection dès le premier tour. » Ce qui l’inquiète, ce sont les résultats en provenance du nord du Sénégal, des régions rurales réputées acquises à la coalition au pouvoir et où les jours d’élections, accuse-t-il, « il se passe des choses qui ne sont pas très démocratiques ». En tout cas, à la Médina, c’est bien parti pour son candidat : dans les bureaux de vote voisins du no 2, les chiffres sont du même acabit.
À quelques rues de là, dans une maisonnette où six personnes cohabitent dans à peine 15 mètres carrés, la famille Diouf écoute les résultats à la radio. Ils sont égrainés commune par commune, voire bureau de vote par bureau de vote. Un peu partout, les chiffres sont du même ordre. Même dans son propre bureau de vote, Amadou Ba a perdu. À plate couture : 238 bulletins contre 121. Alors chez les Diouf aussi, les sourires sont de sortie. Tout le monde a voté Diomaye, mais personne n’ose encore totalement y croire. Dehors, on entend déjà des klaxons fêter la victoire. « Pourquoi ils jubilent ? C’est trop tôt », s’inquiète un des frères.
De la prison au palais
Le scénario est improbable : il y a une dizaine de jours, Bassirou Diomaye Faye était encore en prison, où il a passé onze mois en détention provisoire, notamment pour « outrage à magistrat ». La semaine prochaine, il s’installera peut-être au palais présidentiel, succédant ainsi à Macky Sall, qui a promis de quitter son poste le 2 avril, date de la fin de son mandat.
C’est en tout cas ce que laissent imaginer les premières estimations diffusées dans la nuit de dimanche à lundi par les médias sénégalais, au terme du premier tour de la présidentielle de ce 24 mars. Les résultats officiels ne tomberont que plus tard dans la semaine mais, pour l’heure, le candidat de l’opposition « antisystème » est donné largement en tête. Dépassant la barre des 50 %, il serait même élu dès le premier tour.
Alors vers 20 h 30, c’est déjà la fête à la Médina. Des escadrilles de mobylettes passent à toute vitesse, drapeau sénégalais au vent. Un jeune homme commente la scène : « C’est le changement ! » Puis il se met à raconter le nombre de jeunes diplômé·es qui n’ont pas de travail. Il est persuadé que les choses s’amélioreront en cas d’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et de son mentor, Ousmane Sonko.
Car si le premier s’est porté candidat à la présidence de la République, c’est parce que le second n’a pas pu le faire, à cause d’une condamnation en diffamation. Tribun charismatique, Ousmane Sonko s’est rendu extrêmement populaire grâce à ses discours « dégagistes » et souverainistes, contre la corruption, les inégalités et l’impérialisme économique occidental. Il a su générer énormément d’espoir au sein de la jeunesse sénégalaise. Trop ? « Il n’a pas le droit de nous décevoir », tranchait Mamadou Diakho un peu plus tôt, dans le calme du bureau de vote no 2.
« On est fatigués, on veut du changement »
Sur l’avenue Cheikh-Anta-Diop, les vuvuzelas sont de sortie. À Ouakam, les voitures peinent à se frayer un chemin au sein de la foule qui danse le mbalakh au milieu de l’avenue au son des percussions. Quartier Liberté 4, devant le QG de la coalition « Diomaye président », la sono passe des chants à la gloire du Pastef et d’Ousmane Sonko. Comme signe de ralliement, on arbore des balais.
« C’est pour dégager le régime, celui qui est là depuis Senghor », explique un presque quinquagénaire qui ne veut pas donner son nom. Il est persuadé que Bassirou Diomaye Faye a gagné « à 65 % ». Un pourcentage sorti d’on ne sait où, plus élevé même que l’estimation publiée en milieu de soirée par la RFM (Radio Futurs Médias) : 56 % pour Diomaye et 31 % pour Ba. Peu importe, l’homme est ému : « Ce soir mon cœur est plein, je suis content. »
Anta Diop, 20 ans
Puis il raconte comment la vie est dure au Sénégal, comment « chaque jour on travaille, on dépense et on recommence à zéro ». Il est chauffeur : « On va bosser toute une journée, on gagne 5 000 francs [environ 7,5 euros − ndlr], on rentre à la maison, on dépense tout pour la famille, puis le lendemain on repart, on gagne 3 000, on rentre à la maison et de nouveau on mange tout. À 49 ans, je n’ai rien. » Il conclut : « On est fatigués, on veut du changement. » Un peu plus loin, une femme évoque le prix de la nourriture et des loyers, trop chers. Elle veut croire qu’une fois au pouvoir, Diomaye et Sonko amélioreront les choses : « Sinon on les dégagera aussi à la prochaine élection. »
Dans la rue d’à côté, Saliou Diedhiou, 18 ans, rappelle les gaz lacrymogènes qu’il a subis dans les manifestations de ces dernières années. Il raconte que son frère a fait six mois de prison. « On a galéré, c’est pour ça qu’on est contents. » Anta Diop, 20 ans, enchaîne : « Aujourd’hui, c’est une délivrance pour toute une population. » Elle parle de la soixantaine de morts en manifestation ces trois dernières années. Elle mentionne les détenus politiques, l’absence de perspectives qui fait que des milliers de jeunes embarquent sur des pirogues pour migrer aux Canaries. Elle salue l’effort de transparence de Bassirou Diomaye Faye, qui a publié une déclaration de patrimoine sans y être obligé par la loi. Elle y voit une forme de « respect » envers la population, après s’être sentie insultée « pendant des années » par le régime de Macky Sall.
Un deuxième tour ?
Il est presque minuit, et la fête se poursuit. Mais voilà que l’équipe de campagne d’Amadou Ba sort un communiqué : « Nous appelons donc tous les Sénégalais à rester calmes, en attendant les résultats officiels qui ne sauraient tarder. » Le camp du pouvoir ne reconnaît pas sa défaite, au contraire : « À cette heure, après dépouillement d’environ un tiers des bureaux de vote, les premières tendances montrent que le camp républicain et démocratique a déjoué les pronostics sur son effondrement annoncé comme inévitable. Un basculement du Sénégal dans l’aventure populiste n’est pas une fatalité. » L’équipe de campagne d’Amadou Ba se dit même certaine d’accéder au second tour, « dans le pire des cas ».
Il n’empêche : au vu des « tendances lourdes » publiées par la presse, plusieurs des dix-sept autres candidats ont d’ores et déjà adressé leurs félicitations à Bassirou Diomaye Faye. Pour l’instant, ce dernier n’a pas commenté ces premières estimations qui lui donnent la victoire. De son côté, Amadou Ba a prévu de s’exprimer ce lundi 25 mars en milieu de journée.