Moyen-Orient : La Chine est-elle en train de s’imposer au détriment de la puissance américaine ?
Lors de sa visite du 7 au 9 décembre dernier en Arabie saoudite, le président chinois Xi Jinping a été reçu en grande pompe.
C’est un nouveau signe du basculement du centre de gravité géopolitique mondial. Assiste-t-on au crépuscule du siècle américain et à l’avènement du siècle chinois ?
Car grâce à sa rhétorique anti-occidentale, son modèle autocratique et sa formidable puissance financière, la Chine est en train de développer méthodiquement ses liens commerciaux et assoir sa présence et son influence dans le monde et notamment au Moyen-Orient.
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)
A cause de l’inconséquence idéologique de l’administration Biden et de sa fixation hystérique anti-russe, suivie aveuglément par les dirigeants de l’Union européenne, le monde assiste, effaré, au suicide inexorable – économique, énergétique et géostratégique – de l’Occident (et surtout de l’Europe !) contre la Russie à la faveur de sa guerre en Ukraine.
La majorité des pays africains et surtout du monde arabe ont refusé eux, en dépit des pressions américaines et pour préserver leurs stricts intérêts, de condamner et surtout de s’aligner sur les sanctions occidentales contre Moscou pour ce conflit entre « Occidentaux » et qui ne les concerne pas.
Alors qu’Européens, Américains et Russes sont en train de s’« écharper » ou s’affaiblir, diront certains, en Ukraine, la Chine, quant à elle, continue à tisser patiemment et méthodiquement sa toile. Le voyage de Xi Jinping dans le royaume saoudien du 7 au 9 décembre dernier, s’inscrivait dans le cadre de trois grands sommets : le sommet Chine - Conseil de coopération du Golfe (CCG), le sommet Chine - Arabie saoudite et le sommet Chine - pays arabes.
Cette visite à Riyad, éminemment politique et symbolique, fait suite, de quelques semaines, au véritable bras d’honneur historique du prince héritier Mohammed ben Salman (MBS) adressé à Joe Biden.
En effet, les mesures prises par l’OPEP + Russie, en octobre dernier et suivant la pathétique et stérile visite du président américain à Riyad en juillet, ont tué dans l’œuf le pilier (basé sur une baisse du prix du pétrole) de la stratégie américaine d’affaiblissement de Moscou.
Les deux puissances « émergentes », russe et chinoise, au Moyen-Orient entretiennent donc de très bons rapports avec tous les protagonistes de la zone. Tels les Russes, les Chinois ont développé depuis une dizaine d’année (cf. Poutine d’Arabie, VA Éditions, 2020), une diplomatie ultra-active, capable de tisser des liens autant avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qu’avec l’Iran, sans oublier l’État hébreu ou la Turquie.
Pour la Chine, le Moyen-Orient, carrefour des marchés asiatique et européen, est devenu de plus en plus important ; à cause de ses importants besoins énergétiques et en hydrocarbures, mais également car la région est du plus grand intérêt pour ses « Nouvelles Routes de la Soie ».
L’axe maritime s’appuyant sur le port de Gwadar au Pakistan avant de rejoindre la base militaire chinoise de Djibouti dans la corne de l’Afrique pour rejoindre l'Europe.
Puissance financière et non-ingérence, les maîtres-atouts de Pékin
Signe des temps, alors que les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Arabie saoudite ne font que décroître depuis quelques années, les relations commerciales entre Pékin et Riyad n’ont cessé, eux, d’augmenter allant jusqu'à atteindre désormais 65 milliards de dollars.
Globalement, les échanges entre la Chine et les pays arabes sont passées entre 2000 et aujourd’hui de 8 à 177 milliards de dollars, dont 77 rien qu'avec les pays du Golfe.
Les Chinois n’ont toutefois pas encore totalement les capacités de projection militaire nécessaire pour développer leur influence régionale.
D’ailleurs, avec le recul et lorsque l’on analyse les expériences occidentales dans cette partie du monde, l’outil militaire n’est peut-être pas forcément le plus efficace... Pékin possède en revanche une puissance économique phénoménale (investissements massifs chinois dans de nombreux secteurs comme le nucléaire, le militaire, le tourisme, l’industrie ou encore dans la construction de la ville ultra-moderne saoudienne de Neom et la nouvelle capitale égyptienne voulue par Sissi…)
Par ailleurs et point non moins négligeable, sa diplomatie, comme celle des Russes, rejette toute leçon de morale sur les droits de l’Homme par exemple ou les ingérences politiques demandant plus de démocratie, si chères aux Occidentaux.
Elle défend au contraire la souveraineté des États et leur libre arbitre quant aux affaires intérieures. Elle est donc basée sur le strict réalisme et un pragmatique « machiavélien ». Elle refuse également les logiques d’alliances ou de blocs, dans le seul but d’éviter d’être entraîné dans des conflits ou tensions, éloignés de ses propres intérêts.
Les rapprochements ont donc toujours des objectifs pragmatiques, bénéficiant en principe aux deux parties (stratégie du « win-win »), et surtout sans que cela lie les mains de la puissance chinoise. Stratégie donc prudente pour développer une influence régionale croissante dans une partie du monde marquées par les conflits ancestraux.
Pas étonnant dès lors, que Riyad et Pékin aient déjà évoqué la possibilité de contrats pétroliers en yuans ! Comme un élargissement des BRICS à des pays de la zone comme le Royaume saoudien, les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte…
Outre donc une forte convergence des intérêts économiques et commerciaux, c’est également sur les plans politiques, que les liens entre les capitales arabes et Pékin, se sont approfondis, notamment dans le cadre de la coopération antiterroriste.
L’Égypte ayant par exemple aidé la Chine à rapatrier de force des étudiants ouïghours présents sur son territoire en 2019. De nouveau, comme la Russie, le terrorisme islamiste et l’islam politique sont aussi une priorité sécuritaire pour la Chine, du fait de la population chinoise de confession musulmane principalement dans une province du nord-ouest du pays, le Xinjiang.
La Chine et la Russie, championnes d’un monde multipolaire et non dominé exclusivement par les États-Unis, sont sûrement les seules puissances étrangères présentes au Levant à rechercher véritablement la stabilité de la zone pour leurs propres intérêts.
Elles se refusent à jouer aux apprentis sorciers pour des motivations idéologiques comme les Occidentaux, et elle ne souhaite en aucun cas des conflits trop déstabilisateurs dans cette partie du monde.
Pour les Chinois, il s’agit de préserver justement, on l’a vu, leurs importants approvisionnements en pétrole et également la sécurité de leurs nouvelles Routes de la soie.
La guerre en Ukraine n’a donc fait qu’accélérer l’influence et la présence de la Chine au Moyen-Orient. Devant des démocraties occidentales à bout de souffle et jugées comme « décadentes », toujours embourbées dans des crises sociales, économiques et aujourd’hui énergétiques (par leurs choix suicidaires et au mépris de leurs propres intérêts !), la gouvernance autocratique de l’Empire du milieu – en dépit des récentes émeutes en Chine causées par la politique folle du zéro-Covid des autorités, mais qui ne remettront pas fondamentalement en cause la nature et la stabilité du régime –, sont finalement les principaux atouts de Pékin. Ils ne peuvent que séduire les régimes forts de la région…
Comme je l’écrivais dans mon dernier ouvrage, Sommes-nous à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2022), nous assistons peut-être, en direct, au crépuscule du siècle américain et au prémices de celui de la Chine. Rien n’est jamais écrit et même si les Etats-Unis demeurent encore LA puissance dominante, incontournable et que leurs moyens de pression sont encore très importants, les faits qui confirment cette évolution sont tout de même frappants et ne cessent de se multiplier…