La victoire de Netanyahou en Israël va-t-elle réchauffer les relations entre l’État hébreu et la Russie ?
L’ancien Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, avait mis à mal les bonnes relations entre l’État hébreu et la Russie à cause de ses positions pro-ukrainiennes dans le conflit en cours.
Benyamin Netanyahou, de retour au pouvoir et véritable artisan des bonnes relations avec Moscou depuis les années 2000, va-t-il être en mesure d’engager un réchauffement diplomatique avec le Kremlin ?
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)
Depuis sa nomination en tant que Premier ministre de l’État hébreu, les positions et les propos persistants et anti-russes sur le conflit ukrainien du centriste Yaïr Lapid, n’avaient fait qu’envenimer les tensions diplomatiques et verbales avec Moscou.
En guise de représailles, le Kremlin avait menacé de fermeture les bureaux de l’Agence juive à Moscou, organisation israélienne quasi gouvernementale chargée de faciliter et d’encourager l’immigration juive en Israël.
Jusqu’ici, l’État hébreu n’avait condamné que du bout des lèvres l’agression russe mais s’était refusé, entre autres, d’envoyer du matériel militaire à Kiev (hormis des casques et des gilets pare-balles, une aide humanitaire et médicale et un hôpital de campagne).
Encouragé par Washington et sous l’influence et les pressions l’administration démocrate (cf. la visite de Biden en Israël en juillet dernier), Lapid, lui, envisageait même de changer radicalement la politique israélienne en armant l’armée de Kiev.
Or l’État-major israélien s’était farouchement opposé à cette vision trop émotionnelle et manichéenne (si chère aux Européens par exemple) du conflit et surtout, à une rupture de leur coopération multi-tâches avec les Russes notamment en Syrie depuis 2015.
Les militaires israéliens avaient encore trop besoin d’une Russie même en difficulté mais toujours incontournable au Moyen-Orient (cf. Poutine d’Arabie, VA Éditions, 2020), afin par exemple de garder les mains libres et continuer de frapper les Iraniens et leurs alliés en Syrie…
D’autant plus que les Israéliens, qui n’ont pas l’habitude de se faire dicter leur politique par qui que ce soit (ni même par les Américains !), ne sont pas enclins à soutenir un président ukrainien qui a l’outrecuidance, comme il le fait avec les Européens, de les critiquer pour leur refus d’envoyer du matériel militaire et qui les somme de l’aider.
Les services spéciaux de l’État hébreu, toujours très bien informés, n’étaient également pas très chauds pour soutenir ce gouvernement de Kiev qui glorifiait encore il y a peu des héros ukrainiens de la Seconde guerre mondiale qui avaient collaboré avec le Troisième Reich (Stepan Bandera) et surtout, dont l’armée actuelle est gangrénée par des volontaires locaux et mercenaires étrangers clairement néo-nazis (régiment Azov).
De même, l’explosion du trafic d’armes causé par la guerre en Ukraine (troisième pays le plus corrompu d’Europe et qui était déjà une des plus importantes plaques tournantes de ce commerce illicite depuis les années 1990), malheureusement aujourd’hui occulté en Europe par les médias (pour ne pas « salir » l’icône du Camp du bien, Zelensky) et dans lequel surtout, certains officiers ukrainiens seraient grandement impliqués, ne peut qu’inquiéter les renseignements israéliens.
En effet, ces armes dans la nature alimentent assurément déjà le grand banditisme de l’Europe de l’ouest ainsi que des groupes terroristes hostiles à Israël et aux juifs en général à travers le monde…
Enfin, les stratèges hébreux sont prudents et comme leurs voisins arabes, ils préfèrent ainsi ne pas vendre la peau de l’ours russe avant de le voir à terre ! Ancrés dans le réel et imperméables à la propagande otanienne relayée de manière enthousiaste et hystérique par les médias mainstream occidentaux, ils savent de quoi sont capables les Russes sur le plan militaire. Ils connaissent leur résilience et leur capacité historique à réadapter en permanence leur stratégie devant les difficultés. Ils les ont vus à l’œuvre en Syrie et au Moyen-Orient depuis dix ans… Très attentifs à ce qu’il se passe sur le terrain, particulièrement depuis que les forces russes utilisent des drones iraniens, les experts israéliens auraient transmis des informations sur ces drones et auraient aussi offert d’examiner les pièces de ces appareils qui se sont écrasés.
Mais les Israéliens sont également conscients que la situation n’est pas aussi catastrophique pour l’armée russe et que des surprises sont à attendre. Comme le rappellent certains observateurs encore lucides, objectifs mais occultés volontairement par les médias français, tels par exemple Éric Denécé, Philippe Migault, le général Pinatel ou d’ailleurs dans une récente et remarquable analyse, l’expert militaire Sylvain Ferreira…
Le « vote russe » a-t-il joué en faveur de Netanyahou ?
Si son parti, le Likoud, n'a obtenu que 32 sièges, Benyamin Netanyahou va s'allier aux ultra-orthodoxes et à l'extrême droite pour avoir une majorité de 64 sièges sur les 120 qui composent la Knesset, le parlement israélien. L’insubmersible « Bibi » sera donc le nouveau Premier ministre de l’État hébreu.
L’électorat israélien s’est clairement mobilisé pour ces élections. Il semblerait également, même s’il n’y a pas encore d’étude sur ce point, que la communauté russophone d’Israël (majoritairement pro-russe et pro-Poutine et largement considérée comme des électeurs de droite) ait été décisive dans la victoire de Netanyahou.
En effet, avec près d’un million d’immigrés de l’ex-Union soviétique en Israël, soit un bloc d’environ 15-16 sièges au Parlement, la communauté russe a toujours été au cœur de la lutte pour le pouvoir. Pendant des années, Avigdor Liberman a opéré comme « sous-traitant » de Netanyahou quant au vote russe. Mais depuis leur rupture, les deux hommes se disputent cet électorat.
Lors de cette dernière élection, le parti de Liberman a obtenu 7 députés. La ligne anti-russe de Lapid aidant, pour la communauté russe, le vote utile était représenté par conséquent par le patron de la droite israélienne.
Dès le début du conflit en Ukraine, le positionnement de « Bibi », qui avait fortement critiqué les déclarations de Lapid, était que l’État juif devait conserver une plus grande neutralité face à la guerre russo-ukrainienne afin de conserver ses bonnes relations avec Moscou et particulièrement sur le dossier syrien.
Certes, quelques jours avant le scrutin, Netanyahou avait opéré une légère inflexion dans son discours déclarant qu’il espérait que le président russe Vladimir Poutine « remettra en question » ses initiatives expansionnistes. Il ajoutait qu’il réfléchirait à livrer des armes à l’Ukraine s’il devait revenir au pouvoir au lendemain des élections du 1er novembre.
Mais en véritable animal politique, l’ancien chef de l’opposition sait pertinemment que les promesses n’engagent qu’eux ceux qui les reçoivent. De toute évidence, ces déclarations avaient pour objectif de rassurer l’administration démocrate américaine qui lui était franchement hostile (comme à l’époque d’Obama) ainsi que la communauté ukrainienne d’Israël, tout en mettant une certaine pression sur le Kremlin.
Or Netanyahou, en son for intérieur, est parfaitement en phase avec les généraux de Tsahal et les renseignements israéliens quant à la position à tenir face à la Russie et ce, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Grand pragmatique, le futur Premier ministre ne souhaite absolument pas une rupture avec les Russes, qui bien qu’affaiblis par leur guerre en Ukraine, restent on l’a dit incontournables au Moyen-Orient.
Il s’inquiète également des conséquences d’un éventuel retrait russe de Syrie, avec la possibilité que l’Iran puisse être en mesure d’y renforcer son influence. Lui qui se vante de ses liens d’amitié avec Poutine, ne veut pas mettre à bas les profondes et solides relations tissées avec la Russie depuis les années 2000 et dont il a été l’un des principaux artisans (« Bibi » détient le record des déplacements officiels à Moscou pour un responsable israélien).
Même si le président Biden (au bout de 5 jours !) et son administration ont été obligés, par courtoisie diplomatique, de féliciter le futur Premier ministre israélien, leur préférence allait bien évidemment au perdant Lapid. Dans tous les cas, c’est tout de même un nouveau coup dur pour le locataire de la Maison-Blanche et ses équipes dans leur croisade planétaire (qui est véritable un fiasco !) contre la Russie…
Au début du conflit ukrainien, Netanyahou avait été sollicité pour une médiation entre Moscou et Kiev mais il avait décliné l’offre, laissant le Premier ministre de l’époque, Naftali Bennett à la manœuvre avant que son gouvernement ne se disloque.
Qu’on l’apprécie ou pas, il est indéniable de reconnaître que Benyamin Netanyahou possède une grande expérience diplomatique et de négociateur. C’est un fin connaisseur des coulisses internationales. Il ne serait alors pas étonnant, pourquoi pas, de le voir dans les prochaines semaines, jouer le rôle des intermédiaires dans des négociations russo-ukrainiennes qui finiront inévitablement par commencer…