En RDC, l’administration Tshisekedi accentue la pression sur Joseph Kabila
La situation politique en République démocratique du Congo se complique de plus en plus…
Hors du pays depuis bientôt trois mois, l’ancien président est cité parmi les soutiens du M23 par un proche de la rébellion arrêté en janvier. Des accusations que sa famille politique rejette vigoureusement.
La séquence est inhabituelle. Ce 5 avril en fin de journée, le quartier général des renseignements militaires à Kinshasa a ouvert ses portes aux journalistes. Le porte-parole de l’armée, le général-major Sylvain Ekenge, a souhaité leur adresser quelques mots avant de leur montrer une vidéo. « La personne que vous allez suivre s’appelle Éric Nkuba Shebandu, prévient-il. Il est le conseiller stratégique et politique de Corneille Nangaa. Appréhendé par les services spécialisés, il est passé aux aveux. »
Des « aveux » filmés
Éric Nkuba Shebandu a 52 ans. Il a été arrêté le 3 janvier dernier à l’aéroport de Dar es-Salaam, en Tanzanie, et renvoyé le lendemain à Kinshasa. Le 18 mars dernier, Corneille Nangaa, le coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC, une plateforme politico-militaire lancée en décembre dont est membre le M23), s’en est plaint auprès de la présidente tanzanienne, Samia Suluhu. Dans son courrier, l’ancien président de la commission électorale congolaise disait même avoir appris que « M. Éric Nkuba, après avoir subi une énorme torture, [venait] d’être exécuté ».
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Il n’en est donc rien. L’intéressé est apparu devant la presse, uniforme bleu des prisonniers et babouches rouges aux pieds. Quelques instants plus tôt, les journalistes ont pu visionner la fameuse vidéo. Éric Nkuba Shebandu y était interrogé sur les contacts de l’AFC dans les milieux politiques congolais. Et ils ont pu l’entendre citer, pêle-mêle, l’ancien député Claudel Lubaya ; l’ex-ministre Joseph Olenghankoy ; l’ancien directeur général de l’Office de gestion du fret multimodal (Ogefrem), Patient Sayiba ; le professeur en sciences politiques à l’Université de Liège, Bob Kabamba ; Adam Chalwe, un ancien membre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), qui a officiellement rejoint l’AFC ; mais aussi John Numbi, l’ancien inspecteur général de la Police nationale congolaise (PNC) aujourd’hui en exil, et surtout Joseph Kabila lui-même, rapporte Jeune Afrique.
« Une diversion mal ficelée »
Dès le lendemain, les proches de l’ancien président ont rejeté ces allégations. Raymond Tshibanda, président de la cellule de crise du Front commun pour le Congo (FCC), a dénoncé des « aveux stupéfiants, invérifiables et visiblement arrachés de force, publiés par un service spécialisé en violation du sacro-saint principe du secret d’instruction préjuridictionnelle ». « [Il s’agit d’une] diversion mal ficelée pour détourner l’attention du peuple congolais de l’impéritie des tenants du pouvoir, pire, [d’une] campagne de diabolisation en vue de préparer l’opinion nationale et internationale à des interpellations injustifiées et à une mise en accusation déjà programmée », a-t-il ajouté.
Accentuer la pression
Si le camp de Joseph Kabila a été aussi prompt à réagir, c’est qu’il sait que l’administration Tshisekedi cherche à accentuer la pression sur l’ancien président. Six jours avant ces « aveux » d’Éric Nkuba Shebandu, le secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Augustin Kabuya, proférait déjà de graves accusations à son encontre.
« Pour votre information, au moment où je vous parle, Joseph Kabila a fui le pays, avait-il affirmé devant des cadres du parti présidentiel. Il n’a laissé aucune trace à la DGM [Direction générale de migration]. Il est parti en catimini parce que c’est lui qui est derrière la guerre qui sévit dans l’est du pays. J’étais déjà au courant de cela », affirmait le chef du parti présidentiel devant les cadres et militants du parti présidentiel.
Kabila à l’étranger depuis fin janvier
« Joseph Kabila est le seul chef d’État de toute l’histoire de la RDC à organiser des élections démocratiques, et ensuite une alternance pacifique qui a eu pour premier bénéficiaire ce même parti [UDPS]. Peut-il fuir, abandonner ce pourquoi il s’est investi toute sa vie ? Ou encore être à la base d’une quelconque déstabilisation de cette même nation ? C’est incohérent de réfléchir dans ce sens », avait alors répliqué Barbara Nzimbi, sa chargée de communication.
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Absent des dernières élections qu’il avait appelées à boycotter, Joseph Kabila a quitté la RDC fin janvier pour l’Afrique du Sud. Le 25 janvier, il a fait valider, devant un jury de l’Université de Johannesburg, le sujet de sa thèse, laquelle portera sur « les implications de la rivalité États-Unis-Chine-Russie pour l’Afrique ». Un mois plus tard, il a été aperçu à Windhoek, en Namibie. Accompagné de son conseiller diplomatique, Kikaya Bin Karubi, il a assisté à l’hommage rendu au président Hage Geingob, décédé le 4 février dernier – une cérémonie à laquelle a également pris part Félix Tshisekedi. Mais ce jour là, les deux hommes se sont soigneusement évités, renforçant ainsi les rumeurs sur l’état de leurs relations.
Depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, c’est la première fois que le « gentleman farmer » de Kingakati (près de Kinshasa) et de Kashamata (près de Lubumbashi) séjourne aussi longtemps à l’extérieur du pays. Et selon nos informations, tout porte à croire qu’il a effectivement quitté la RDC sans l’accord des autorités, agacé d’attendre en vain l’autorisation de l’Agence nationale de renseignement (ANR).
Des poursuites contre l’ancien président ?
Depuis que François Beya, l’ex-conseiller spécial de Félix Tshisekedi, est tombé en disgrâce en février 2022, chaque voyage à l’étranger de l’ancien président est soumis à l’autorisation préalable de l’ANR. Les proches de l’ancien président ont plusieurs fois dénoncé des « tracasseries administratives » et une « restriction de ses libertés de mouvement ».
Mais Joseph Kabila peut-il être poursuivi ? Si la loi du 26 juillet 2018 portant sur le statut des anciens chefs d’État élus le protège d’éventuelles poursuites pénales pour les actes posés dans l’exercice de ses fonctions, ce n’est pas le cas des faits posés en dehors de l’exercice de ses fonctions. Mais le lancement des poursuites devrait alors être soumis au Parlement et approuvé par les deux tiers des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès.
Cette perspective l’effraie-t-elle ? Fidèle à son habitude, l’insondable Kabila garde le silence. Sa dernière prise de parole publique remonte au 16 juin 2023. C’était devant les barons de sa famille politique, à Kingakati. Très en verve ce jour-là, il avait donné tort à tous ceux qui pensaient qu’il s’était résolu à prendre sa retraite et accusé l’administration Tshisekedi de réinstaurer la « dictature », la « gabegie » et la « corruption ». Il avait néanmoins insisté sur le fait qu’il combattrait son successeur avec « toutes les garanties offertes par la Constitution ».
La peur d’une revanche
Depuis des mois, dans les cercles au pouvoir à Kinshasa, certains redoutaient que l’ancien président, politiquement marginalisé par Félix Tshisekedi, cherche à prendre sa revanche. Tous les faits et gestes de Joseph Kabila et de ses proches sont donc scrutés avec attention. Le 15 mars dernier, sa sœur jumelle, Jaynet, a d’ailleurs été auditionnée dans les locaux des renseignements militaires pendant plus de quatre heures, et le siège kinois de la fondation dédiée à leur défunt père, Laurent-Désiré Kabila, a été perquisitionné.
L’ancien président va-t-il pouvoir continuer à garder le silence ? Deux jeunes cadres de son parti – Henry Magie Walifetu et Yannick Tshisola – ont récemment rejoint l’AFC. Mais rien ne permet de lier ce ralliement à une éventuelle consigne de Joseph Kabila, même si sa famille politique souffre de l’absence de ligne de conduite explicite.
Selon nos informations, Néhémie Mwilanya Wilondja, Emmanuel Ramazani Shadary et Raymond Tshibanda – tous trois cadres du FCC – ont rencontré Joseph Kabila après son départ de RDC et tenté d’obtenir de lui une orientation claire sur le combat politique à mener. En vain.
Entendra-t-il davantage son épouse ? À Goma, devant des personnes déplacées par la guerre dans l’Est, Olive Lembe Kabila a prié à haute voix : « Père éternel, pourriez-vous convaincre Joseph Kabila de rentrer en politique [et de] reprendre le pouvoir démocratiquement ? La situation du pays va de mal en pis ! »