La France a-t-elle perdu ses outils de pression historiques en Afrique ?
Paris ne dispose plus des anciens outils de pression pour garantir sa présence dans la région.
Les campagnes populaires hostiles à la présence française dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et les orientations des nouveaux régimes formés après les récents coups d'État au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont brouillé les pistes de Paris, qui, ne dispose plus des anciens outils de pression pour garantir sa présence dans la région.
Les anciennes colonies françaises se rapprochent davantage de nouveaux partenariats basés sur le principe de "l'économie d'abord".
Cela pourrait trouver un soutien populaire important dans le contexte des transformations sociales et politiques en cours dans la région.
L'intensification des sentiments hostiles envers la France dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest a incité Paris à s'éloigner de son approche précédente envers le continent et à adopter une nouvelle stratégie basée sur la formulation de partenariats sécuritaires plutôt que sur l'intervention directe qu'elle a maintenue pendant des décennies.
Cette nouvelle approche nécessite une réduction significative du nombre de forces et de bases françaises dans les pays de la région.
Bien que le changement rapide de l'orientation de l'allégeance envers la France puisse sembler surprenant pour certains analystes, d'autres le considèrent comme naturel compte tenu des importantes évolutions démographiques de la région au cours des dernières années, ainsi que de l'influence croissante de la jeunesse qui représente désormais plus de 55% de la population.
En outre, les évolutions géopolitiques se sont accélérées avec la montée en puissance de la présence russe dans la région depuis le milieu de la dernière décennie et l'intensification du sentiment populaire de rejet de la présence française.
La France dispose de nombreux outils de pression économique et diplomatique qui lui permettent de repositionner sa présence dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
Le facteur économique
Il existe une croyance répandue selon laquelle la croissance de la colère populaire envers la présence française dans la région est principalement due à la négligence des relations économiques.
La part des pays d'Afrique de l'Ouest dans le commerce extérieur de la France est inférieure à 2 %, et les investissements français dans ces pays représentent moins de 1 % de leurs flux financiers totaux.
Face aux accusations croissantes selon lesquelles la France continue d'étouffer économiquement les pays africains, les experts estiment que cette approche a accéléré les demandes de fin de la présence française dans la région.
L'accord du franc CFA oblige les pays africains qui l'utilisent, actuellement au nombre de 12 pays, à déposer 50 % de leurs réserves de change dans les banques françaises. De plus, la monnaie est imprimée en France, ce qui génère des revenus annuels de plusieurs milliards de dollars pour la France.
Celle-ci affirme qu'au cours des 60 dernières années, elle a réussi à assurer sa présence dans les pays de la région grâce à plusieurs accords contraignants qui lui ont rapporté d'énormes bénéfices grâce à l'exploitation des ressources naturelles.
En retour, les pays de la région ont bénéficié de l'aide militaire et du développement, suscitant un débat important sur leur efficacité et leur équivalence avec les gains réalisés par la France.
Pendant de nombreuses décennies, la France a conservé ses outils coloniaux, qui ont causé de grandes difficultés économiques, politiques et sociales dans les pays de la région.
Ces pays ont continué à accepter cette situation héritée et à payer des impôts coloniaux sous différentes formes, notamment en plaçant la moitié de leurs réserves de change et une grande partie de leurs ressources naturelles sous l'influence française. Cependant, cela a considérablement changé au cours des derniers mois.
L'orientation apparente des pays africains, en particulier des anciennes colonies en Afrique de l'Ouest, est de rejeter l'ancienne approche française, ce qui se traduit déjà par l'adoption de ce que les nouveaux dirigeants militaires de ces pays appellent "la voie de l'indépendance véritable".
La présence croissante de la Russie dans les pays africains au détriment du rôle français est évidente. Cependant, bien que le groupe Wagner contribue à la lutte contre les groupes terroristes et que la Russie ait une longue histoire de soutien à plusieurs pays africains pour assurer leur indépendance, cela ne signifie pas que la Russie renoncera à exploiter les ressources africaines.
La bonne approche que les pays africains doivent adopter dans le contexte des changements actuels est de réorienter leurs stratégies et politiques étrangères afin de pouvoir compter sur elles-mêmes et mettre fin à leur situation de dépendance.
Changement des outils de pression
Moins de deux ans après leur indépendance dans les années 1960, les républiques du Mali et du Togo ont tenté de créer leurs propres devises nationales comme première étape pour se libérer des conséquences économiques de la colonisation française, dont une grande partie était incarnée par le "Franc CFA" qui, depuis 1945, a lié les économies de 12 pays africains au Trésor français.
Cependant, ces deux pays ont échoué dans leurs démarches. Modibo Keïta, le premier président de la République du Mali après l'indépendance, s'est retrouvé isolé économiquement, et son homologue togolais Sylvanus Olympio a été assassiné après un coup d'État mené par des officiers formés en France en 1963.
Aujourd'hui, la situation a considérablement changé, car Paris ne dispose plus des mêmes leviers de pression, notamment avec l'augmentation de la présence chinoise et russe dans les pays de la région.
D'un autre côté, certains experts estiment que la France dispose encore de nombreux atouts de pression qu'elle peut utiliser pour retrouver sa position perdue dans la région, notamment son influence sécuritaire et son aide économique.
Depuis le coup d'État qui a renversé son allié au Mali et la déclaration de la nouvelle autorité militaire de se détacher des liens étroits avec la France et d'expulser ses soldats de cet État d'Afrique de l'Ouest en proie au terrorisme et aux crises internes, Paris a commencé à faire face à des difficultés.
L'onde de choc des coups d'État hostiles à la présence française s'est propagée aux deux autres alliés traditionnels, le Burkina Faso et le Niger. Cependant, en contrepartie, les attaques terroristes et les crises économiques ont augmenté dans ces pays, qui dépendaient fortement de l'aide au développement et humanitaire française.
L'insécurité, associée à la détérioration des conditions économiques, a entraîné une baisse notable de la popularité des dirigeants militaires au Mali et au Burkina Faso, qui avaient gagné un fort élan au début de leur prise de pouvoir.
Pendant de nombreuses années, la France a déployé des soldats et fourni une assistance militaire technique au Niger, au Mali, au Burkina Faso et à d'autres pays africains pour les aider à lutter contre les attaques terroristes, qui ont augmenté de 55 % récemment, selon l'Indice du terrorisme 2022 publié par l'Institut pour l'économie et la paix.
Les attaques terroristes ont augmenté de manière constante ces derniers temps, avec des groupes extrémistes perpétrant plusieurs opérations sanglantes, dont la plus récente a eu lieu jeudi, lorsqu'au moins 49 civils et 15 militaires ont été tués dans deux attaques distinctes visant une pirogue sur le fleuve Niger et un camp militaire dans le nord-est du Mali. La ville de Tombouctou est également assiégée depuis fin août, avec des attaques continues contre les moyens de transport.
Avant leur retrait forcé du Mali et du Burkina Faso, et leur retrait éventuel du Niger, la France avait environ 8 000 soldats dans ces trois pays pour les aider à lutter contre le terrorisme.